Comment faire une offre impossible à refuser?

Publié le 15/03/2016 à 07:25

Comment faire une offre impossible à refuser?

Publié le 15/03/2016 à 07:25

Le gardien de but David de Gea a fait l'objet d'âpres négociations en 2015... Photo: DR

L'air de rien, nous sommes perpétuellement en négociation au travail. On négocie un deadline, on négocie un budget, on négocie - que sais-je encore? - les dates de nos congés. Et ce, avec plus ou moins de réussite. Pas vrai?

D'où l'intérêt de devenir un bon négociateur, voire un excellent négociateur. C'est-à-dire non pas quelqu'un qui "gagne" à tous les coups au détriment des autres, mais bel et bien quelqu'un qui sort de chaque négociation avec un win-win, oui, qui parvient à faire en sorte que chacun ressorte de la négociation avec le sentiment d'y avoir gagné quelque chose d'important à ses yeux.

Mais comment diable y parvenir? Eh bien, je pense avoir trouvé un élément de réponse fondamental dans une étude intitulée Be patient yet firm: Offer timing, deadlines, and the search for alternatives. Celle-ci est signée par Ilia Tsetlin, professeur de science de la décision à l'Insead (France), assisté de son étudiant Saša Zorc. Et elle montre qu'il existe une astuce pour arriver à ses fins dans une négociation. Une astuce quasiment imparable. Si, si...

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Pour commencer, une petite histoire que vous allez adorer... Connaissez-vous David de Gea? Peut-être pas, mais ce n'est pas grave : il s'agit du gardien de but vedette de Manchester United, l'une des plus grandes équipes de soccer de Grande-Bretagne. L'été dernier, le Real Madrid, l'une des plus grandes équipes de soccer d'Espagne, a tenté de le recruter lors du mercato, soit la période de temps où les équipes sont autorisées à acheter et vendre des joueurs.

La plupart du temps, ce type de négociation prend du temps. D'une part, Manchester United savait que son jeune prodige valait de l'or, et il n'était donc pas question de le céder sans en tirer le maximum d'argent possible. D'autre part, le Real Madrid tenait à tout prix à se doter d'une dream team, avec les meilleurs joueurs du monde à chacun des postes, et tenait donc mordicus à se doter de David de Gea. Tout était donc a priori réuni pour assister à un transfert historique.

Or, que s'est-il passé? Eh bien, Manchester United a fixé un ultimatum au Real Madrid, dès le début de la période du mercato : «Donnez-nous 52 millions de dollars américains dans les 24 heures, sinon on passe à un autre appel!» Résultat? Le Real Madrid a rejeté l'offre, à la surprise générale. Aucune explication officielle n'a été donnée, mais quelques fuites laissent entendre que le problème n'avait pas été le montant demandé, mais le fait d'avoir été confronté à un ultimatum : les dirigeants du Real Madrid n'ont pas apprécié, et ont claqué la porte!

Cette anecdote a passionné les deux chercheurs de l'Insead, à tel point qu'ils se sont demandé ce qui se serait produit si l'offre avait été présentée autrement. Avait-il été judicieux de fixer un ultimatum? Le timing pour agir de la sorte - en tout début de mercato - avait-il été mauvais? Ou encore, aurait-il été plus avisé d'accorder non pas 24 heures, mais par exemple 72 heures pour prendre une décision? Autant d'interrogations auxquelles ils ont voulu répondre.

Pour s'en faire une idée, ils ont concocté un modèle de calcul économétrique visant à déterminer le meilleur comportement à adopter pour chacun des deux - celui qui fait une offre et celui qui doit choisir de l'accepter, ou pas - dans un tel cas de figure. Celui-ci considérait les points suivants :

> Alternative. Les deux acteurs disposent d'une alternative. C'est-à-dire que celui qui fait l'offre sait qu'il peut présenter une autre offre à une tierce partie, en cas de refus. Et que celui qui doit faire un choix par rapport à l'offre qui lui est faite peut, lui aussi, aller voir une tierce partie, en cas de désaccord.

> Période de temps. La négociation se déroule dans une période de temps déterminée, laquelle a donc un début, un milieu et une fin. On voit bien que plus on approche de la fin, plus les deux acteurs sont soumis à une pression du temps grandissante.

On peut imaginer, par exemple, le cas d'un employeur qui a besoin de combler un poste important. Après avoir sélectionné une poignée de candidats intéressants, il fait une offre à chacun d'eux, laquelle expirera passé un certain délai. Ainsi, on est bien dans le cas où celui qui fait l'offre dispose d'une alternative (les autres candidats sélectionnés) et où celui qui doit faire un choix (dire oui ou non, ou encore discuter l'offre présentée) dispose, lui aussi, d'une alternative (les autres employeurs intéressants à ses yeux).

Vous voyez? Parfait. Alors poursuivons...

Une fois leur modèle de calcul concocté, MM. Tsetlin et Zorc ont procédé aux calculs. Ce qui leur a permis de mettre au jour quelque chose de fascinant, à savoir que l'idéal est de procéder en trois temps :

1. Faire une offre «explosive». La stratégie optimale pour celui qui fait une offre est de faire une offre «explosive». C'est-à-dire une offre qui, dès qu'elle est énoncée, fait instantanément exploser tous les calculs préalables de l'autre. Du coup, celui-ci est décontenancé, déstabilisé, désorienté. À noter que cette offfre doit être non seulement réaliste, puisqu'il est impératif que celui qui la fait doit être en mesure de la tenir, mais aussi inattendue, pour ne pas dire inespérée pour l'autre.

2. Miser sur l'effet de surprise. Le moment précis où est doit être faite une offre «explosive» est primordial pour son succès. Il n'y a pas de règle absolue à ce sujet, néanmoins les deux chercheurs estiment que mieux vaut ne pas la faire d'emblée, dès le début de la négociation. «Mieux vaut attendre qu'un certain temps soit passé pour la présenter, le temps, entre autres, qu'un lien de confiance soit noué entre les deux parties prenantes», disent-ils dans leur étude.

3. Savoir demeurer impassible. Une fois l'offre «explosive» présentée, il est crucial d'une part de s'y tenir, d'autre part de fixer un nouveau deadline «socialement acceptable» à l'autre pour prendre sa décision. Qu'entend-on par «socialement acceptable»? Eh bien, on entend un deadline ni trop court ni trop long. Il faut en effet que celui à qui on fait une offre se sente privilégié, et non pas le bras tordu. Et il faut que celui à qui on fait une offre n'ait pas réellement le temps de se tourner vers son alternative, notamment pour faire monter les enchères.

«En bref, il convient d'être ferme et patient à la fois. Ferme, en ce sens qu'il faut se tenir droit dans ses bottes, une fois l'offre présentée. Patient, en ce sens qu'il faut trouver le bon timing pour présenter l'offre et savoir fixer un bon deadline pour la prise de décision», indiquent MM. Tsetlin et Zorc.

Pour revenir au cas de David de Gea, l'erreur de Manchester United a donc été d'avoir fixé un ultimatum trop court, mais surtout trop tôt dans la période de temps du mercato. Le Real Madrid a, de fait, préféré aller voir ailleurs, en se disant qu'il avait encore tout le temps nécessaire pour dénicher une autre perle rare, voire pour revenir à la charge. La preuve? Le Real Madrid est finalement revenu à la dernière minute vers Manchester United pour rediscuter de l'avenir du gardien de but, et - vous savez quoi? - les deux clubs en sont arrivé à une entente en un rien de temps, au détriment du club anglais : le transfert a été signé pour 43 millions de dollars américains (au lieu des 52 millions initialement exigés par Manchester United).

Voilà. Vous disposez à présent d'une carte maîtresse pour mener à bien votre prochaine négociation d'importance, du moins pourvu que vous reteniez ceci :

> Qui entend obtenir ce qu'il souhaite dans une négociation se doit de dynamiter les discussions. Il lui faut être le premier à faire une offre «explosive», histoire de surprendre totalement son interlocuteur. Puis, il doit demeurer à la fois ferme et patient (mais pas trop). Et ce, en veillant à ce que l'autre se sente non pas contraint, mais privilégié.

En passant, l'écrivain français Daniel Pennac a dit dans Kamo et moi : «Il y a des silences qui sont de dangereux explosifs».

 

À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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