Cette appli montréalaise vise à mieux traiter la dépression
La Presse Canadienne|Publié le 18 février 2019Une application pour téléphone intelligent qui vise à mieux — et plus rapidement — soigner ceux qui combattent la dépression a été développée par un groupe de cliniciens, d’ingénieurs et de récents diplômés et d’étudiants de l’Université McGill, en se servant notamment du pouvoir de l’intelligence artificielle. Et leur outil a déjà franchi avec succès des rondes d’élimination du prestigieux concours AI XPRIZE, se trouvant toujours en lice pour le 1er prix de 3 millions $.
Aifred Health construit un pont entre la médecine et la technologie pour s’attaquer de front à l’un des plus grands besoins en santé de la société: la dépression.
Une personne sur neuf dans le monde va devoir affronter une dépression majeure dans sa vie, souligne David Benrimoh, directeur scientifique d’Aifred Health. Et la plupart d’entre elles ne vont pas recevoir le meilleur traitement du premier coup: beaucoup devront faire quatre ou cinq essais avant de trouver le bon, déplore en entrevue le médecin, qui s’est spécialisé en psychiatrie après une maîtrise en neuroscience.
«L’incapacité de prédire la réaction d’un individu face à un certain traitement de santé mentale est une barrière énorme à leur rétablissement», peut-on lire sur le site web de l’entreprise.
L’idée d’origine de cet «outil d’aide à la prise de décision clinique» est de Kelly Perlman, cofondatrice d’Aifred Health, a souligné M. Benrimoh, lui-même membre fondateur avec Sonia Israel, Marc Miresco et Robert Fratila.
Il s’agit aussi d’une «application tandem», qui devrait être utilisée avec un suivi médical ou de psychothérapie, a-t-il ajouté.
L’application, aussi accessible par ordinateur, fait trois choses, a expliqué M. Benrimoh avec enthousiasme.
D’abord, elle permet d’enregistrer comment le patient se sent, de jour en jour, et de semaine en semaine. Cela permet de surveiller les symptômes des patients et de voir la progression du traitement. «Juste ça, ça va beaucoup aider», dit-il.
L’app d’Aifred a aussi intégré un algorithme — créé par d’autres, précise-t-il — qui offre aux médecins des possibilités de traitements, basé sur les meilleures pratiques, ce qui aide à structurer le traitement de la dépression. «Ça rassemble toutes les connaissances que l’on a déjà et on les simplifie de façon très claire».
Puis, l’Intelligence artificielle (IA) aide à déterminer le meilleur traitement pour chacun des patients, avec tous les choix qui s’offrent: différentes sortes de médicaments, divers dosages, psychothérapie, neuro-modulation, exercice et méditation. «Notre système fournira un rapport expliquant les caractéristiques importantes qui ont conduit à une prédiction de traitement», est-il indiqué sur leur site web.
Qu’est-ce qu’une app peut changer dans la vie d’une personne souffrant de dépression? D’abord, elle va redonner aux patients du pouvoir sur leur vie, leur permettre de comprendre leur situation et de voir leur progression. Elle va aussi aider à trouver le meilleur traitement, plus rapidement. Ce qui raccourcit d’autant le temps qui va s’écouler avant de voir des résultats, résume le médecin-psychiatre.
Cela fait presque deux ans que l’équipe planche sur l’application.
Ils sont encore à l’étape des tests, dont certains ont été faits auprès de médecins de l’Hôpital général juif de Montréal. L’équipe a aussi reçu de bons commentaires de psychiatres qui ont testé l’algorithme de traitement. Et si tout va bien, l’app sera disponible pour les patients cet été.
Mais cette application pourra-t-elle être efficace pour ceux qui souffrent de dépression sévère, peinant à sortir de leur lit et n’ayant probablement pas l’énergie pour entrer des informations dans leur téléphone intelligent? Pour ces patients-là, c’est très difficile, convient M. Benrimoh. Mais il indique avoir conçu le design de l’app pour qu’elle soit simple et que le processus soit très court: «quelques minutes par semaine», dit-il.
Les questions s’enquièrent de l’humeur, du niveau d’énergie, de l’appétit et du sommeil. Certaines seront personnalisées: par exemple, si l’on sait que le patient est très irritable ou a de la difficulté à faire une activité spécifique, un suivi sera fait à ce sujet. Au début de l’utilisation, des questions portant sur l’historique médical seront posées, tout comme sur la prise de médicaments.
«Pour que l’IA puisse bien travailler», fait-il valoir.
D’ailleurs, l’usage de l’intelligence artificielle est nécessaire selon lui.
«Ce n’est pas juste un ‘truc’ que l’on met là-dedans parce que c’est cool, parce que c’est sexy. C’est parce que c’était un problème que nous n’étions pas capables de résoudre sans IA, qui fait des prédictions au niveau de l’individu.»
Prix d’innovation AI XPRIZE
La compétition AI XPRIZE offre des prix en argent pour encourager le développement de technologies qui peuvent bénéficier à l’humanité. Elle s’étale sur quatre ans.
Alors que l’équipe d’Aifred Health entre dans la dernière année du concours, il ne reste que 30 équipes en lice (à l’origine, il y en avait 143) et elle se situe en 1re place.
«J’ai vraiment confiance en mon équipe et on a la chance de représenter notre ville, Montréal», dit David Benrimoh.
Et puis, «on était un peu l’équipe ‘underdog’ avant», a-t-il ajouté, indiquant être en compétition avec de grandes entreprises.
Il dit avoir eu le soutien de District 3 à l’Université Concordia, la «maison pour les équipes du XPRIZE», et des accélérateurs Centech et «Start up en résidence» de Desjardins Lab. «On a eu beaucoup de soutien de la communauté entrepreneunariale de Montréal».
L’équipe de Aifred Health devra toutefois attendre 2020 avant de savoir si elle rapportera le prix dans la métropole.