Le sous-traitant Magna International semble attrayant pour profiter de l’électrification des automobiles, selon Michèle Robitaille. (Photo: 123RF)
À PORTEFEUILLE OUVERT. Les Affaires – L’investissement responsable est très répandu. Comment l’abordez-vous dans votre nouveau rôle ?
Michèle Robitaille – L’analyse des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) s’insère dans le processus de l’évaluation fondamentale de toutes les entreprises en portefeuille. Nous avions déjà une approche à long terme qui privilégie les entreprises offrant les fondations pour une croissance durable en prenant soin des employés et des communautés. Nous utilisons plusieurs outils internes et externes afin de mieux encadrer et de prioriser les enjeux propres à chaque industrie et à chaque entreprise, étant donné la masse d’informations disponibles. Nous préférons inciter les entreprises à améliorer leurs pratiques au lieu de les priver de capital. Nous votons aussi activement lorsque des propositions sont soumises. Nous collaborons également avec plusieurs organismes pour accroître notre influence et notre effet auprès des entreprises.
L.A. – Quelle posture adoptez-vous au sujet de l’important secteur de l’énergie au Canada ?
M.R. – Il y a deux écoles de pensée à ce sujet. En Europe, les investisseurs évitent souvent le secteur de l’énergie fossile, qualifiée de polluante, ou récompensent les entreprises qui y désinvestissent. Nous croyons que ce n’est pas la solution optimale, car même si une société vend des actifs dans l’énergie fossile, ces derniers ne font que changer de propriétaire. L’acquéreur n’est peut-être pas le mieux équipé pour en réduire l’empreinte environnementale. De façon générale, il nous semble préférable que ces actifs restent entre les mains d’investisseurs motivés et habilités à financer la coûteuse transition énergétique, plutôt que de passer à des groupes peu soucieux de l’environnement.
L.A. – L’investissement ESG est-il dans une bulle ?
M.R. – Sur le plan fondamental, non. La pandémie prouve que cette approche n’est pas une mode, puisqu’elle met en relief toutes les questions d’équité, d’inclusion et de chaîne d’approvisionnement que les problèmes climatiques ne font qu’accentuer. L’adoption des normes ESG s’accélérera. D’ici trois à cinq ans, tous les produits financiers incorporeront des notions d’investissement responsable. En même temps, il est vrai que beaucoup de capitaux sont offerts pour trop peu de projets et d’investissements durables, ce qui entraîne un engouement pour les nouvelles technologies telles que le captage de carbone ou la production de l’hydrogène vert, par exemple. Ces poches de frénésie continueront à se produire. Nous préférons adopter une approche à plus long terme.
L.A. – Les producteurs d’énergie renouvelable sont-ils portés par cet engouement ?
M.R. – Il est évident qu’en 2020, l’appréciation fulgurante de ces titres a surtout été attribuable à la ruée des investisseurs. Dans ce genre de situation, nous aimons prendre du recul. L’évaluation des titres reste un facteur important pour nous. Ainsi, les gestionnaires des portefeuilles d’actions de croissance ont diminué leurs participations dans les trois producteurs d’énergie Brookfield Renewable Partners (BEP.UN, 51,60 $), Northland Power (NPI, 42,30 $) et Boralex (BLX, 39,93 $) l’an dernier et ont racheté des actions pendant leur chute au premier trimestre de 2021. Il faut comprendre que plus les capitaux affluent dans les projets d’énergie renouvelable, moins leur rendement financier est intéressant, d’où l’importance de ne pas payer trop cher pour ces titres. En même temps, ces producteurs ne sont pas les seuls bénéficiaires de la transition énergétique. Les fournisseurs traditionnels d’électricité, par exemple, bénéficieront aussi de la modernisation des réseaux de transmission.
L.A. – Que pensez-vous de la ferveur pour les véhicules électriques ?
M.R. – Il semble trop tôt pour départager avec conviction les gagnants et les perdants parmi les constructeurs et les nouvelles technologies zéro émission. Ce n’est pas la bonne approche, puisque les innovations évolueront encore énormément. Il faudra s’ajuster en cours de route, dans un processus dynamique. Nous avons aussi un mandat de croissance, ce qui écarte les sociétés plus émergentes. Cela dit, dans le contexte canadien, le sous-traitant intégré de pièces et de véhicules Magna International (MG, 99,67 $) nous semble néanmoins attrayant pour profiter de l’électrification des automobiles, étant donné ses relations étroites avec les grands constructeurs et sa forte capacité technologique.
L.A. – Manuvie achète des cours à bois pour capter le carbone et Pfizer vient d’émettre un milliard d’obligations vertes. Que pensez-vous de telles initiatives ?
M.R. – Ce genre d’annonce n’influence pas notre décision d’investir dans un titre ou non. Par contre, il peut être intéressant de vérifier pourquoi Manuvie (MFC, 24,59 $) sent le besoin de réduire son empreinte de carbone et à quoi les fonds récoltés par Pfizer (PFE, 45,72 $ US) serviront. Nos analystes de titres à revenus fixes évaluent aussi le portrait ESG d’une entreprise dans son ensemble. Si ses pratiques sont déjà solides, nous pousserons l’analyse plus loin. C’est le cas de Telus (T, 29,18 $), qui a émis les premières obligations canadiennes liées au développement durable et dont le coupon d’intérêt augmente si l’entreprise ne réduit pas comme promis ses émissions de carbone de 47 % d’ici 2030.
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Michèle Robitaille a joint Guardian Capital LP en 2003 en tant que gestionnaire d’actions canadiennes, après avoir été analyste à Scotia Capital et à la Financière Banque Nationale. Elle a gravi les échelons jusqu’au poste de directrice générale en 2012. Le 25 mai dernier, elle a été promue directrice en chef responsable de l’investissement responsable.