CHRONIQUE. «Ne les laissez pas vous dire n’importe quoi. C’est un fait que [ma politique de tarifs douaniers] ne vous coûte rien, que ce sont les Chinois qui y sont de leur poche. Et croyez-moi, tant qu’il n’y aura pas de deal, on va leur faire cracher leur pognon !» Voilà ce que Donald Trump a lancé à ses partisans de l’Ohio, lors du rassemblement Make America Great Again du 1er août, à Cincinnati.
Le hic ? C’est que cette seule affirmation de l’occupant de la Maison Blanche est la preuve flagrante que celui-ci ne comprend rien aux mécanismes des droits de douane, et par suite mène les Américains droit dans le mur avec une inconscience crasse. Explication.
Un droit de douane est une taxe qu’impose un pays à l’entrée d’une catégorie de produits étrangers sur son territoire, et cette taxe doit être payée par… l’importateur. L’exportateur – en l’occurrence, la Chine – ne paye rien du tout dans cette histoire : ses produits sont juste plus chers pour les importateurs américains.
«La facture a été salée l’an dernier pour les importateurs américains ainsi que, par ricochet, pour les détaillants et les grossistes établis aux États-Unis. Et qu’ont fait ceux-ci pour parer le choc ? Ils ont refilé 100 % de la facture aux consommateurs», disent les économistes Mary Amiti, Stephen Redding et David Weinstein, respectivement de la Réserve fédérale de New York, de l’Université Princeton et de l’Université Columbia, dans le cadre d’une étude sur les impacts de la politique économique de l’administration Trump en 2018.
Disparités
Concrètement, le coût a été l’an dernier d’en moyenne 832 $ US pour chaque foyer américain. Ce qui a représenté un coût total global de quelque 69 G $ US pour l’économie américaine, d’après une autre étude pilotée par Pablo Fajgelbaum, professeur d’économie à l’Université de Californie à Los Angeles. «À noter que ces chiffres globaux dissimulent de grandes disparités : les plus touchés ont été, en vérité, les consommateurs qui sont des cols bleus dans des États ayant massivement voté Trump en 2016, car ce sont en général les plus gros acheteurs de produits faits entièrement ou en partie en Chine», y est-il souligné.
Qu’en est-il pour la Chine ? L’étude d’Amiti, Redding et Weinstein montre que les exportateurs chinois n’ont aucunement baissé les prix de leurs produits. Ils auraient pu être tentés de le faire, dans l’idée de ne pas perdre leurs principaux clients américains, mais ce n’est pas ce qui s’est passé : leurs prix sont restés stables, si bien qu’en fin de compte, ce sont les consommateurs américains qui ont dû assumer à eux seuls la facture.
Plus fort encore, la Chine en a profité pour reprendre le contrôle de son économie, qui ces derniers temps connaissait une croissance effrénée : «Le bras de fer avec Trump a permis à Xi Jinping de jouer subtilement avec le yuan et les taux de crédit afin de freiner les prix en Chine, en particulier ceux de l’immobilier. Ce qui, en temps normal, aurait déclenché l’ire des Chinois», a dit à la BBC Gary Cohn, l’ex-président et directeur opérationnel de Goldman Sachs qui a été conseiller économique de Donald Trump en 2018.
Bref, la Chine se frotte les mains. Ce qui n’a rien d’étonnant, vu que le protectionnisme est une politique économique qui ne marche pas, pis, qui ne peut jamais marcher.
Revenons en arrière… En 2009, les fabricants américains de pneus se plaignent des prix cassés des importations chinoises, et Barack Obama réagit en haussant les droits de douane de 35 %. Résultats ? L’Institut Peterson a calculé que cela avait permis de préserver 1 200 emplois dans l’industrie du pneumatique, mais à un prix astronomique : d’une part, chaque emploi sauvegardé a coûté 1 M$ US aux Américains ; d’autre part, les pneus américains, plus chers, ont représenté un surcoût global de 1,1 G$ US, lequel a entraîné la suppression directe de 3 700 emplois dans les points de vente de pneus.
Idem, l’Institut Peterson s’est intéressé aux tarifs douaniers imposés l’an dernier par Trump aux importations d’acier et d’aluminium en provenance du Canada, du Mexique et de l’Union européenne. Et il a mis au jour le fait que la facture s’est chiffrée pour les Américains à 11,5 G$ US, pour une production qui s’est, certes, «légèrement appréciée», mais demeure malgré tout «nettement inférieure à celle de 2015».
Qu’ossa donne ?
«Disons-le clairement, relever les droits de douane, ça ne donne rien, ça ne fait que heurter l’économie», a reconnu M. Cohn, laconique.
Mary Lovely est professeure d’économie à l’Université de Syracuse et a été coéditrice de la China Economic Review. Elle suit le dossier Trump-Xi de près, et a décelé les signes avant-coureurs de la catastrophe économique qui se prépare aux États-Unis :
> Les manufacturiers se bousculent aux commissions parlementaires pour dénoncer le protectionnisme de Trump, qui leur «coûte cher» et «nuit à [leur] compétitivité».
> Les manufacturiers ont vu leur production reculer de 2,2 % au premier trimestre de 2019, alors que l’économie américaine était à la hausse.
> Les manufacturiers ont carrément arrêté d’embaucher depuis le début de 2019.
«Ils ont saisi, avec un temps d’avance sur les autres, que la politique de Trump, c’est more pain, no gain», a résumé Mary Lovely, sur CNN.
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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