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ANALYSE. «À court terme, le taux de chômage va augmenter, l’activité économique va s’affaisser et les manchettes continueront d’être inquiétantes. Alors, j’achète des actions américaines.»
Ces mots rassurants de Warren Buffet étaient plus que bienvenus lorsqu’il les a publiés dans une lettre ouverte au New York Times en octobre 2008. Les États-Unis étaient alors confrontés à la pire crise financière depuis la Grande Dépression de 1930.
Dans cette même lettre, il rappelait l’importance de se «montrer craintifs quand les autres sont avides, et avides quand les autres sont craintifs». Bien des investisseurs se demandaient comment l’«oracle d’Omaha» appliquerait cette maxime au moment où la COVID-19 provoque un autre choc économique sans précédent.
Un monde différent
Pour le moment, le goût du risque ne semble pas l’avoir gagné. Éternel optimiste, il a certes réitéré sa confiance en «la magie américaine», qui «a toujours perduré et le fera encore», mais la vente à perte par Berkshire Hathaway (BRK-B, 172,38 $ US), de toutes ses participations dans le secteur aérien envoie un autre message dans l’immédiat.
Warren Buffet a une relation compliquée avec l’industrie aérienne. Après un pari malheureux dans USAir Group en 1989 (aujourd’hui US Airways), le célèbre investisseur a promis à maintes reprises qu’on ne l’y reprendrait plus… jusqu’en 2017, où il a pris une participation dans quatre grands transporteurs aériens américains.
Trois ans plus tard, le divorce est à nouveau prononcé. «Le monde a changé pour les sociétés aériennes», a-t-il expliqué lors de l’assemblé de Berkshire Hathaway, le 2 mai dernier. «Je ne sais tout simplement pas si les Américains vont changer leurs habitudes pour une longue période.»
On pourrait voir dans ce revers un autre exemple du danger d’investir dans un transporteur aérien (un secteur caractérisé par ses dépenses fixes élevées, ses faibles marges et sa grande cyclicité). Entre les lignes, le message ratisse beaucoup plus large que ce seul secteur. Warren Buffett n’a pas désavoué sa thèse selon laquelle l’industrie aérienne s’est améliorée. L’effet de la pandémie sur les comportements des agents économiques lui fait toutefois perdre espoir.
Or, si cela est vrai pour l’industrie aérienne, c’est probablement vrai pour d’autres pans de l’économie. L’aviation et le tourisme sont peut-être plus vulnérables, mais des consommateurs confinés à la maison pourraient entraîner des changements structurels dont on mesure encore mal l’ampleur.
L’argent qui dort
En vendant des actions, Berkshire Hathaway a renforcé son trésor de guerre plutôt que de le déployer. Son encaisse s’établissait à 137 milliards de dollars américains, au 31 mars dernier. «Nous n’avons rien fait, car nous n’avons rien vu d’attrayant», a expliqué son PDG.
Cette prudence commence à irriter certains actionnaires qui se demandent si l’accumulation de liquidités est la meilleure façon d’utiliser le capital du conglomérat. Greggory Warren, de Morningstar, reconnaît qu’il n’était probablement pas possible de saisir une occasion en avril, mais l’analyste aurait aimé que la firme profite du moment pour racheter des actions.
Pourtant, Berkshire Hathaway n’a pas profité du recul des marchés pour le faire. Warren Buffett a expliqué qu’il était plus utile d’avoir les sommes nécessaires pour saisir une occasion que de racheter des actions. À tort ou à raison, l’oracle attend une meilleure offre…
On peut comprendre qu’il manifeste peu d’empressement. Le S&P 500 a déjà rebondi de 27 % depuis son creux du 23 mars et le marché semble anticiper une reprise rapide.
L’indice phare des grandes capitalisations américaines s’échange à près de 15,9 fois les bénéfices réalisés en 2019. Un multiple de 15,9 fois se situe dans la moyenne, mais il se compare à une année où la rentabilité était à un sommet. Sous l’angle du ratio CAPE, qui compare le cours d’un indice à la moyenne des bénéfices des dix années précédentes, le S&P 500, à 26,9 fois, est toujours au-dessus de sa moyenne historique de 16,7 fois.
Un investisseur à long terme a raison de croire que les beaux jours reviendront. Par contre, l’aubaine qu’on lui donne pour compenser la prise de risque en période d’incertitude laisse à désirer.