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Le bénéfice de la Banque Nationale fond de 33% et ses provisions pour pertes sextuplent, mais son titre grimpe de 8,7% en cours de séance.
Pourtant, le grand patron de la Banque Nationale (NA, 61,15$), Louis Vachon, a bien prévenu que les provisions pour les pertes sur prêts au deuxième trimestre représentent l’estimation la plus prudente «à ce jour» compte tenu des perspectives macroéconomiques incertaines que laissent flotter la pandémie et le déconfinement.
La logique du marché boursier prend parfois le contrepied. En même temps, la banque québécoise semble aussi avoir bénéficié d’un concours de circonstances qui pourrait durer on non.
D’un, au deuxième trimestre, l’institution a publié un bénéfice de 1,01$ par action, mieux que le consensus de 0,94$ des analystes.
De deux, les analystes saluent la décision de la banque de se constituer un bon coussin de réserves pour les pertes éventuelles sur prêts qu’entraînera la récession.
Les dotations aux provisions ont grimpé à 384 millions de dollars pour les prêts encore performants et à 120 M$ pour les mauvaises créances. La banque a ajouté quelque 440 millions de dollars à ses réserves, après la radiation de comptes, précise Sumit Malhotra, de Banque Scotia.
Cet analyste estime que les provisions pour pertes sur prêts totaliseront ultimement 1,67 milliard de dollars, soit 100 points de pourcentage de l’encours des prêts, entre le deuxième trimestre de 2020 et le quatrième de 2021.
Sur cette base, les provisions du deuxième trimestre équivalent à 30% du grand total, ce qui devrait s’avérer le pic en proportion des prêts, d’ici la fin de 2021, prévoit-il.
«Les bienfaits des provisions hâtives, en théorie, sont qu’elles réduisent le besoin de constituer d’autres réserves plus tard», explique Sumit Malhotra.
Ce jeu de prévisions augmente ses estimations de bénéfices de 5,72$ à 6,17$ par action pour 2021, et son cours cible de 60 à 69$.
Mario Mendonca, de TD Valeurs mobilières, résume bien la dynamique du provisionnement des banques. Bien que les pertes sur mauvaises créances augmenteront au cours des prochains trimestres, la banque pourra atténuer leur impact sur ses profits en récupérant les provisions constituées sur les prêts performants qui ne deviendront pas de mauvaises créances.
Cet analyste juge que le titre mérite une évaluation supérieure à celle de ses semblables, de 1,5 fois la valeur comptable, en raison des bénéfices générés par ses activités de base, la part élevée des prêts à la consommation garantis en portefeuille et un ratio des capitaux propres dans le haut de sa fourchette de son industrie.
Deux mois après avoir recommandé à nouveau l’achat du titre, Mario Mendonca augmente son cours cible de 62 à 63$.
Scott Chan, de Canaccord Genuity, se réjouit aussi que la banque ait adopté une approche proactive à l’égard des réserves grâce à l’expérience acquise lors de la crise du papier commercial adossé aux actifs de 2008-09 et lors de celle de la chute du pétrole en 2016.
« Aux yeux du marché, la banque a l’habitude de promettre peu et de dépasser ses promesses. »
Même s’il recommande de conserver le titre, Scott Chan hausse son cours cible de 58,50 à 60$ parce que la banque se dirige vers un rendement de l’avoir des actionnaires enviable de 14,3% en 2021 et un ratio des capitaux propres supérieur à celui de ses rivales, dit-il.
La Banque Nationale a aussi accru ses bénéfices avant impôts et provisions de 20% au premier trimestre, une performance supérieure à celle de sa grande rivale Banque Royale (RY, 92,25$) à cet égard, ajoute cet analyste.
«Ensemble, ces facteurs en font un choix relatif plus prudent dans son secteur dans les circonstances actuelles», conclut Scott Chan.
Rebond amplifié par la rotation en Bourse
La dynamique qui a cours actuellement en Bourse joue aussi un rôle dans le rebond de l’action puisque la banque a dévoilé des résultats satisfaisants au moment où les investisseurs font un retour en force aux titres retardataires en Bourse, dont les banques.
Les contours d’une reprise, liés aux espoirs que suscitent le déconfinement ou la course mondiale pour un vaccin, provoquent un déplacement des investisseurs actifs vers les secteurs et les titres qui pourraient en profiter, depuis le creux du 23 mars.
Cette nouvelle rotation se manifeste par les prises de profits dans les chouchous de la technologie et de la santé (et tous les bénéficiaires du confinement) et par l’achat de titres cycliques, sous-évalués ou laissés pour compte (dont les titres à faible capitalisation).
L’écart de la performance et de l’évaluation des banques, par rapport au S&P/TSX, a atteint le pivot des récessions antérieures (Source: Canaccord Genuiity)
Les banques avaient pris un retard de 27% par rapport à la performance du S&P/TSX depuis deux ans. Cet écart de performance s’approche du seuil maximum de 30% atteint lors des récessions antérieures, explique Martin Roberge, de Canaccord Genuity.
Les banques étaient aussi devenues 27% moins chèrement évaluées que l’indice en fonction du ratio cours-valeur comptable. Dans le passé, quand un tel écart avait été observé, les banques avaient cessé de traîner derrière la performance du S&P/TSX, ajoute le stratège quantitatif.
En d’autres mots, les banques peuvent améliorer leur performance relative par rapport au reste du marché, même si les résultats des prochains trimestres réservent d’autres mauvaises surprises.
Martin Roberge, qui se déplace d’un secteur à l’autre en fonction de divers indicateurs, relève donc le secteur bancaire dans sa répartition sectorielle parce que le jeu des comparaisons s’améliore.
«Les banques se transigent à 1,3 fois leur valeur comptable par rapport au rato de 1,7 fois pour l’indice. C’est un bon rabais si on a confiance que le rendement de dividende moyen de 5,5% n’est pas à risque», met en contexte le stratège.
Nul doute que le rachat d’actions par les vendeurs à découvert, qui avaient vendu 300 millions d’actions des banques, explique en partie leur remontée rapide, note aussi Martin Roberge.
Le stratège avait recommandé à ses clients actifs d’éviter les banques nord-américaines depuis le 3 février. Il propose désormais une répartition égale à celle du secteur dans l’indice.
Il n’est toutefois pas clair combien de temps durera ce pari de reprise, dit-il.
En cours de séance mercredi, le gain de la Banque Nationale a atteint 8,7% avant de se modérer à 7,1%. Cela se compare à la hausse de seulement 0,8% pour le S&P/TSX.