EXPERT INVITÉ. Une des plus importantes leçons que j'ai apprises au cours des quelque 26 dernières années à analyser ...
EXPERT INVITÉ. Une des plus importantes leçons que j’ai apprises au cours des quelque 26 dernières années à analyser des titres et à gérer des portefeuilles est la suivante : il vaut mieux payer un peu plus cher pour le titre d’une société de qualité. Comme c’est souvent le cas, Warren Buffett l’a dit beaucoup mieux que moi : « Je préfère investir dans une entreprise extraordinaire à un prix ordinaire que dans une entreprise ordinaire à un prix extraordinaire. »
Personnellement, je préférerais acheter une société extraordinaire à un prix extraordinaire ! Mais il faut réaliser que de telles situations sont rares. Elles se sont produites notamment lors de la crise financière de 2008-2009 (on pouvait alors acheter des actions de Colgate Palmolive à moins de 15 fois les bénéfices). Elles se produisent aussi ponctuellement dans des secteurs ou pour des titres précis.
Lorsque les marchés boursiers vont bien, les occasions intéressantes de placement se font plus rares et la plupart des titres de bonne qualité se négocient à des ratios d’évaluation peu attrayants. Les rares titres qui s’échangent à des ratios d’évaluation en apparence intéressants sont généralement des sociétés de moindre qualité dont les perspectives de croissance à long terme sont peu attrayantes.
Or, dans un marché haussier, c’est une tentation récurrente d’être attiré par des titres qui paraissent peu chers. C’est aussi une erreur qui se révèle souvent coûteuse.
J’ai personnellement appris cette leçon à la fin des années 1990 alors que la bulle techno battait son plein. Les titres de qualité s’échangeaient alors à des ratios d’évaluation très élevés – sans parler des excès qui touchaient les titres technos. Avec le recul, je me rends compte qu’à l’époque, la plupart des titres qui s’échangeaient à des ratios d’évaluation peu élevés étaient des entreprises de moindre qualité.
Ce que je tente de démontrer est que dans les marchés haussiers relativement chers, comme celui dans lequel nous évoluons présentement, les aubaines se font rares et la tentation peut être grande d’acheter des titres de sociétés de moindre qualité simplement parce que leur évaluation est sensiblement moins élevée que celle des marchés dans leur ensemble. C’est une erreur : les titres peu chers sont souvent des pièges, ce qu’on appelle des value traps en anglais.
Si je peux me permettre une analogie : il vaut souvent mieux acheter un produit de haute qualité à un prix supérieur que d’acheter à plus bas coût un produit dont la moindre qualité nous forcera à le remplacer bien avant terme.
Quels sont nos critères pour déterminer les entreprises de qualité ?
Chaque cas est unique, mais j’estime qu’une entreprise de grande qualité possède plusieurs caractéristiques qui la démarquent du lot :
1.Elle est le ou l’un des leaders de son secteur. Les leaders d’un secteur ont tendance à demeurer dominants, voire à augmenter leur domination à long terme. Ces sociétés ont développé des avantages concurrentiels qui deviennent souvent, avec le temps, presque insurmontables pour leurs concurrents. C’est ce qu’on appelle des barrières à l’entrée, ces avantages concurrentiels qui empêchent de nouveaux compétiteurs de pénétrer le marché d’un leader. Ces avantages peuvent provenir d’économies d’échelle (Walmart), de la nécessité d’investir un capital substantiel (CN), d’une réglementation qui limite la concurrence (services publics et grandes banques), d’une marque de commerce reconnue mondialement (McDonald’s ou Starbucks), etc.
2.Elle possède un historique de rentabilité élevée sur de nombreuses années. Généralement, le leadership d’une industrie et des barrières à l’entrée élevées se traduisent par une rentabilité élevée pendant de longues périodes. C’est cette caractéristique qui rend une société si attrayante pour les investisseurs à long terme. Cette rentabilité se traduit généralement par des rendements de l’avoir et du capital sensiblement plus élevés que la moyenne de son industrie.
3.Son modèle d’affaires nécessite peu de capital. Cette qualité résulte fréquemment de la précédente, en ce sens que les entreprises qui dégagent des rendements du capital élevés pendant de longues périodes doivent généralement effectuer peu d’investissements en immobilisations. Il y a toutefois des exceptions à cette règle, comme la société Canadien National, qui réussit à tirer des rendements élevés de son capital bien qu’elle investisse des sommes colossales année après année. De notre côté, nous recherchons autant que possible des entreprises qui dégagent des flux de trésorerie libres importants.
4.Ses activités sont peu cycliques. Il n’est pas nécessaire que les activités d’une entreprise ne le soient pas du tout – en fait, de telles sociétés sont plutôt rares. Par contre, nous croyons que les entreprises très cycliques sont à éviter parce que la plupart du temps, elles ne dégagent pas un rendement du capital élevé sur de longues périodes. Ce qui se produit présentement dans le secteur pétrolier canadien montre à quel point il est difficile d’investir dans des secteurs très cycliques.
5.Elle a la capacité de contrer l’inflation. Les sociétés qui réussissent à demeurer très rentables pendant de longues périodes sont en mesure de contrer les effets ravageurs de l’inflation. Lorsque leurs coûts augmentent, elles peuvent les refiler à leurs clients. Les entreprises qui vendent des produits ou des services essentiels ou difficilement remplaçables sont fréquemment dans une position privilégiée. Celles qui jouissent de marques de commerce reconnues ont également davantage de pouvoir quant aux prix de leurs produits.
6.Elle est en bonne santé financière. Voilà un facteur trop souvent ignoré, mais tellement important lorsque les conditions d’affaires deviennent plus difficiles.
7.Sa croissance organique est positive. Cette qualité n’est pas une nécessité, mais elle est bénéfique à long terme pour l’investisseur. Rares sont les sociétés qui réussissent à enregistrer une croissance organique (sans acquisition) importante. Nous sommes d’avis qu’elles méritent des ratios d’évaluation nettement plus élevés que la moyenne des entreprises.
8.Ses revenus sont hautement récurrents. Les entreprises dont les revenus sont perçus et encaissés de façon récurrente méritent selon nous une prime d’évaluation. Préféreriez-vous gérer une entreprise dont les revenus sont récurrents ou une entreprise qui vend, par exemple, des autos ou des ordinateurs et qui doit constamment se renouveler et décrocher de nouvelles ventes pour seulement arriver à maintenir ses revenus ? Les entreprises qui obtiennent des revenus récurrents sont évidemment beaucoup plus faciles à gérer parce que leurs revenus sont très prévisibles.
9.Ses dirigeants détiennent beaucoup d’actions. Cette caractéristique est particulièrement importante dans le cas de sociétés plus petites. Si les dirigeants sont eux-mêmes propriétaires, on peut être certain qu’ils travailleront fort à enrichir les actionnaires de l’entreprise qu’ils dirigent.
Les titres qui répondent à la majorité de ces critères devraient obtenir des ratios d’évaluation plus élevés que la moyenne sur le marché boursier. La tâche de l’investisseur consiste à tenter de les acheter lorsque leurs évaluations deviennent raisonnables, car ces titres seront rarement de véritables aubaines.
EXPERT INVITÉ
Philippe Le Blanc est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 et éditeur de la Lettre financière COTE 100. Plusieurs comptes sous la gestion de COTE 100 possèdent des actions de Berkshire Hathaway.