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Mediagrif cherche des acquisitions «à distance»

Stéphane Rolland|Publié le 07 mai 2020

Entrevue: le PDG Luc Filiatreault fait le point sur son plan stratégique.

À peine un mois après la présentation du plan stratégique de Mediagrif (MDF, 5,50$) en février, le Québec entamait son confinement. La société technologique de Longueuil n’a pas dévié de ses objectifs en raison de la pandémie, assure son PDG, Luc Filiatreault, qui dit avoir recommencé ses démarches «à distance» en vue de faire des acquisitions.

Avant le confinement, Mediagrif menait des discussions «plus ou moins avancées » avec un «certain nombre» d’entreprises, affirme le dirigeant lors d’une entrevue en vidéoconférence avec Les Affaires. «On avait mis ça sur pause, parce que ce n’était pas le moment de mettre des sommes d’argent importantes dans un projet sans qu’on ait une grande visibilité sur le futur. Aujourd’hui, on est redevenu actif. Ça va se passer à distance.»

Mediagrif, qui vend des solutions technologiques en commerce électronique et en approvisionnement stratégique, s’en tire bien pendant cette période économique difficile, estime Luc Filiatreault. «On ne savait pas ce qui allait arriver avec tout ça, admet-il. Après deux à trois semaines, on s’est rendu compte que ça ne ralentissait pas du tout chez nous. Au contraire, ça accélère. »

Arrivé en poste en septembre, l’homme d’affaires veut donner un nouvel élan à Mediagrif pour en faire une entreprise à forte croissance. Son objectif est d’augmenter le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA) à un rythme de 40% pour l’établir à 250 millions de dollars (M$) d’ici cinq ans.

Sur ce même horizon, la société veut faire passer son nombre d’employés de 600 à 1500 et décupler la valeur de l’entreprise en Bourse de 82 M$ à 1 milliard (G$). Pour atteindre ces cibles, la société devra réaliser des acquisitions, mais elle devra aussi accorder une attention particulière à la croissance interne. «Auparavant, notre croissance provenait surtout des acquisitions. On veut ramener la croissance interne en allant chercher de nouveaux clients. »

Une pierre angulaire du plan sera de renforcer la notoriété de Mediagrif. Aux premiers jours, le dirigeant a été surpris de l’effacement de la marque au sein même de l’organisation. « Mediagrif est la somme de 18 acquisitions. Les gens se comportaient presque comme s’il s’agissait de 18 entreprises différentes. Il n’y avait pas beaucoup de sentiment d’appartenance. Quand j’allais dans les bureaux, je voyais des tasses des filiales, mais la marque de Mediagrif était peu présente. »

L’autopromotion aidera l’entreprise à trouver de nouveaux clients, mais aussi à recruter les employés dont elle a besoin pour assurer sa croissance, selon lui. À l’automne dernier, la direction a justement créé une nouvelle équipe de spécialistes en ressources humaines afin de promouvoir sa marque employeur.

Pas de rupture avec Réseau Contact

Avant l’entrée en poste de Luc Filiatreault, Mediagrif avait déjà fait connaître son intention de se départir de ses sites consommateurs pour se concentrer sur la clientèle d’entreprise. Si elle a vendu LesPAC, en juin, pour un montant de 19 M$ (acheté à 72,5 M$ en 2011), l’entreprise ne parvient pas à trouver un acquéreur pour les sites Jobboom et Réseau Contact, confie le PDG.

«Globalement, ils représentent 5% de nos revenus alors ce n’est pas une pièce majeure de l’échiquier. Elles sont encore rentables alors on continue les opérations puisqu’il n’y a pas d’acquéreur, tout simplement. Ce n’est pas problématique. »

Visiblement amusé, il nous dit être surpris que les activités sur Réseau Contact se maintiennent. Malgré le confinement, les gens semblent échanger virtuellement en attendant de rencontrer leur prétendant en personne. Les activités sur Jobboom ont tourné au ralenti, mais la reprise de la construction ramène du trafic sur le site, ajoute-t-il.

Toujours au sujet des ventes d’actif, certains ont vu dans l’embauche de Luc Filiatreault un signal que la société pourrait être mis en vente. L’homme d’affaires a dirigé sept autres entreprises, dont trois ont été vendus.

Son but est-il de rendre Mediagrif plus attrayante pour une acquisition? «Le mandat du conseil d’administration est clair : on m’a embauché pour faire croître l’entreprise, répond-il. On compte le Fonds de solidarité FTQ et Investissement Québec parmi nos importants actionnaires. On ne nous a pas donné le mandat de vendre. Ça ne fait pas partie de nos plans du tout. »

Plus le même modèle d’entreprise

Les ambitions de Mediagrif sont loin d’être un changement cosmétique, juge Maher Yaghi, de Desjardins Marché des capitaux, qui estime que la stratégie a «complètement changé». À court terme, la société priorisera la croissance des revenus au détriment des marges, souligne-t-il.

Les actionnaires ont déjà pu prendre acte du virage. En novembre, le conseil d’administration a décidé de suspendre le dividende pour réinvestir cet argent dans l’entreprise. Les derniers résultats, publiés en février, ont également été inférieurs aux attentes des analystes tandis que la société a priorisé les investissements pour soutenir la croissance à long terme. Mediagrif a également conclu une entente avec des investisseurs institutionnels pour l’émission de 10 M$ en actions afin de financer d’éventuelles acquisitions.

«Bien exécutée, la stratégie augmentera le potentiel haussier, commente M. Yaghi. Par contre, cela vient avec une augmentation du risque et requerra d’être prudent dans la recherche de financement», prévient l’analyste qui préfère attendre avant de bonifier sa recommandation «conserver ».

Luc Filiatreault assure recourir aux financements avec prudence. «C’est un premier petit morceau qui nous permettra d’acquérir une ou deux petites ou moyennes entreprises, répond-il. On va commencer là pour développer notre recette d’intégration et ensuite voir si on est capable de le faire à répétition. »

Contrairement à M. Yaghi, Stephen Takacsy, de Gestion d’actifs Lester, a jugé que Mediagrif était une occasion. Il a accumulé une participation de 5% dans la compagnie.

Le gestionnaire de portefeuille montréalais d’ailleurs fait bondir le titre de 42% la semaine passée lorsqu’il a présenté Mediagrif dans le cadre d’une entrevue à la chaîne spécialisée torontoise BNN Bloomberg. « C’est une entreprise avec un taux de roulement faible de la clientèle, avec d’importants revenus récurrents et avec des marges élevées», a-t-il déclaré en onde.

Pour sa part, Luc Filiatreault plaide également que l’action de Mediagrif est sous-évaluée par rapport à des entreprises comme Shopify (SHOP, 1 034,42$). La compagnie de Longueuil s’échange actuellement à 1,4 fois le ratio valeur comptable/ventes, selon des données fournies par Reuters. Shopify s’échange à 36 fois.

Même si elle œuvre toutes les deux dans le commerce en ligne, la comparaison a ses limites. Shopify génère une forte croissance des revenus, mais n’est pas encore rentable. Mediagrif est rentable. Par contre, sa croissance est modeste, une caractéristique que son PDG veut changer. « On est en train de revenir à la croissance et on a des bénéfices alors c’est clair que, dans notre esprit, on est sous-évalué», plaide-t-il.