Surpasser le blocage de l’évaluation: le cas d’Amazon
Les investigateurs financiers|Publié le 10 janvier 2020(Photo: Getty Images)
BLOGUE INVITÉ. En mai 2017, un bon article avait été écrit par Yannick Clérouin au sujet d’Amazon. Dans une entrevue accordée à la chaîne boursière CNBC, Warren Buffett a raconté à quel point il avait toujours été impressionné par Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, et ce, tôt dans la vie de cette compagnie. Pour expliquer son inaction quant à l’achat du titre, il s’est contenté de dire qu’il s’agissait de «stupidité».
Lors de la débandade de la bulle techno, le titre avait perdu quelque 85% depuis son sommet. Une telle variation inciterait la plupart des investisseurs à la prudence. On pourrait facilement pardonner toute inaction durant ces années tumultueuses. Cependant, la société aujourd’hui s’avère bien différente de celle de l’époque. Amazon affiche une progression de ses ventes spectaculaire sur 10 ans, tout en étant profitable. Il suffit d’étudier les compétiteurs pour réaliser à quel point elle fait subir des transformations majeures dans son industrie, accentuant la tendance vers les ventes en ligne, au détriment des ventes en magasin. Ajoutons à cela la division que nous considérons être la plus intéressante: AWS (Amazon Web Service).
Au printemps 2017 déjà, la divulgation des résultats de AWS nous permettait d’entrevoir son potentiel. Les ventes au premier trimestre avaient crû de 43%, et les profits d’opérations atteignaient 890M$, soit un montant plus élevé que les deux autres divisions, l’Amérique du Nord et l’International. Autrement dit, avec un peu de connaissances sur le grand potentiel du nuage, et sachant que Bezos jouissait d’environ 7 ans d’avance dans l’industrie, on pouvait se permettre d’être optimiste uniquement grâce à cette division.
Pourtant, il semble que M. Buffett hésitait encore. L’évaluation du titre posait toujours un problème. À l’époque, le titre se négociait autour de 940$. Un peu plus de 2 ans et demi plus tard, le titre a doublé, se traduisant par un rendement composé de 32%. Est-ce dû à une nouvelle évaluation du titre, la plaçant maintenant en territoire surévalué? Nous pensons que non. Amazon a livré la marchandise durant ce temps. Par exemple, les ventes de AWS sont passées de 3.66G$US à 9G$US, et ses profits, de 890M$US à 2,26G$US.
Avec une très grande confiance dans la direction d’une société ainsi que dans son modèle d’affaires, une forte croissance comme celle à laquelle nous assistons chez Amazon change rapidement l’évaluation du titre. Par exemple, si un investisseur conclut que l’évaluation courante d’un titre ne mérite pas un ratio de 40 fois les flux de trésorerie, il suffit d’une stagnation du prix pendant deux ans pour aboutir à une évaluation de 24 fois dans un scénario de croissance de 30% annuel. Au bout de 5 ans, on obtiendrait un ratio de 11 fois. C’est pourquoi sous-estimer une société vraiment exceptionnelle qui profite d’un environnement exceptionnel crée des erreurs d’omission non négligeables. Attendre que le titre se négocie à 15 fois serait irréaliste selon nous. Si cela devait survenir, il y a fort à parier qu’il y aurait de bonnes raisons, comme un ralentissement permanent de la croissance par exemple.
En tant qu’investisseur valeur, peut-on arriver à vraiment considérer un tel titre dans le territoire des aubaines? Pour y arriver, cela nécessite beaucoup de jugement. À force de prendre connaissance des entrevues de Jeff Bezos, de scruter tous les commentaires de la direction et de bien étudier la force compétitive de la société dans son industrie, on arrivera à établir une valeur de l’entreprise qui ne versera pas trop dans le pessimisme, ni dans l’excès d’optimisme. Ce genre de société requiert beaucoup de temps pour l’analyser. Mieux on la comprend, mieux on est en mesure de s’attarder sur les critères d’évaluation les plus pertinents dans son cas.
Nous pensons qu’Amazon vaut plus que le prix actuel, mais nous demeurons très opportunistes quand vient le temps d’acheter ou de vendre. Par exemple, les derniers résultats, soit ceux du 3e trimestre 2019, ont fait mal réagir le titre, offrant l’occasion d’ajouter à notre position. Le titre a fluctué entre 1400$ et 2000$ ces deux dernières années, offrant selon nous des occasions d’ajuster sa position en fonction de l’escompte sur la valeur estimée. Toutefois, si on analyse Amazon comme la plupart des autres titres, même en étant patient, il s’avèrera fort difficile d’y avoir une opportunité lorsqu’elle survient.
Rémy Morel, CIM, Associé Barrage Capital