Elon Musk (Getty images)
EXPERT INVITÉ. En avril dernier, Elon Musk offrait d’acheter toutes les actions de Twitter (« TWTR ») à un prix équivalant à 54,20 $ l’action. Aujourd’hui, un investisseur peut acheter les actions de Twitter à un prix d’environ 37,80 $.
Pourquoi une si grande différence? Un investisseur n’est-il pas certain de réaliser un gain de 43 %?
Malheureusement, l’argent facile n’existe pas en Bourse, surtout pas pour un rendement « garanti » de 43 %.
Or, ce type de situation d’arbitrage est relativement courant en Bourse. On retrouve près d’une centaine de situations similaires sur les marchés nord-américains présentement. En voici quatre autres :
Risques d’échec
Ce n’est pas parce qu’une offre est annoncée qu’elle sera assurément réalisée. En effet, il existe une multitude d’événements qui pourraient empêcher la concrétisation d’une transaction, dont :
• Offre non acceptée : Les actionnaires de la société ciblée pourraient voter contre l’acquisition. Le prix offert pourrait leur paraître trop bas ou les conditions attachées à l’offre ne pas être acceptables.
• Vérification diligente : Après l’annonce, l’acquéreur pourrait se désister à la suite de la découverte d’informations inconnues qui changent la donne face à l’acquisition.
• Pression politique : Le gouvernement pourrait empêcher une transaction, par exemple, afin de conserver les emplois au pays. Rappelez-vous l’acquisition annoncée de Carrefour par Couche-Tard il y a quelques années.
• Réglementation : Une transaction pourrait être sujette à l’approbation des organismes réglementaires. Par exemple, le Bureau de la concurrence pourrait refuser une transaction s’il juge que la combinaison des deux sociétés créerait une position trop dominante.
Transat
Pour mieux comprendre, utilisons le cas de Transat.
En août 2019, Air Canada a offert d’acquérir Transat à un prix de 18 $ l’action. Durant les six mois qui ont suivi, un investisseur pouvait acheter les actions à un prix se situant entre 15 $ et 16 $. La transaction avait été approuvée par les actionnaires de Transat, mais devait encore obtenir l’accord du gouvernement fédéral canadien. Cette situation d’arbitrage offrait un gain potentiel d’environ 15 %.
En mars 2020, la pandémie a frappé l’industrie aéronautique et le titre a chuté sous la barre des 10 $. Étant donné la situation, les deux sociétés se sont entendues pour réduire le prix d’acquisition à 5 $ en octobre 2020.
Quelques mois plus tard, le 2 avril 2021, Air Canada et Transat annonçaient qu’elles mettaient fin à leur entente. La Commission européenne avait indiqué qu’elle n’approuverait pas la transaction. Le lendemain de l’annonce, le titre de Transat a clôturé à 4,69 $.
Le cas de Transat est un bel exemple du risque entourant ce type de transaction. On ne sait jamais ce qui peut arriver.
Notre vision
Chez Cote 100, nous regardons plusieurs de ces situations, mais y donnons rarement suite. Notre vision est d’évaluer la société en fonction du cours actuel et non du gain potentiel. Nous l’évaluons comme s’il n’y avait pas d’offre d’achat.
Nous croyons qu’un investisseur devrait se demander si le cours actuel constitue une occasion intéressante d’acquérir une société de qualité à un prix raisonnable. Si la transaction se conclut, tant mieux, nous empocherons un profit. Sinon, nous détiendrons une société de qualité pour le long terme, acquise à un prix raisonnable. Étant donné les primes payées lors d’acquisitions, ce type de situation est peu fréquent.
À moins de surenchère, il est également important de prendre en considération que le gain est potentiellement limité. Il est donc important de bien évaluer la relation risque/rendement dans de telles situations.
L’investisseur qui achète des situations d’arbitrage doit comprendre que le titre pourrait revenir à son cours préacquisition si la transaction n’a pas lieu. Le cours pourrait même être inférieur si la situation s’est dégradée entre-temps.
Berkshire Hathaway
Nous suspectons que Warren Buffett et son équipe utilisent une approche d’évaluation semblable à la nôtre. Par exemple, Buffett a mentionné que son équipe avait acquis des actions d’Activision Blizzard en octobre et novembre 2021 à un prix moyen de 77 $.
Trois mois plus tard, Microsoft annonçait son intention d’acquérir Activision à un prix de 95 $. Aujourd’hui à 78 $, le titre se négocie depuis plusieurs mois à un niveau similaire à celui d’octobre dernier, moment où Berkshire Hathaway achetait ses premières actions.
Il n’est donc pas surprenant de voir Warren Buffett acheter davantage d’actions d’Activision Blizzard pour profiter de ce gain potentiel.
En résumé, il faut évaluer une société en fonction du cours actuel et non du prix d’acquisition. L’évaluation doit se faire cas par cas. Certaines situations seront plus attrayantes que d’autres. Comme le dit si bien Buffett, soyez patient et attendez le bon lancer avant de frapper la balle.
Jean-Philippe Legault, CFA
Analyste financier chez COTE 100