Ce graphique présente la performance sur trois ans des différentes bulles depuis 1637 (Source: Robeco)
Le mot «bulle» est sur toutes les lèvres depuis des semaines, sinon des mois. Il faut dire que chaque jour apporte son lot de spéculations, parfois extrêmes.
La crypto monnaie Bitcoin (BTC, 32 585 $US) a fait les manchettes en franchissant la barre de 41 000$ US le 8 janvier à la suite d’une ascension de 300% en 2020.
Les 22 et 25 janvier, c’était l’explosion de 78% du détaillant de jeux vidéo GameStop (GME, 76,79$ US) qui est entré dans le collimateur des négociateurs d’un jour sur les chats Wall Street Bets de Reddit ou de Discord.
Le 25 janvier, le fournisseur de logiciels BlackBerry (BB, 22,92$) se disait incrédule face au sursaut de 150% de son action, en trois semaines.
Certains jours, le volume de négociation est si frénétique que l’infrastructure web des courtiers exécutants, tels que E*Trade, Vanguard, Robinhood et Charles Schwab ne suffit pas à la tâche.
De jeunes néophytes produisent même des vidéos sur les placements sur TikTok à l’aide de graphiques d’analyse technique trouvés sur le web. De quoi donner la frousse.
John Authers s’excuse d’aborder aussi souvent le phénomène des bulles, mais «c’est devenu incontournable», écrit le chroniqueur boursier de Bloomberg. Il dit avoir reçu plus de 200 messages de lecteurs sur le sujet depuis le début de l’année.
Son dernier billet compile une douzaine de graphiques produits par différents stratèges qui illustrent les nombreux exemples d’exubérance. L’indicateur panique/euphorie de Citigroup est spectaculaire parce que sa courbe presque verticale indique que l’euphorie actuelle a surpassé celle de la bulle techno de 2000.
L’indice d’euphorie de Citigroup surpasse le niveau de 2000 (Source: Charles Schwab)
Une proportion record de 19% des pros sondés par Bank of America Securities à la mi-janvier révèlent que leur portefeuille comporte plus de risque que jamais, tandis que leur répartition en encaisse est tombée à 3,9%. L’indicateur Bull-Bear de ce courtier, soit 7,2 % le 21 janvier, se rapproche du signal de vente de 8,0.
Un autre graphique produit par Goldman Sachs montre que les investisseurs n’ont que faire des profits: un indice maison d’entreprises de technologie non rentables grimpe en flèche.
Les excès sont partout: la vague déferlante de premiers appels publics à l’épargne qui inclut les fameuses sociétés-coquilles de chèques en blanc (SPACs aux États-Unis), les énergies vertes dont l’hydrogène et les autos électriques, leurs batteries et les métaux rares ainsi que l’infonuagique (Snowflake par exemple).
Ces capitaux massifs vont peut-être donner naissance à de nouvelles industries, à de grandes innovations et aux futurs Amazon de ce monde, mais ce n’est pas dans la phase d’exubérance que l’on peut départager les futurs gagnants des perdants.
Qui se souvient de Cisco?
Stéphane Préfontaine, président de Préfontaine Capital, consacre sa dernière lettre aux bulles sectorielles qu’il perçoit et rappelle que ce genre d’engouement tourne habituellement mal, bien que ces bulles peuvent durer de nombreuses années.
Le gestionnaire rappelle que l’ex-vedette de la réseautique Cisco Systems (CSCO, 46 $US) n’a jamais retrouvé le cours de 77 $US qu’elle avait il y a plus de vingt ans. En mars 2000, son évaluation avait atteint une pointe de 196 fois ses bénéfices.
Si Cisco n’est qu’un vieux souvenir, le gestionnaire a compilé une liste de quinze sociétés dont l’évaluation actuelle varie entre 24,5 à 163 fois les revenus, dont Tesla (28,6 fois), Snowflake (163,1 fois), Airbnb (29,4 fois) et les trois canadiennes Shopify (60 fois), Dye & Durham (41,3 fois) et Nuvei (24,5 fois). Seulement trois d’entre elles dégagent des profits.
«Sur les centaines de titres en extrême évaluation, il y en aura peut-être quelques-uns qui vont réussir à croître jusqu’à justifier leur prix, mais les probabilités pour nous de frapper dans le mille ne sont pas favorables. Pour chaque Amazon, quelques milliers perdront leur chemise», prévient-il.
Un jour, «la réalité rattrapera les prix exagérés et la chute se passera alors très violemment, à un moment imprévisible», renchérit-il en enjoignant ses clients à résister à «l’euphorie, l’avidité et l’envie».
Les profits à la rescousse?
D’autres sont moins inquiets.
David Kostin, stratège américain de Goldman Sachs, reconnaît que les SPACs et les coqueluches techno non rentables présentent les «aspects comportementaux» d’une bulle, mais il n’y voit pas de risque «systémique» pour l’ensemble du marché.
James Paulsen, de Leuthold Group, blague même que la bulle, c’est la «peur d’une bulle», puisque la recherche de cette expression sur Google explose. Le stratège se place résolument dans le camp optimiste de ceux qui croient que le plan de relance des démocrates ainsi que la demande refoulée et les épargnes des consommateurs déconfinés déferleront sur l’économie mondiale au cours de 2021.
Derrière ces bulles, la Bourse dans son ensemble est moins chère qu’il n’y paraît rétorquent aussi certains experts, surtout quand on tient compte du rendement anémique qu’offrent les obligations du Trésor et même les obligations de sociétés.
Le rebond robuste des profits des entreprises du S&P 500, à mesure que l’économie reviendra à la normale, aura vite fait de tempérer l’évaluation de cet indice phare, croit David Kostin.
Dit autrement, le multiple passerait de 21,6 fois les bénéfices de 2021 (178$US) à 19,6 fois ceux de 2022 (196$US). Le scénario de Goldman Sachs repose sur plusieurs hypothèses optimistes concernant la reprise économique, le rebond des profits en 2021 et la remontée lente des taux américains repères de 10 ans (pas plus de 2% avant la mi-2023). La firme cible 4300 pour le S&P 500 à la fin de 2021 et 4600 à la fin de 2022.
Mislav Matejka, le stratège en actions de JPMorgan, s’attend à ce que d’éventuelles prises de profits dans les «zones chaudes» des marchés tirent la Bourse vers le bas, mais toute «correction» offrirait d’autres occasions d’achat. Comme d’autres, il croit que les investisseurs sont nombreux à garder des munitions en réserve pour réinvestir dans toute rechute.
Michael Hartnett, stratège de Bank of America Securities, entrevoit une dégelée dès ce printemps tandis que l’économiste Ed Yardeni redoute une sévère correction plus tard cette année si la frénésie actuelle prenait encore plus d’ampleur au cours des prochains mois.