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Alstom: la justice américaine, un «racket»

AFP|Publié le 16 janvier 2019

Un ex-dirigeant Alstom livre son témoignage sur les dessous du rachat d'Alstom par General Electric.

«Pantin dans les mains de la justice américaine» et «victime de la stratégie» du PDG Patrick Kron: un ex-dirigeant Alstom livre son témoignage sur les dessous du rachat du groupe français par General Electric dans un livre à paraître mercredi.

En quelques mois, Frédéric Pierrucci est passé brutalement de président de la filiale chaudières d’Alstom, qui dînait avec son PDG dans l’un des restaurants les plus prestigieux de Singapour, aux conditions drastiques de la vie carcérale américaine.

Une année avant l’annonce du rachat de la branche énergie d’Alstom par l’américain General Electric (GE) pour 13 milliards de dollars, le dirigeant est arrêté sans ménagement en 2013 à son arrivée à l’aéroport de New York à pour une affaire de corruption en Indonésie au début des années 2000.

Dans son livre «Le piège américain», écrit avec le journaliste Matthieu Aron, aux éditions JC Lattès, M. Pierucci assure que «les poursuites américaines sont bien à l’origine de la décomposition d’Alstom».

Convaincu qu’il n’a rien à se reprocher, d’autant qu’il avait été blanchi par une enquête interne d’Alstom, le dirigeant croit à une rapide libération. Il révèle que la justice américaine visait le PDG du groupe.

«Ce que nous voulons, c’est poursuivre la direction générale d’Alstom et notamment M. Kron», lui affirme le procureur fédéral du Connecticut David Novick peu après son arrestation.

Il n’avait pas été prévenu par son entreprise que le Département de la Justice (DoJ) avait ouvert une enquête en 2009 sur l’affaire indonésienne et se rend compte que M. Kron «a voulu jouer au plus fin», «en faisant croire que l’entreprise collaborait, tout en faisant en réalité l’inverse».

Kron dément

«Je suis salement piégé, victime de la stratégie adoptée par Patrick Kron et réduit à l’état de pantin dans les mains de la justice américaine», estime celui qui sera licencié le 20 septembre 2013 par Alstom après avoir plaidé coupable.

M. Pierucci dit comprendre les raisons de son arrestation le 24 avril 2014, date de l’annonce du rachat d’Alstom par GE. «En une fraction de seconde, tout s’éclaircit et j’ai enfin les réponses à certaines de mes questions qui me taraudent depuis des mois», écrit-il.

«M. Kron imagine peut-être avoir trouvé la solution pour échapper aux procureurs: vendre à GE l’ensemble des activités énergies et réseaux que les Américains convoitent depuis tant d’années», pense-t-il.

L’ex-PDG dément. Interrogé par le journal Le Monde, il a réitéré ce qu’il a toujours dit dans cette affaire: la vente d’Alstom «n’est en rien liée aux poursuites judiciaires américaines».

Interrogée à l’Assemblée nationale par le député Olivier Marleix (LR), qui a présidé la commission d’enquête sur Alstom, la secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher a défendu mardi le rachat par GE.

Le groupe français «n’avait pas la taille critique pour faire face à la concurrence» et «ses activités énergétiques n’étaient pas viables à long terme». «Le choix d’un rapprochement avec un grand acteur du marché faisait donc le plus grand sens», a-t-elle ajouté.

Des bonus partagés

Un point de vue qui n’est pas partagé par M. Pierucci pour qui Alstom n’était pas « un canard boiteux ».

L’ancien cadre du groupe salue d’ailleurs le rôle d’Arnaud Montebourg, le ministre de l’Economie qui s’était opposé au rachat par GE, le «seul à batailler pour défendre les intérêts stratégiques français».

Au terme de son livre, M. Pierucci, qui a fini de purger sa peine fin septembre 2018 après 25 mois sous les verrous aux Etats-Unis, dénonce l’extraterritorialité de la justice américaine et rappelle que les entreprises françaises « ont déjà été ponctionnées de plus de 13 milliards de dollars » par les amendes infligées par la justice américaine.

«Ce racket, car c’est bien de cela dont il s’agit, est inédit par son ampleur», affirme-t-il, rappelant que GE «a racheté quatre sociétés dans ces conditions en dix ans».

La justice américaine a finalement condamné Alstom à payer une amende de 772 millions de dollars et a refusé que GE s’en acquitte comme il était convenu dans les accords de rachat.

«Au moins Kron aura réussi à éviter une hécatombe d’inculpations», commente M. Pierucci. «Un petit groupe de dirigeants lui doit sans doute une fière chandelle et certains d’entre eux se sont partagés les millions de bonus accordés lors de la finalisation de l’accord avec GE».