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Ammoniac vert: la révolution (verte) en marche?

John Plassard|13 mars 2024

Ammoniac vert: la révolution (verte) en marche?

Le Japon s’est engagé à utiliser l'ammoniac pour le transport maritime dès la fin de la décennie et a même commencé à en brûler au sein de ses centrales thermiques. (Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. On vous a beaucoup parlé d’énergies alternatives, de leurs bienfaits, mais de la lenteur des gouvernements (de la politique donc) de prendre conscience de l’impact (négatif) du CO2 par exemple. Cependant, de nouvelles énergies plus «vertes» pourraient rapidement tirer leurs épingles du jeu. L’ammoniac en fait partie!

 

Les faits

Bien que l’ammoniac dégage une odeur désagréable, lorsqu’il est utilisé correctement, il n’est pas dangereux pour la santé ou la vie. L’ammoniac de qualité alimentaire trouve une large application dans nos ménages.

Au Moyen Âge, la solution d’ammoniaque était très souvent utilisée – principalement pour la désinfection et le nettoyage. Aujourd’hui, son utilisation est beaucoup plus large. Les fabricants fournissent également de la poudre d’ammoniac, qui a été utilisée, entre autres, dans l’industrie alimentaire.

À la maison, l’ammoniac est le plus souvent utilisé comme agent de nettoyage. Pour cela, en règle générale, une solution d’ammoniac est préparée et vous pouvez le faire vous-même. Il suffit de combiner le composé avec de l’eau.

La solution d’ammoniac non seulement résistera très bien à la saleté typique, mais éliminera également les taches tenaces, même très grasses. Vous pouvez utiliser de l’ammoniaque de qualité alimentaire pour nettoyer les carreaux émaillés ou acheter un produit prêt à l’emploi.

Cependant, on est bien loin de penser que l’ammoniac peut aussi être une alternative à l’énergie. Une énergie plus verte et de moins en moins coûteuse…

 

L’ammoniac vert va sortir du bois

Lorsqu’il faut produire de l’électricité, on utilise d’abord les énergies les moins chères : éolien, solaire, hydraulique. Si elles ne sont pas disponibles ou n’ont pas assez de capacité, on ajoute des énergies dont le coût est plus élevé, dans cet ordre: lignite (charbon de basse qualité), nucléaire, charbon, le gaz et enfin l’ammoniac vert. Vous me direz, mais que vient faire l’ammoniac vert dans cette liste d’énergies ?

Récemment, des scientifiques ont découvert à l’ammoniac une caractéristique potentiellement révolutionnaire, en l’utilisant comme source d’énergie. Certains estiment d’ailleurs que le composé est en bonne voie pour remplacer les énergies fossiles dans toutes leurs applications.

Aujourd’hui, on parle même d’une future «économie de l’ammoniac», où ce dernier représenterait le «chaînon manquant» capable de faire de la décarbonation une réalité et une bonne alternative à l’hydrogène par exemple.

 

Qu’est-ce que l’ammoniac?

L’ammoniac (NH3) est constitué d’azote et d’hydrogène. Gazeux à température et pression standard, on le liquéfie à -10°C, on peut le garder liquide à 10 bars ou, de préférence, sous forme «cryo-compressée», toutes choses bien maîtrisées industriellement.

Il est plus lourd, mais plus dense que l’hydrogène liquide, c’est-à-dire quand même 3,6 fois plus volumineux qu’un produit pétrolier (contre 4,8 fois plus pour l’hydrogène liquide). On peut l’utiliser dans certaines piles à combustible ou dans les gros moteurs diesel des navires actuels, après quelques modifications.

Certains pensent que l’utilisation de l’ammoniac comme carburant en tant que tel – sans le convertir en hydrogène – pourrait s’avérer extrêmement efficace. Moyennant quelques modifications mineures, l’ammoniac peut être brûlé dans les moteurs à combustion interne conventionnels et les turbines à gaz, ce qui en facilite la démocratisation dans le secteur industriel.

 

Il y a ammoniac gris et ammoniac vert

Aujourd’hui, le monde ne peut pas se passer d’ammoniac. La moitié de la production mondiale de nourriture en dépend puisqu’il s’agit de l’élément clé des engrais azotés. Il est aussi employé pour traiter l’alimentation animale. Cependant, la fabrication de l’ammoniac «gris» nécessite environ 5% de la consommation mondiale de gaz naturel.

Il n’existe aujourd’hui qu’une seule alternative techniquement envisageable, utiliser de l’hydrogène vert (produit de façon décarbonée) pour fabriquer de l’ammoniac «vert».

Bref, l’ammoniac vert est dérivé de sources d’énergie renouvelable. La production d’ammoniac vert utilise de l’hydrogène provenant de sources d’énergie renouvelable au lieu du gaz naturel ou du charbon et réduit ainsi

les émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit d’un procédé de production d’ammoniac renouvelable et sans carbone.

Si la question technique et technologique de l’ammoniac vert devait être résolue, le problème le plus difficile aujourd’hui est celui de sa viabilité économique. Il faut beaucoup d’électricité décarbonée pour produire de l’hydrogène vert et de l’ammoniac vert et cela est beaucoup plus coûteux que d’utiliser du gaz naturel.

Il faudra donc que les prix de l’électricité décarbonée continuent à baisser et que pour alimenter des installations industrielles, des productions non intermittentes de type hydraulique, nucléaire et géothermique soient disponibles.

 

Quelles sont les caractéristiques de l’ammoniac vert?

L’ammoniac vert a plusieurs caractéristiques, parmi lesquelles:

• Une liquéfaction plus facile que l’hydrogène: l’hydrogène doit atteindre des températures cryogéniques inférieures à -253 °C pour être transporté sous forme liquide. Ce processus à lui seul nécessiterait une énergie équivalente à un tiers de la production totale d’hydrogène liquéfié. L’ammoniac, lui, se liquéfie à -33°C et ne requiert pour ce faire qu’une faible pression.

• Facilité de transport: contrairement à l’hydrogène, l’ammoniac est déjà expédié dans le monde entier, en grande quantité, et de nombreux ports sont déjà en mesure de le stocker et de le traiter en toute sécurité.

• Une conversion grâce aux énergies renouvelables: comme le rappelle l’entreprise Engie, convertir de l’ammoniac en hydrogène demande normalement de grandes quantités d’énergie thermique issue d’énergies fossiles, ce qui est paradoxal étant donné l’objectif de l’utilisation de ce composé. Mais en novembre 2020, des chercheurs de l’Université Northwestern ont annoncé qu’ils avaient développé un processus efficace pour réaliser cette conversion uniquement grâce à de l’électricité renouvelable. 

• Un élément plus «vert»: l’ammoniac n’émet pas de carbone, et ce, pour une raison simple: il n’en contient pas. Mais cela ne signifie pas qu’il est sans risque. Ses détracteurs rappellent notamment que la combustion d’ammoniac peut libérer de l’azote et des nitrates, dont le cycle n’est pas aussi bien étudié que celui du carbone.

 

Part de marché par type de technologie d’électrolyse

Le marché mondial de l’ammoniac vert est divisé en différents types de technologies d’électrolyse, telles que l’électrolyse de l’eau alcaline (AWE), la cellule d’électrolyse à oxyde solide (SOEC) et l’électrolyse à membrane à électrolyte polymère (PEM).

Parmi ces technologies, le segment des cellules d’électrolyse à oxyde solide devrait connaître le taux de croissance le plus élevé au cours de la période de prévision. Cela peut être attribué à ses avantages notables, notamment son rendement électrique élevé, qui surpasse les électrolyseurs conventionnels avec une amélioration remarquable de plus de 30%, et le faible coût des matériaux.

En outre, la SOEC offre la possibilité de fonctionner en mode coélectrolyse, ce qui facilite la production de gaz de synthèse à partir de vapeur d’eau et de dioxyde de carbone.

 

À SUIVRE -> Quelle croissance pour la thématique?

Quelle croissance pour la thématique?

La taille du marché mondial de l’ammoniac vert est estimée à 701 millions de dollars américains en 2024 et devrait croître à un TCAC de plus de 72%, au cours de la période de prévision 2024-2032.

La croissance de la taille du marché de l’ammoniac vert au cours de la prochaine décennie devrait résulter de l’augmentation prévue de la demande d’alternatives durables aux méthodes conventionnelles de production d’ammoniac.

Des facteurs tels que la préoccupation croissante pour la pollution de l’environnement causée par l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre provenant de la production d’ammoniac à partir de combustibles fossiles conventionnels sont l’un des principaux facteurs prévus pour stimuler la croissance du marché.

En outre, l’adoption croissante de technologies à haut rendement énergétique pour la production d’ammoniac devrait également créer de nombreuses opportunités pour la croissance du marché au cours de la période de prévision.

 

Le transport maritime en ligne de mire

L’ammoniac offre l’avantage considérable d’une densité énergétique neuf fois supérieure à cette des batteries lithium-ion et trois fois supérieures à celle de l’hydrogène gazeux compressé. Cela signifie qu’il serait idéal pour faire fonctionner les moteurs des grands navires. Pour mémoire, on estime que le secteur est responsable d’environ 2% des émissions mondiales de carbone.

L’ammoniac est l’un des seuls carburants zéro carbone qui permettra aux acteurs du secteur de naviguer. MAN Energy Solutions, un fabricant de moteurs marins, a annoncé que son premier moteur à ammoniac qui a été mis en service fin 2022.

Le Japon quant à lui s’est engagé à utiliser l’ammoniac pour le transport maritime dès la fin de la décennie et a même commencé à en brûler au sein de ses centrales thermiques.

 

Qui sont les leaders dans l’ammoniac vert?

Aujourd’hui, plusieurs grands producteurs d’ammoniac dans le monde ont annoncé des projets pour fabriquer de l’hydrogène par électrolyse avec de l’électricité décarbonée et ensuite donc de l’ammoniac vert.

Le groupe norvégien Yara, par exemple, l’un des plus grands producteurs mondiaux d’engrais et d’ammoniac, a des projets pilotes en Australie, en Norvège et aux Pays-Bas. En électrifiant son usine de production d’ammoniac en Norvège, Yara annonce qu’il pourra réduire de 800’000 tonnes par an ces rejets de CO2 dans l’atmosphère.

On peut aussi citer le groupe américain CF Industries, l’espagnol Iberdrola, le Asian Renewable Energy Hub et Fortescue Metals Group en Australie, qui ont aussi lancé des projets.

 

Synthèse

L’ammoniac ne va pas remplacer les carburants fossiles. Mais il est à la fois un élément indispensable pour nourrir la planète et une possibilité de devenir, notamment pour le transport maritime, un carburant de substitution.

La hausse des prix de l’énergie «classique» à laquelle nous assistons actuellement va permettre à certains combustibles « verts » qui étaient considérés comme trop chers à devenir mécaniquement plus abordables (en plus des subventions étatiques indispensables). L’ammoniac vert en fait partie. 

 

 

Ce texte est tiré de l’infolettre quotidienne de John Plassard, gracieuseté de Mirabaud

 

** Veuillez prendre note que les visuels de notre expert sont présentés en anglais à titre informatifs et ne peuvent être traduits par notre équipe. Merci de votre compréhension.