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Gabriel Fortin

L'entrefilet de JosFinance

Gabriel Fortin

Expert(e) invité(e)

Boucles d’Or et les marchés boursiers

Gabriel Fortin|Publié le 07 février 2023

Boucles d’Or et les marchés boursiers

(Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. Après une année 2022 désastreuse sur les marchés boursiers, l’embellie des dernières semaines est accueillie à bras ouverts par une grande majorité d’investisseurs. La traversée du désert serait terminée si l’on en croit le rebond de près de 16% sur l’indice du S&P 500 amorcé  en octobre dernier. Épris par un besoin instinctif d’agir plutôt que de rester flegmatiques, les investisseurs ont rapidement renoué avec leurs esprits animaux à la vue d’irrésistibles chandelles vertes sur leurs écrans. Après tout, la présente conjoncture économique «Boucle d’or» n’est-elle pas propice à ce genre de comportement? 

 

Une conjoncture économique «Boucle d’or»

Le resserrement monétaire amorcé par la Réserve fédérale américaine au printemps 2022 donne finalement des résultats. Après avoir atteint une croissance annuelle de 9,1% en juin 2022, l’inflation américaine a depuis fermement entamé sa descente. Après six mois consécutifs de décroissance, elle se situe actuellement à 6,5%. Sur une base mensuelle, l’inflation a même laissé place à de la déflation, c’est-à-dire que les prix, tels que mesurés par le Bureau of Labor Statistics, ont carrément chuté de novembre à décembre 2022.  

Par ailleurs, en dépit du resserrement monétaire, le marché de l’emploi américain demeure très robuste. Le taux de chômage est historiquement bas et les créations d’emplois continuent de se compter par centaines de milliers mois après mois. Malgré cela, à l’instar de l’inflation, le rythme d’accroissement des salaires a, lui aussi, entamé sa descente. Même si les hausses salariales restent élevées par rapport à la cible d’inflation de la Fed, la banque centrale peut souffler un peu. Le risque de voir une spirale prix-salaires s’enraciner semble maîtrisé. De plus, la résilience du marché de l’emploi face au resserrement de la politique monétaire participe à soutenir la croissance économique américaine qui reste au rendez-vous.  

À la lumière d’un environnement économique plutôt positif, la Réserve fédérale américaine serait sur le point d’annoncer, comme l’a fait la Banque du Canada récemment, une pause du côté de ses hausses de taux directeur. Le cycle de resserrement monétaire tire à sa fin et ce «pivot» de politique monétaire pourrait être annoncé au cours de l’une des deux prochaines rencontres du FOMC. Jugeant l’inflation résolument engagée sur une trajectoire descendante et voulant profiter de cette conjoncture économique «Boucles d’or», ce potentiel «pivot» pourrait permettre à la Fed de piloter un atterrissage en douceur de l’économie. C’est ce scénario qui est généralement anticipé et qui surexcite les marchés boursiers depuis le début de l’année.  

 

Le fantasme de l’atterrissage en douceur 

Or, l’histoire démontre que la politique monétaire n’a d’effet qu’après un décalage long et variable. Qui plus est, depuis 1961, 7 des 10 cycles de resserrement monétaire recensés (1) ont donné naissance à une récession. La Réserve fédérale américaine n’a réussi à manœuvrer que trois atterrissages contrôlés de l’économie, soit en 1971, 1984 et 1995. Fait à noter, au cours de ces trois périodes, la courbe de rendement obligataire sur les maturités 3 mois et 10 ans ne s’est jamais inversée. Autrement dit, à chaque fois que le cycle de resserrement monétaire a eu pour conséquence de renverser la courbe de rendement, la Fed a plongé l’économie américaine en récession. Étant donné que celle-ci est actuellement fortement inversée, tout porte à croire qu’une récession plane à l’horizon.  

La performance exceptionnelle que connait le marché de l’emploi actuellement n’est pas incompatible avec ce scénario récessionniste. Le taux de chômage atteint systématiquement son point culminant plusieurs mois après la fin du resserrement monétaire lorsque celui-ci accouche d’une récession. Tout porte à croire que l’économie est donc loin d’avoir entièrement absorbé la dose de sédatif que lui a administré la banque centrale américaine. Pour ce qui est des cours boursiers, le paroxysme de la douleur est ressenti seulement lorsque le rideau se lève sur la récession. C’est d’ailleurs à ce moment que le marasme économique est à son zénith et que les profits des entreprises font une visite abyssale. Par conséquent, l’exaltation frénétique des marchés boursiers que l’on connait depuis le début de l’année est vraisemblablement passagère.  

La situation économique actuelle laisse croire qu’un atterrissage en douceur de l’économie est possible. Le dragon de l’inflation est pratiquement vaincu ; le marché de l’emploi reste extrêmement solide ; la croissance économique est toujours au rendez-vous et les résultats des entreprises tiennent bon. Toutefois, cette conjoncture économique «Boucle d’or» est, en toute vraisemblance, éphémère. Du moins, c’est ce que mettent en évidence les 10 cycles de resserrement monétaire s’étant déroulés au cours des 60 dernières années. À moins que ce cycle soit différent, l’effet cumulé des hausses de taux directeur finira bel et bien par frapper l’économie et, par le fait même, les marchés boursiers. 

 

1-Le cycle de resserrement monétaire précédent la pandémie de COVID-19 a été exclu de mon analyse compte tenu du phénomène extraordinaire l’ayant caractérisé.