Bourse: partie remise pour la Longueuilloise KDC/One?
Dominique Beauchamp|Publié le 24 septembre 2021(Photo: Raphael Lovaski pour Unsplash)
ANALYSE. KDC/One se rétracte sans fard. Le fabricant de produits de beauté de Longueuil qui espérait entrer en Bourse et obtenir une valeur de 3 milliards de dollars américains (G$US) et récolter de 800 à 900 millions $US se ravise à cause des «conditions de marché».
Son porte-parole, Michael Salzillo, cite la «volatilité» des marchés pour expliquer sa marche arrière. La Bourse américaine vient de connaître trois semaines de recul au moment où l’inflation gronde, les ruptures d’approvisionnent s’accentuent et la Chine intervient pour gérer la crise de liquidités du promoteur immobilier Evergrande.
Le fabricant et emballeur mondial de produits de soins personnels et d’entretien ménager pour les Procter & Gamble et Unilever de ce monde entre autres a rencontré plusieurs des objectifs qu’il s’était fixés en 2019. Ses revenus atteignent 2,1 G$US. L’entreprise est plus diversifiée que jamais tant par catégories de produits que par marchés, à la suite d’une série de sept acquisitions en 2020. KDC a aussi fait sa première incursion en Chine avec l’achat de Shanghai Paristy Daily Chemical en janvier 2020.
KDC compte 25 installations de fabrication, emploie 15 000 personnes et exerce ses activités dans 14 pays.
Entre 2013 et 2017, ses revenus avaient doublé à presque 1,3 G$. En 2019, le PDG Nicolas Whitley avait dit au Journal de Montréal vouloir encore doubler la taille de l’entreprise qu’il dirige du New Jersey depuis 2019.
Rappelons que KDC est née en 1990 du rachat par les cadres de l’usine Clairol située à Knowlton dans les Cantons de l’Est.
Une dette de 1,78 G$US
L’énorme dette de 1,78 G$US, soit 14 fois le bénéfice d’exploitation de 125,8 M$US de l’exercice clos en avril 2021 a peut-être refroidi l’enthousiasme d’acheteurs potentiels alors que les taux d’intérêt remontent.
Cette dette, qui aurait diminué de moitié grâce au premier appel public à l’épargne, a tout de même coûté plus de 78,2 M$US en frais d’intérêts pour le seul exercice clos en 2021. En raison d’investissements «considérables» dans les usines, l’expansion internationale et les acquisitions, la société cumule aussi un déficit de 229,7 M$US depuis 2018.
Le prospectus laisse aussi entendre que les profits pourraient se faire attendre en raison des dépenses élevées du plan d’expansion.
«Nous prévoyons investir environ 200 M$US en dépenses d’investissement au cours de l’exercice 2022 afin de soutenir davantage la croissance de la clientèle actuelle, notamment avec le début des activités dans la nouvelle installation à Colombus (qui double sa taille), en Ohio, au deuxième semestre, d’accroître la capacité afin de pouvoir répondre à la demande, d’ajouter de nouvelles technologies et d’étendre notre présence au Mexique [en ajoutant 70 % à sa capacité]», peut-on lire dans le prospectus de 412 pages.
Une fois en Bourse, KDC n’excluait pas de revenir au marché pour émettre de nouvelles actions pour se désendetter davantage et financer ses ambitions.
L’exemple de Bain Capital
En soi, le portrait financier n’est pas nécessairement mauvais. Après tout, le fonds privé Bain Capital a connu un succès financier phénoménal lors des rachats par effet de levier des détaillants Sleep Country (ZZZ, 35,96$), Shoppers Drug Mart, Dollarama (DOL, 57,47$) et du fabricant de véhicules récréatifs BRP (DOO, 123,24$).
Le rachat par effet de levier consiste à fournir une partie du capital dans une offre sous forme de capital propre, puis d’emprunter le reste. Cette dette se retrouve ensuite sur le bilan de la société acquise.
Bain Capital aurait quintuplé son investissement initial dans certains cas. À titre d’exemple, Bain Capital avait payé 1,1 G$ pour Dollarama en 2004 dont la valeur atteint aujourd’hui 17,5 G$. Le fonds a triplé au minimum son investissement, si l’on se fie au coût d’achat moyen de 8,20 $ par action et aux ventes réalisées entre 17,50 et 32,50 $.
Les actionnaires de ces entreprises en ont aussi grandement profité, même après le départ du fonds privé. Bain Capital avait offert l’équivalent de 1,1 G$ CA en 2003 pour BRP dont la valeur est 9,9 fois plus importante, 18 ans plus tard.
Un tel rendement financier fait probablement rêver le fonds privé new-yorkais Cornell Capital qui a racheté KDC/One en 2018 et dont il détient 43 % des actions.
CDPQ Capital détient aussi 18 % des actions et aurait aussi rentabilisé ce placement qui remonte à 2014.
Avec de tels rendements potentiels, on comprend mieux pourquoi les placements privés intéressent tant la Caisse de dépôt et placement au moment où ceux que procureront les actifs traditionnels deviennent plus incertains.
Le retrait du premier appel public à l’épargne oblige KDC/One à revenir au plan de croissance initial en tant que société privée, nous ont fait part KDC/One et la CDPQ. «La CDPQ continuera d’investir dans la croissance et l’expansion de l’entreprise, comme nous le faisons depuis plusieurs années», a indiqué la porte-parole de la Caisse par courriel.
Il n’a pas été possible de rejoindre Cornell Capital au cours des derniers jours.
Les fabricants moins prisés que la techno
Les marchés ont actuellement un penchant marqué pour les recrues de technologie comme le démontre l’avalanche américaine d’appels publics à l’épargne dans ce secteur. Toronto profite de cette manne avec seize entrées en Bourse de sociétés de technologie depuis juillet 2020.
Un fabricant plus traditionnel a moins la cote comme le démontre le retrait en juin du retour à la Bourse du concepteur et manufacturier d’éclairages architecturaux Lumenpulse, de Longueuil.
Pourtant, la Torontoise de 12,5 G$, CCL Industries (CCL. B, 69,60 $), bien connue pour ses emballages et ses étiquettes destinées aux produits de grande consommation, a connu une performance appréciable ces dernières années.
Le titre de cette multinationale a gagné 20% depuis le début de l’année et a procuré un rendement total de 37,7% depuis cinq ans (incluant le dividende), incluant le dividende. CCL a aussi grandi au fil de multiples acquisitions.
KDC/One est bien plus qu’un emballeur. Le fabricant intégré verticalement accompagne plus de 700 clients de la conception jusqu’à la production. La société estime que 70 % de ses revenus proviennent de produits développés conjointement avec ses clients.
Il y a fort à parier que KDC/One tentera sa chance à nouveau éventuellement pour financer ses grandes ambitions.