Bruyant, le minage de cryptomonnaie ne fait pas que des heureux
La Presse Canadienne|Publié le 21 novembre 2019«Ça détruit l'environnement, ça détruit la santé des humains, par le stress.»
Au printemps dernier, Bitfarms se présentait comme une «entreprise socialement responsable», qui valorise l’hydroélectricité inutilisée du Québec pour alimenter l’«économie numérique» de la province, tout en générant d’intéressantes recettes pour des régions en difficultés.
Mais depuis ce temps, la société de «minage de cryptomonnaie» a elle-même connu ses difficultés. Bitfarms a perdu le mois dernier son président et cofondateur, Pierre-Luc Quimper, en plus de trois autres cadres supérieurs. Le cours de l’action a aussi perdu environ 30 pour cent depuis sa première inscription à la Bourse de croissance TSX en juillet. Et les citoyens qui habitent à proximité des installations de «minage» de l’entreprise à Sherbrooke affirment que le bruit des ventilateurs est devenu insupportable.
Les dirigeants de Bitfarms assurent que les récents départs de dirigeants sont des choses qui arrivent en entreprise et ils font confiance aux investisseurs. Quant au bruit, Bitfarms soutient que le mur de 23 mètres qu’elle a proposé de construire à l’extérieur de l’usine de Sherbrooke contribuera à rétablir la paix et la tranquillité dans le secteur.
Mais les riverains n’en sont pas si sûrs. Marcel Cyr, qui habite en face de l’installation de Bitfarms, de l’autre côté de la rivière Magog, rappelle qu’à la suite des plaintes de résidants, l’entreprise a augmenté sa capacité _ et a même annoncé une nouvelle expansion. «Ils ont une réaction qu’ils disent de bonne foi et au début, on les a crus, confie M. Cyr au téléphone. Maintenant, on ne les croit plus (…) Comment voulez-vous qu’on les croie?»
Jusqu’à récemment, Bitfarms était vu au Québec comme un géant naissant de Bitcoin, dirigé par le cofondateur millionnaire Pierre-Luc Quimper, qui avait créé sa première entreprise informatique à l’âge de 14 ans. Bitfarms a investi environ 80 millions $ au Québec depuis le début de ses activités en 2017. Elle utilise actuellement cinq centres de cryptominage au Québec, essentiellement de vastes espaces hébergeant des milliers de petits ordinateurs conçus pour faire du «hachage» _ des milliards de tentatives par seconde pour résoudre un problème mathématique complexe.
Le premier ordinateur à résoudre le problème _ en concurrence avec des appareils similaires dans le monde entier _ reçoit une récompense Bitcoin, la principale source de revenus de Bitfarms. Chaque bitcoin vaut actuellement environ 11 000 $.
De bruyants ventilateurs
Les ordinateurs de Bitfarms fonctionnent généralement 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et consomment d’énormes quantités d’énergie. C’est ce caractère énergivore qui a poussé Bitfarms et des entreprises semblables à s’installer au Québec et à tirer profit de son hydroélectricité relativement bon marché et abondante. L’entente entre la Ville de Sherbrooke et Bitfarms a permis à l’entreprise d’obtenir une garantie d’approvisionnement de 98 mégawatts d’Hydro-Sherbrooke. La Ville devrait recevoir environ 3 millions $ par an pour cette électricité.
Mais certains résidants sont furieux. Ces ordinateurs qui tournent à plein régime produisent beaucoup de chaleur et de grands ventilateurs sont nécessaires pour maintenir les installations au frais. Or, ces énormes ventilateurs, qui vrombissent jour et nuit, rendent fous des citoyens comme Marcel Cyr. «Ça détruit l’environnement, ça détruit la santé des humains, par le stress, la quiétude (…) dans ce qui était le secteur le plus tranquille de la ville de Sherbrooke, dit-il. On avait la paix, on veut que la paix revienne.»
Le conseiller municipal Marc Denault admet que si la Ville avait été prévenue de ce problème de bruit, elle n’aurait pas laissé l’entreprise s’installer dans l’ancienne usine de bâtons de hockey Sherwood. «Et je suis convaincu que Bitfarms aussi n’aurait pas choisi cet endroit-là», dit-il en entrevue.
En mai dernier, Pierre-Luc Quimper était gonflé d’optimisme. «L’avenir est devant nous», déclarait-il à La Presse canadienne. Mais il a tout de même démissionné en octobre, accompagné des vice-présidents Anthony Lévesque et Louis Valois et du responsable des relations publiques, Bahador Zabihiyan. Une source au fait des activités de Bitfarms, qui a requis l’anonymat, a évoqué des tensions entre les équipes de direction à Toronto et au Québec. «Les activités et les revenus sont au Québec, mais les bureaux sont à Toronto.»
Conflit de visions
Wes Fulford, PDG de Bitfarms, à Toronto, parle «de commérages». Mais sa description du départ de M. Quimper laisse tout de même entrevoir un conflit de personnalités _ ou du moins d’orientations. «Il n’a jamais eu de patron. Il n’a jamais eu de conseil d’administration: il a été impliqué dans de petites entreprises en croissance», explique-t-il.
Dans un communiqué transmis à La Presse canadienne, Pierre-Luc Quimper écrit: «Avec les trois autres fondateurs, nous avons embauché Wes (Fulford) pour nous aider à mettre en ?uvre notre vision. À un moment donné, ma vision d’entrepreneur et d’homme d’affaires était différente de celle de Wes, qui a une expérience bancaire traditionnelle».
De retour à Sherbrooke, le conseiller Denault a déclaré que Bitfarms avait montré sa volonté de résoudre le problème du bruit. Le PDG Fulford a annoncé que Bitfarms rénoverait l’intérieur de l’usine et construirait un mur extérieur pour atténuer le bruit des ventilateurs.
Il semble que l’entreprise a l’habitude de régler ses problèmes de bruit. Patrick Melchior, maire de Farnham, en Montérégie, qui accueille également une installation de Bitfarms, a déclaré que des résidants s’étaient aussi plaints du bruit en 2017. «Ils ont été tout de suite très coopératifs, leur but n’était vraiment pas de ne pas être un bon concitoyen corporatif, alors ils ont tout de suite travaillé avec une firme pour savoir comment réduire le bruit, confie-t-il. Les citoyens étaient très satisfaits, dossier clos», en quelques mois.