(Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. Le 17 octobre marquait le premier anniversaire de la légalisation du cannabis au Canada. Et ce fut une année remplie d’émotions. Les cinq plus grandes sociétés canadiennes cotées en bourse du secteur (Canopy Growth, Aurora Cannabis, Groupe Cronos, Tilray et Aphria) avaient une valeur marchande d’environ 50 G$ il y a un an, mais celle-ci s’établit maintenant à 27 G$, soit une perte moyenne de 46%. Tout ceci après avoir collectivement obtenu des financements de plusieurs milliards de dollars au cours des dernières années.
Un analyste financier impartial aurait facilement pu éviter ce domaine avec quelques calculs rapides.
En 2017, avant la légalisation, Statistique Canada a déclaré que les Canadiens ont dépensé 5,6 milliards (G)$ dans la consommation de produits du cannabis. En estimant que la légalisation pouvait potentiellement doubler la taille du marché, celui-ci atteindrait environ 10G$. Cette estimation nous semble généreuse puisque les ventes de bière au Canada sont d’environ 9G$ par an. Bref, avec une marge bénéficiaire nette de 10% et à 20 fois les bénéfices courants, on obtient une valeur totale possible de 20G$ pour le marché (10G$ x 10% x 20).
À titre de comparaison, Molson Coors génère des marges nettes de 8,5% et se négocie à 14 fois les bénéfices. L’année dernière, avec une valeur de 50G$, les investisseurs évaluaient les cinq sociétés à 2.5 fois nos plus optimistes prévisions pour l’ensemble du secteur, et ce même en considérant que le marché noir détient encore une bonne partie du marché à ce jour.
Peut-être que les acteurs du marché boursier prévoient que les cinq grands joueurs domineront un jour les marchés internationaux. Tout ceci est bien possible. Cependant, il est difficile de croire qu’aucune concurrence internationale ne verra le jour. On parle quand même ici de produits agricoles ou d’une commodité qui ne nécessite aucune connaissance technologique, ou d’autre nature, qui pourrait agir comme une barrière à l’entrée.
Ou bien peut-être que les investisseurs attendent que ces sociétés développent de grandes marques de commerce afin d’obtenir un avantage concurrentiel? Ici aussi, la logique semble erronée. La loi fédérale sur le cannabis interdit toute publicité directe ou indirecte. Les entreprises doivent utiliser un emballage simple qui ne peut contenir d’élément de marque qui évoque par leur présentation «une façon de vivre intégrant notamment du prestige, des loisirs, de l’enthousiasme, de la vitalité, du risque ou de l’audace». En d’autres termes, tout ce qui peut aider à créer une marque de commerce forte! Les sanctions comprennent des amendes pouvant aller jusqu’à 5 millions de dollars et trois ans de prison. Les entreprises du tabac ont pu utiliser la publicité pendant des décennies avant que celle-ci ne soit interdite, un luxe dont les producteurs de cannabis ne pourront jamais profiter. Pour l’instant, ils devront vendre simplement leur cannabis sans posséder une réelle différenciation.
Ces cinq grandes entreprises ont augmenté leur chiffre d’affaires de 227M$ à 927M$ au cours de la dernière année, mais ont également augmenté leurs pertes d’exploitation de 268M$ à 1,2G$.
Cette année nous démontre encore qu’il est presque toujours une mauvaise idée de suivre les modes. Les investisseurs qui ont choisi de miser sur l’industrie du cannabis apprennent que, tout comme leur produit, leur plus-value est partie en fumée!
Patrick Thénière, CIM, Associé Barrage Capital