De nouveaux dirigeants ont pris la tête de ces quatre sociétés québécoises dans la dernière année. Chacun se ...
De nouveaux dirigeants ont pris la tête de ces quatre sociétés québécoises dans la dernière année. Chacun se positionne différemment entre la continuité et la cassure avec leur prédécesseur. Voici le point sur leur stratégie.
LE CN A FAIT DES PROGRÈS
Un an après avoir été appelé en renfort par le conseil d’administration du Canadien National (CNR, 119,84 $), Jean-Jacques Ruest a réussi à désengorger le réseau du transporteur ferroviaire. Si le CN est toujours vu comme le chef de file de son industrie, certains analystes se demandent si l’économie ne pourrait pas mettre un frein à la progression du titre.
«La situation s’est grandement améliorée lorsqu’on regarde les résultats récents, commente David Caron, gestionnaire de portefeuille chez iA Groupe financier. Ça montre que M. Ruest était la bonne personne pour régler ces problèmes. Son expérience en tant que chef du marketing au CN était un atout pour entretenir la relation avec les clients à un moment où la détérioration du réseau avait entraîné de l’insatisfaction.»
Benoit Poirier, de Desjardins Marché des capitaux, souligne que la société a réalisé les 27 projets d’infrastructure de son plan de désengorgement prévu en 2018 en respectant l’échéancier et le budget. Elle prévoit maintenant réaliser des dépenses d’investissement record de 3,9 milliards de dollars en 2019, comparativement à 3,5 G$ en 2018. Ces investissements permettront d’augmenter la capacité du CN sur certains corridors clés et d’acheter près de 140 nouvelles locomotives.
Les dépenses prévues pour 2019 sont plus élevées que ce qu’avait anticipé Bay Street. Celles-ci permettront au CN de s’assurer qu’elle a assez de place sur son réseau pour saisir toutes les occasions de croissance à sa portée, commente M. Poirier. «Après 2019, les dépenses d’investissement devraient revenir à un seuil de 20 % des revenus plutôt que le seuil de 25 % en 2018-2019, estime l’analyste. Cette baisse sera une source importante de génération de flux de trésorerie.» Il recommande l’achat du titre et émet une cible de 127 $.
Grâce aux progrès réalisés, la comparaison avec l’année passée devrait être plus facile, reconnaît Cameron Doerksen, de Financière Banque Nationale. L’analyste souligne toutefois que le contexte macroéconomique demeure incertain tandis que l’action s’échange à un multiple supérieur aux pairs. Le titre s’échange à 18,2 fois la prévision de bénéfice 2019 du consensus des analystes, selon Reuters. La moyenne de l’industrie est à 16,4 fois. M. Doerksen reste donc sur les lignes de côté avec une recommandation «performance de secteur» et une cible de 110 $.
Le contexte économique soulève aussi des doutes chez David Caron, de iA Groupe financier. Le gestionnaire de portefeuille se dit «surpris par la faiblesse de certains indicateurs macroéconomiques» dévoilés dernièrement. Il reconnaît que la société affronterait la prochaine récession en bonne posture, car elle a réussi à augmenter ses prix et les volumes de marchandises transportées.
Malgré la qualité de l’entreprise, son titre demeure cyclique. «C’est difficile, pour une entreprise comme le CN, qui a un grand réseau, de réduire ses coûts au même rythme que la baisse des revenus qu’entraîne une récession, explique M. Caron. Les transporteurs ferroviaires sont des entreprises qui sont particulièrement affectées lors d’une récession.»
Pour l’instant, son portefeuille demeure surpondéré sur le titre du CN, mais le gestionnaire n’en augmenterait pas sa participation dans le contexte actuel. Il évoque même la possibilité de réduire sa position si le contexte économique se détériore davantage.
Allison Landry, de Credit Suisse, juge qu’il est trop tôt pour devenir pessimiste au sujet de l’industrie ferroviaire. En cas de faiblesse économique, le titre du CN pourrait tout de même résister, ajoute-t-elle. «Le titre a historiquement mieux performé que ses pairs, précise-t-elle. Pour cette raison, nous croyons que le CN pourrait profiter d’un refuge des investisseurs vers les titres de qualité.»
Ravi Shanker, de Morgan Stanley, croit que le titre a encore des catalyseurs à l’horizon tandis que se dessine «le CN de la prochaine décennie». L’entreprise est technologiquement en avance sur ses concurrents, estime l’analyste. Il voit aussi plusieurs nouvelles avenues de croissance que la société pourrait explorer, notamment dans le transport intermodal. Les investisseurs pourraient en savoir plus en juin prochain, lors de la journée des investisseurs. M. Shanker pense que l’événement pourrait donner un autre élan au titre.
INDUSTRIELLE ALLIANCE : UN CHANGEMENT DANS LA CONTINUITÉ
«Business as usual», comme on dit dans la langue de Warren Buffett. Denis Ricard, PDG d’Industrielle Alliance (IAG, 49,27 $) depuis septembre, veut poursuivre dans la même lignée que son prédécesseur, Yvon Charest. L’ancien chef de l’exploitation s’est donné l’objectif de continuer d’accroître le bénéfice de l’assureur de Québec à un rythme annuel de 10 %.
Il est encore trop tôt pour dire si M. Ricard s’inscrira dans la continuité, estime Christine Décarie, gestionnaire de portefeuille chez Placements Mackenzie. D’un côté, elle note que d’autres dirigeants importants de l’entreprise ont quitté l’entreprise ou vont le faire. C’est le cas de l’actuaire en chef René Chabot, en 2017, et de Michel Tremblay, chef des placements, qui partira à la fin mai.
Par contre, elle note que les postes remplacés l’ont été jusqu’à maintenant par des vétérans de l’entreprise. À cet égard, M. Ricard a fait toute sa carrière à Industrielle Alliance, où il a été embauché à la sortie de ses études, en 1985. «Ce sont des choses qu’on aime voir, commente Mme Décarie, qui gère un fonds de sociétés québécoises. Ça montre une certaine profondeur dans les rangs d’Industrielle Alliance, mais il est encore trop tôt pour tirer des conclusions.»
Stratégie : continuité
Pour l’instant, les objectifs de M. Ricard semblent s’inscrire dans la continuité. Le dirigeant veut maintenir la croissance annuelle du bénéfice à un rythme de 10 %. Il garde la porte ouverte à des acquisitions dans le segment de la distribution au Canada, dans la foulée des acquisitions de PPI Management en 2018 et Patrimoine Hollis en 2017. L’Industrielle Alliance veut également doubler sa taille aux États-Unis, où elle a une expertise dans les garanties prolongées aux concessionnaires automobiles et dans l’assurance funéraire.
La stratégie de l’Industrielle Alliance dans la gestion du patrimoine soulève toutefois des interrogations tandis que la division affronte des vents de face. L’assureur mise sur l’intégration de l’acquisition de Hollis, qui a augmenté la taille de l’actif sous gestion et le nombre de conseillers. De plus, elle donne la possibilité de vendre plus de ses propres produits dans le réseau de Hollis.
Sumit Malhotra, de Banque Scotia, pense que la division Gestion de patrimoine renouera avec la croissance en 2019 avec une progression de 15 % du bénéfice, grâce à l’intégration de Hollis. L’analyste juge cependant que le ralentissement de la croissance dans le secteur de la gestion de patrimoine est à surveiller, d’autant plus que le secteur de l’assurance individuelle stagne. Il préfère donc rester à l’écart avec une recommandation «performance de secteur». Son opinion demeure minoritaire alors qu’il est l’un des deux analystes sur neuf qui restent sur les lignes de côté, selon Reuters. Les sept autres recommandent l’achat.
Au sujet du plan de croissance aux États-Unis, Mme Décarie aime voir que l’assureur a choisi d’y aller progressivement. «Ils le font par petits pas, commente-t-elle. Aller aux États-Unis est une bonne chose, mais c’est un marché différent, alors j’aime bien voir qu’ils prennent leur temps.»
Impossible de parler d’assureurs sans parler des taux d’intérêt, qui ont un impact sur les hypothèses actuarielles. «L’un des premiers changements stratégiques communiqués par Denis Ricard, PDG, a été son objectif d’éliminer la sensibilité de l’assureur aux taux d’intérêt d’ici 2020», rapporte M. Malhotra. À la fin de 2018, la direction estime que chaque baisse de 10 points de base sur son taux de rendement interne aurait un impact d’environ 10 millions de dollars sur le bénéfice.
Dans le scénario où les taux augmenteraient d’ici 2020, Darko Mihelic, de RBC Marchés des Capitaux, doute qu’une telle hausse ait un impact favorable sur les bénéfices. En théorie, il estime qu’une hausse de 10 points de base du taux de rendement interne aurait un impact favorable similaire à celui d’une baisse, soit 10 M$. «Par contre, nous croyons que la société profiterait d’un environnement de taux élevé pour augmenter sa réserve plutôt que d’inscrire ces gains aux bénéfices.»
MTY MAINTIENT LE CAP SUR LES ACQUISITIONS
Lorsqu’il a remplacé Stanley Ma à la tête du Groupe MTY (MTY, 58,79 $), en novembre, Éric Lefebvre a dit vouloir conserver la recette qui a fait le succès du franchiseur montréalais. Petit changement au menu, l’ancien chef des finances a l’intention de porter une plus grande attention aux ventes comparables.
Derek Lessard, de Valeurs mobilières TD, croit que cet objectif transparaît dans certains changements effectués à la direction. L’entreprise a réparti les tâches du chef de l’exploitation au Canada en trois postes : restaurants décontractés avec services aux tables, restaurants décontractés rapides et restauration rapide.
«Ces changements répondent à des inquiétudes que nous avions depuis longtemps en ce qui a trait à la sous-performance des activités traditionnelles», commente M. Lessard. «Autrement dit, la direction revient à une démarche plus disciplinée dans ses activités de franchisage.» Il reste du travail à faire à cet égard, car les ventes comparables ont soulevé des inquiétudes au quatrième trimestre 2018, en déclinant de 1,3 %.
Stratégie d’acquisition
Si une amélioration des ventes comparables est la bienvenue, la stratégie de croissance par acquisitions demeure toujours une bonne raison d’investir dans l’entreprsie, croit Philippe Le Blanc, président et chef des placements chez Cote 100, à Saint-Bruno. «Évidemment, on ne veut pas une décroissance, mais une légère augmentation des ventes comparables serait amplement suffisante pour que l’entreprise puisse créer beaucoup de valeur.»
Les occasions de consolidation dans le marché américain seraient nombreuses pour l’entreprise québécoise, selon M. Le Blanc, qui détient des actions de MTY en portefeuille. «La machine à acquisitions est loin d’être brisée, à mon avis. Depuis l’acquisition de Kahala Brands, l’entreprise a une plateforme qui lui permet maintenant de faire des acquisitions aux États-Unis. C’est un marché très gros et fragmenté.»
Avec une dette de deux fois le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA), la société a encore de la marge de manoeuvre pour faire des acquisitions, estime George Doumet, de Banque Scotia. La direction évalue sa «zone de confort» à un ratio d’endettement de trois fois. Par contre, l’analyste se dit moins optimiste quant à la possibilité de réaliser des acquisitions. «La probabilité qu’une telle transaction soit exécutée d’une manière très rentable est limitée, à notre avis», estime l’expert qui émet une recommandation «performance de secteur» et une cible de 59 $.
M. Le Blanc, de Cote 100, pense, au contraire, que les changements technologiques, comme les applications pour commander en ligne, jouent en faveur d’une consolidation de l’industrie. «Ça prend des infrastructures et des investissements importants pour de petites chaînes de restaurants. Il reste encore du travail à faire, mais MTY est bien avancé dans ce domaine-là.»
Nick Corcoran, d’Acumen Capital, aime, lui aussi, la stratégie de croissance par acquisitions. Il croit qu’une importante acquisition ou une amélioration des ventes comparables seraient une bonne nouvelle pour le titre, qui a été malmené après la publication des résultats du quatrième trimestre en février. Il émet une recommandation d’achat et une cible de 66 $.
Les fermetures de magasins ne devront pas venir contrebalancer la croissance par acquisitions, prévient M. Lessard. «Le rythme de fermeture de restaurants est élevé, s’inquiète-t-il. Sans amélioration des ventes comparables pour pallier ces pertes de revenus, il faudra procéder à plusieurs acquisitions pour compenser ces fermetures.»
L’analyste de Valeurs mobilières TD, qui émet une recommandation «conserver», se demande également si les derniers résultats de MTY sont le signe d’une dégradation de l’humeur du consommateur, qui est de plus en plus sensible aux prix. «C’est un problème à un moment où la hausse des salaires exerce une pression financière», ajoute-t-il. Sa cible est à 60 $.
Un ralentissement économique pourrait quand même apporter des occasions à long terme, croit M. Le Blanc. «MTY n’est pas à l’abri d’une récession, mais elle est de plus en plus diversifiée par régions, par enseignes et par types d’établissements. Il faut garder en tête qu’un ralentissement pourrait faire en sorte que plus d’occasions d’acquisitions se présentent, et cela, à meilleur prix.»
COGECO COMMUNICATIONS RENONCE AU SUPERFLU
Parfois, c’est ce qu’on choisit de mettre de côté qui fait ressortir l’essence d’une stratégie d’affaires. En poste depuis septembre, Philippe Jetté, PDG de Cogeco Communications (CCA, 85,22 $) a pris deux décisions importantes qui ont grandement plu au marché : renoncer de participer aux enchères du spectre pour les services sans fil et vendre la filiale Cogeco Peer 1.
Le test pour le nouveau dirigeant du câblodistributeur montréalais sera de voir s’il continuera de prendre de bonnes décisions quant à l’allocation du capital, estime Christine Décarie, gestionnaire de portefeuille chez Placements Mackenzie. «Dans le passé, Cogeco a fait des erreurs coûteuses dans les projets qu’elle a choisis», rappelle-t-elle.
Il est difficile de dire si le renoncement aux enchères du spectre et la vente de Peer 1 sont le fait du changement de leadership où s’ils s’inscrivent dans la continuité, nuance Mme Décarie. L’ex-PDG, Louis Audet, conserve un rôle dans la société à titre de président exécutif du conseil, et la famille Audet détient le contrôle de l’entreprise.
À 720 M$ pour vendre Peer 1, Cogeco a obtenu un bon prix pour un actif qui avait perdu de son lustre. «C’est un bon prix quand on tient compte de l’évaluation qu’en faisaient les investisseurs, commente Robert Bek, de Marchés mondiaux CIBC. C’est une décision logique en ce sens qu’on se départit d’un actif en difficulté dont on pouvait remettre en doute les perspectives à long terme.»
Cogeco se retrouve ainsi en meilleure posture qu’avant la transaction, ajoute David Caron, gestionnaire de portefeuille chez iA Groupe financier. «C’est maintenant une entreprise qui a moins de dettes et qui a été en mesure de mettre en place un programme de rachat d’actions, observe-t-il. Ça leur donne la capacité de faire des acquisitions aux États-Unis. C’est là où ils ont mieux performé dernièrement.»
Outre les activités au sud de la frontière, l’évaluation abordable du titre est un élément important pour les tenants de la thèse optimiste. Ils sont 9 analystes sur 12 à se trouver dans ce camp, selon une recension de Reuters. L’action de Cogeco s’échange à 12,6 fois les prévisions des analystes pour les douze prochains mois. Les sociétés du même secteur, pour leur part, s’échangent à 15,8 fois. «En raison de l’aubaine importante par rapport à l’évaluation des comparables, du potentiel d’acquisitions lucratives aux États-Unis et d’une amélioration du potentiel de la croissance interne, nous maintenons notre recommandation d’achat», résume Maher Yaghi, de Desjardins Marché des capitaux.
Ce n’est pas suffisant pour convaincre Sanford Lee, de Macquarie, qui reste «neutre» sur le titre. L’analyste aime la vente de Peer 1 et la stratégie de croissance par acquisitions aux États-Unis. «Nous nous questionnons sur les perspectives de croissance à long terme et nous pensons qu’il y a un risque que la tendance du désabonnement du câble au Canada s’accélère.»
Au bout du compte, Vince Valentini, de Valeurs mobilières TD, pense que les aspects positifs pèsent plus lourd que les aspects négatifs. Il existe des risques, admet-il. Parmi eux, l’entreprise peut toujours faire une mauvaise acquisition. Bell pourrait aussi accélérer l’expansion de son réseau de fibres optiques dans les marchés de Cogeco. Par contre, elle pourrait toujours faire une percée dans le sans-fil grâce à une entente avec le propriétaire d’un réseau mobile. M. Valentini aime aussi la stratégie de croissance par acquisitions aux États-Unis.
Une question en suspens est une possible vente de Cogeco, en tout ou en partie, à Rogers. La société détient plus de 30 % des actions en circulation. La famille Audet a toujours nié avoir l’intention de vendre. Malgré tout, Aravinda Galappatthige, de Canaccord, juge que le scénario demeure dans le domaine du possible, du moins à long terme. «Il y a de bons arguments en faveur d’une vente, commente-t-il. Les activités canadiennes dans le câble demeurent sous pression et nous pensons qu’il existe des facteurs de risques quant à la croissance du nombre d’abonnés. À long terme, nous croyons qu’une mise en vente est logique.»