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ANALYSE. Les observateurs sont nombreux à dire que la Bourse est complètement déconnectée de la réalité économique. Après tout, elle frôle des sommets au moment où l’économie réelle est ébranlée par la pandémie.
La remontée semble fragile. Les cinq chouchous que sont Apple (AAPL, 437,50 $ US), Microsoft (MSFT, 203,38 $ US), Amazon (AMZN, 3 080,67 $ US), Alphabet (GOOG, 1 480,32 $ US) et Facebook (FB, 256,13 $ US) tirent la Bourse de New York vers le haut. À lui seul, ce club sélect représente le quart de la valeur du S&P 500 américain et 13 % des bénéfices générés par les quelque 500 sociétés de l’indice boursier américain.
Une partie des 20 milliers de milliards de dollars injectés par les banques centrales de la planète se fraie ainsi un chemin jusqu’aux marchés financiers. La remontée rapide des cours ne repose pas uniquement sur les plans de soutien sans précédent et sur la chute programmée des taux qui envoie les investisseurs en mal de rendements à la Bourse par défaut.
Plus fondamentalement, les perspectives de bénéfices jouent aussi leur rôle, surtout pour les investisseurs patients. La performance «moins pire» que prévu des résultats du deuxième trimestre laisse les experts de glace, parce que les prévisions avaient peu de valeur et les attentes étaient déprimées. Malgré tout, les bénéfices du S&P 500 ont surpassé les estimations par 22 %, du jamais vu, selon FactSet.
Il est donc possible que les investisseurs sous-estiment encore le potentiel de récupération des profits lors de la reprise et l’augmentation des bénéfices lors d’une éventuelle phase de croissance. Les entreprises qui ont diminué leurs coûts ou numérisé leur fonctionnement dans l’urgence pendant la pandémie devraient en bénéficier dès que les revenus prendront du mieux.
Les exemples de Stingray, de New Look et de CGI
Plusieurs entreprises ont révélé qu’une partie des économies réalisées au pire de la crise sera durable. Par exemple, le distributeur de musique Stingray (RAY.A, 5,40 $) a indiqué que le tiers des économies de 30 millions de dollars de son plan de compression des dépenses sera permanent, ce qui représente 10 % du bénéfice d’exploitation, précise Maher Yaghi, analyste chez Desjardins Marché des capitaux. Ces mesures ne remplacent pas les recettes publicitaires perdues en radio, mais elles amortissent pour l’instant le choc sur la rentabilité et les flux de trésorerie libres, dit-il.
Le lunettier Groupe Vision New Look (BCI, 28,98 $) a aussi profité de la fermeture forcée de ses 391 magasins pour devancer différentes initiatives prévues. Ainsi, certains des employés administratifs continueront de travailler à la maison de façon permanente. Le détaillant centralise aussi ses bureaux à Saint-Laurent. Enfin, il fusionne deux usines de traitement de lentilles à l’Île-du-Prince-Édouard.
Le retour graduel à la normale des revenus à partir du troisième trimestre ainsi que l’impact de la rationalisation incite d’ailleurs Zachary Evershed, de Financière Banque Nationale, à hausser de 25,6 % à 26,3 % la marge d’exploitation qu’il prévoit en 2021. Son cours cible passe de 38,50 $ à 39,50 $.
Groupe CGI (GIB.A, 93,58 $) resserre aussi ses dépenses plus que prévu pour s’ajuster aux moins bons revenus, en particulier en Europe de l’Ouest. Les indemnités de départ et les autres dépenses du plan de compression grimpent d’une fourchette de 40 à 75 millions de dollars (M $) à un total de 115 M $. Maher Yaghi, de Desjardins Marché des capitaux, estime que CGI récupérera ces débours d’ici deux ans sous forme d’économies.
Les cas de Stella-Jones et de Lassonde
Deux entreprises locales ont récemment donné un avant-goût de ce que peut produire le levier de rentabilité lorsque les revenus remontent.
Le fournisseur de traverses, de poteaux et de bois Stella-Jones (SJ, 45,15 $) a amélioré sa marge d’exploitation de 1,1 % au deuxième trimestre parce que ses revenus ont rebondi de 16 %, surtout grâce à la hausse inattendue de 32 % des ventes de bois résidentiel.
Qui sait combien de temps durera l’engouement pour la rénovation, mais le bénéfice d’exploitation de 120 M$ a surpassé les prévisions de 30 % au deuxième trimestre.
Le producteur de jus de Rougemont Industries Lassonde (LAS.A, 161,50 $) a aussi pris les analystes par surprise, au deuxième trimestre. Dans son cas, le confinement a soulevé les ventes de jus en épicerie, en particulier les marques privées de jus non réfrigérés aux États-Unis.
Résultat : la progression de 7,5 % des revenus sans l’effet des acquisitions a fait bondir le bénéfice d’exploitation de 40 % et le bénéfice par action de 66 %, à 3,75 $.
Les achats de jus par les consommateurs déconfinés reviendront à leur rythme normal, mais ce cas illustre bien le potentiel à moyen terme qu’offre la reprise après la pandémie.