Fournisseurs non payés et propriétaires floués ont protesté la semaine dernière devant le siège du groupe à Shenzhen (sud). (Photo: 123RF)
Taux d’intérêt miraculeux et placements à risque: créanciers spoliés et employés décrivent les pratiques désespérées d’Evergrande, géant chinois de l’immobilier, pour échapper à la faillite.
Le mastodonte est devenu en deux décennies l’un des visages de la frénésie immobilière en Chine, quand des millions de ménages ont pu accéder à la propriété.
Le groupe croule aujourd’hui sous une dette de 260 milliards d’euros, l’équivalent du PIB de la Roumanie.
Fournisseurs non payés et propriétaires floués ont protesté la semaine dernière devant le siège du groupe à Shenzhen (sud). Des scènes inhabituelles dans un pays où les manifestations sont rarement tolérées.
Le groupe tentaculaire conserverait plus de 1,4 million de logements en construction qu’il n’a plus les moyens d’achever et de remettre à ses propriétaires.
Acculé, il propose désormais à ses créanciers de les rembourser… en nature, sous la forme de terrains ou de places de stationnement. Autant d’offres rejetées par les intéressés.
«Ce que je veux, c’est de l’argent!» déclare à l’AFP un investisseur du nom de Feng. «Je ne vais même pas regarder cette offre».
Remettre au pot
Face à la menace du dépôt de bilan, Evergrande a aussi poussé ces derniers mois ses salariés à vendre — mais aussi à acheter pour eux-mêmes — des placements très attractifs, mais risqués, selon plusieurs employés rencontrés par l’AFP.
L’une d’entre elles, du nom de Huang, raconte avoir réuni pas moins de 1,5 million de yuans (200 000 euros) avec l’aide de sa famille afin d’acheter ces produits.
Les taux d’intérêt offraient un gain de 7% à 9%, selon des salariés et des brochures consultées par l’AFP.
«Avant l’échéance, ils nous ont demandé de remettre au pot au lieu de nous rembourser», témoigne-t-elle. «À présent, nous avons tout perdu».
L’AFP a contacté Evergrande pour commenter ces informations, mais le groupe s’est refusé à toute déclaration.
Une conseillère financière de la branche gestion de fortune d’Evergrande, qui n’a pas souhaité donner son nom par peur de représailles, affirme qu’il était difficile de résister aux incitations de la direction.
«On nous a follement encouragés à améliorer nos rendements en nous promettant des primes», raconte-t-elle.
Résultat, «beaucoup de clients ont placé tout leur argent et leur pension de retraite dans Evergrande parce qu’ils avaient confiance en Xu Jiayin», le fondateur du groupe devenu en quelques années l’une des plus grosses fortunes de Chine, explique l’employée.
Mais au début du mois, lorsqu’il est devenu difficile de rembourser, il s’est avéré impossible de joindre la direction, rapporte-t-elle.
Samedi, Evergrande a promis «des sanctions sévères» pour six responsables de l’entreprise qui, eux, auraient obtenu le remboursement de leurs investissements avant la date d’échéance.
«Tombée des nues»
Aux grandes heures de la bulle immobilière, Evergrande s’était lancé dans des projets pharaoniques.
À Suzhou, une ville proche de Shanghai réputée pour ses canaux et ses jardins impériaux, le groupe devait installer un grand complexe résidentiel avec écoles, parc d’attractions et un quartier commerçant de style européen.
La «Cité touristique et culturelle Evergrande», inachevée, est désormais envahie par des acquéreurs en colère qui doutent de pouvoir un jour récupérer leurs billes.
Une propriétaire, qui requiert l’anonymat, rapporte que des acheteurs ont été persuadés d’accorder des procurations à des employés d’Evergrande, les autorisant à signer des documents à leur place.
Puis le calendrier de livraison des appartements est devenu glissant, de nouvelles conditions financières sont apparues dans les contrats et il fallut commencer à payer des charges de copropriété avant même la remise des clés…
«Je suis tombée des nues», résume-t-elle.
L’image du promoteur immobilier reste pourtant intacte à Canton (sud), où Evergrande a mené à bien la construction de son premier complexe résidentiel en 1996.
«À l’origine, son objectif était d’aider les familles ordinaires comme nous à s’offrir un appartement», raconte une enseignante à la retraite du nom de Liu.
Et d’assurer: «Evergrande n’est pas une horrible entreprise. Elle s’est bien occupée de nous».