L’annonce par SVB le 8 mars de la vente de 21 milliards de dollars de titres financiers, avec une perte de 1,8 milliard à la clé, a précipité sa déroute. (Photo:123RF)
Après la spectaculaire débâcle de Silicon Valley Bank (SVB), les experts de la finance se demandent comment la banque californienne a pu à ce point oublier les pratiques élémentaires dans la gestion du risque lié aux taux d’intérêt.
Parmi les facteurs qui ont conduit la semaine dernière à la plus grosse faillite bancaire depuis 2008 figure, en effet, la remontée rapide par la banque centrale américaine (Fed) de ses taux, passés de presque zéro à plus de 4% en moins d’un an pour lutter contre l’inflation.
Cette évolution se traduit mécaniquement par la baisse de la valeur des obligations d’État achetées par SVB quand les taux étaient bas.
Dans le monde de la finance, le risque encouru en cas de variation de taux d’intérêt, ou risque de taux, est un phénomène bien connu.
Les banques le gèrent habituellement en se couvrant, c’est-à-dire en achetant des contrats à terme ou autres produits financiers dont la valeur est censée augmenter quand la valeur de leurs actifs baisse à cause des changements de politique monétaire.
La faiblesse des outils de couverture de SVB «me stupéfie», s’est étonné Clifford Rossi, ancien responsable de gestion des risques pour Citigroup et professeur à University of Maryland.
«Un mystère»
Fin 2022, SVB avait 120 milliards de dollars investis dans des produits liés aux taux, soit 55% de ses actifs. Une proportion deux fois supérieure à la moyenne des banques américaines.
L’annonce par SVB le 8 mars de la vente de 21 milliards de dollars de titres financiers, avec une perte de 1,8 milliard à la clé, a précipité sa déroute.
Si SBV avait mis en place les outils appropriés, ils auraient généré suffisamment de profits pour compenser les pertes liées à la vente des titres financiers, affirme Kris Mitchener, professeur d’économie à Santa Clara University.
«Pourquoi la direction a choisi de (ne pas se couvrir) reste un mystère», dit-il. «C’est quelque chose qu’on apprend aux étudiants en première année.»
Ceci dit, relève Kris Mitchener, la Fed elle-même n’a pas spécialement mis en avant ce risque. Et les tests qu’elle impose régulièrement aux grandes banques pour évaluer leur solidité n’inclut pas de scénarios comprenant une brusque remontée des taux.
Quelques jours avant la prise de contrôle de SVB par la FDIC, l’agence chargée de garantir les dépôts bancaires, son président Martin Gruenberg avait bien évoqué le risque de taux devant l’Institut des banquiers internationaux.
Les pertes latentes des banques américaines, c’est-à-dire les pertes qu’elles enregistreraient si elles devaient vendre les actifs dont la valeur a diminué avec la hausse des taux, s’élèvent actuellement à 620 milliards de dollars, a-t-il affirmé.
«La bonne nouvelle, c’est que les banques sont dans leur ensemble en bonne santé financière et n’ont pas été obligées jusqu’à présent de réaliser des pertes en vendant des titres dépréciés», a souligné Martin Gruenberg. «D’un autre côté, les pertes latentes affaiblissent quand même la capacité d’une banque à faire face à des besoins de liquidités inattendus.»
Gagner du temps
Dans un rapport publié en décembre, l’agence S&P Global Ratings estimait que les pertes latentes étaient « dans leur ensemble gérables » par les banques américaines: la montée des taux leur permet aussi de gagner plus sur les prêts qu’elles accordent.
«Mais nous reconnaissons que si une banque devait soudainement vendre ses titres et ainsi réaliser des pertes, en raison par exemple d’un manque de liquidités, les bénéfices (tirés de la hausse des taux de crédit) seraient probablement insuffisants pour compenser les pertes», écrivait S&P.
Plusieurs spécialistes de la finance estiment que SVB accumulait les risques, entre ceux liés aux taux et le fait que sa clientèle était très concentrée sur le monde de la tech.
Les plus grandes banques comme JPMorgan Chase et Bank of America ont des outils sophistiqués de gestion du risque de taux et une clientèle beaucoup plus diversifiée.
Et de nombreuses banques de taille moyenne ont au moins quelques outils de couverture et une plus faible proportion de titres liés aux taux dans leur portefeuille.
Même si elles devaient vendre des actifs pour récupérer de l’argent frais, les nouveaux programmes d’urgence mis en place par la Fed visent à éviter un scénario type SVB.
« Au minimum», ils «permettent à la banque de gagner suffisamment de temps pour ne pas être confrontée à une crise», note Kris Mitchener.