Huawei: Londres pourrait donner des arguments à Ottawa
La Presse Canadienne|Publié le 19 février 2019La loi chinoise sur le renseignement suscite des craintes en matière de sécurité nationale au Canada.
Ottawa doit se réjouir en coulisses de voir que la Grande-Bretagne pense pouvoir gérer les risques de sécurité posés par Huawei dans le déploiement de son réseau 5G, croit un expert en cybersécurité.
Selon des médias britanniques, le service de renseignement pour la cybersécurité au Royaume-Uni conclut qu’avec une dose de prudence et certaines mesures de sécurité, il serait possible de gérer les risques liés à l’utilisation d’équipements Huawei dans des réseaux mobiles avancés de cinquième génération (5G) — alors que les États-Unis font pression sur leurs alliés pour écarter complètement le fournisseur chinois de ce vaste déploiement.
Wesley Wark, expert en renseignement de l’Université d’Ottawa, qui étudie de près la 5G, estime que si la Grande-Bretagne donnait un feu vert conditionnel à Huawei, le Canada disposerait alors d’une certaine marge de manoeuvre pour résister aux pressions américaines.
La loi chinoise sur le renseignement stipule clairement que les organisations et les citoyens doivent aider au travail de renseignement de l’État, ce qui suscite des craintes en matière de sécurité nationale au Canada. Certains analystes de la sécurité soutiennent qu’un rôle joué par Huawei dans la 5G pourrait lui permettre d’accéder à un large éventail de données numériques sur l’utilisation par les clients canadiens de leurs appareils électroniques. Les services de renseignement de la Chine, un pays aux visées commerciales planétaires, auraient alors tout intérêt à mettre la main sur de telles informations.
Huawei, l’une des sociétés internationales les plus réputées en Chine, assure qu’elle n’est pas une entreprise contrôlée par l’État et qu’elle n’espionnera jamais au nom de Pékin ou de qui que ce soit d’autre.
Mais trois des quatre partenaires canadiens du groupe de partage de renseignement «Five Eyes» — les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande — ont déjà interdit l’utilisation des produits Huawei dans le développement de réseaux 5G, bien que l’interdiction imposée par les États-Unis soit limitée aux agences gouvernementales, du moins pour le moment. Le cinquième partenaire, le Royaume-Uni, n’a pas encore tranché.
Mme Meng complique les choses
L’administration de Donald Trump serait en train d’élaborer un décret présidentiel qui interdirait aux entreprises américaines d’utiliser des composants en provenance de la Chine dans des réseaux de télécommunication clés aux États-Unis. Mais il n’y a pas aux États-Unis d’acteur majeur sur la scène des fournisseurs 5G, ce qui donne à penser que les craintes manifestées par Washington sont motivées autant par des arguments commerciaux que par des préoccupations sécuritaires et juridiques.
Les tensions et les spéculations concernant la prochaine décision d’Ottawa sur la 5G ont été par ailleurs exacerbées par l’arrestation à Vancouver, en décembre, de Meng Wanzhou, directrice financière de Huawei, à la suite d’une demande des autorités américaines, suivie par la détention de deux Canadiens en Chine, pour des raisons de sécurité nationale.
Le professeur Wark croit que l’on devrait évaluer les risques de sécurité sur la seule base d’arguments techniques et rationnels, en prenant en compte le fait que Huawei encourage depuis toujours l’innovation technologique au Canada et fournit déjà des équipements de qualité aux principaux fournisseurs de services de télécommunications du pays.
M. Wark ajoute que dans une récente tribune au Financial Times, Robert Hannigan, ancien responsable de l’agence britannique de la télématique et de la cybersécurité, a également offert un argument de poids dans le débat au Royaume-Uni. M. Hannigan a rappelé que les responsables de la sécurité britanniques n’avaient jamais découvert de preuve de la participation de Huawei dans une quelconque entreprise de cyberespionnage commanditée par l’État chinois. Il estime que dans ce dossier, la politique ou les guerres commerciales ne devraient pas éclipser l’évaluation rationnelle du risque.
Le professeur Wark croit que l’approche britannique de gestion des risques «donnera au Canada le loisir de résister à la campagne menée par les États-Unis et d’élaborer une stratégie similaire.»