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Inflation: la Banque du Canada a besoin du politique

Le courrier des lecteurs|Publié le 20 mars 2023

Inflation: la Banque du Canada a besoin du politique

«La Banque du Canada n’a pas la tâche facile pour juguler l’inflation.» (Photo: 123RF)

Un texte d’Yves Rabeau, Phd. 

 

COURRIER DES LECTEURS. L’objectif de la politique monétaire, depuis le début de la pandémie de COVID-19, était de soutenir l’activité économique. La Banque du Canada et la Réserve fédérale américaine ont alors tardé à passer d’une politique d’assouplissement monétaire à une politique anti-inflationniste, marquée par un resserrement quantitatif.

Ce retard a rendu la lutte contre l’inflation encore plus difficile face aux attentes des principaux acteurs économiques de ramener l’inflation dans la zone des 2% à 3%, objectif annoncé par la Banque du Canada.

 

Lire aussi: Banque du Canada: retour sur les hausses de taux des derniers mois

En réponse à une enquête de la Banque au dernier trimestre de 2022, des entrepreneurs canadiens ont estimé qu’il y aurait un ralentissement de leurs activités qui les rendra prudents face aux perspectives d’investissements.

Plusieurs déclaraient aussi s’attendre à une baisse modérée de l’inflation. Mais cette réponse a été contredite jusqu’à un certain point par une autre enquête de la Banque du Canada auprès d’économistes et autres experts, qui ne voient pas l’inflation être sous contrôle avant cinq ans.

Cette lecture des attentes inflationnistes ne facilite pas la tâche de la Banque pour contenir l’inflation.

En fait, la politique monétaire, en augmentant le coût du crédit dans l’ensemble de l’économie, prend du temps avant de ralentir l’activité économique et réduire les pressions sur les capacités de production. On ne connaît pas très bien les délais d’adaptation face à la hausse du coût d’emprunt, délais qui varient d’un secteur à l’autre.

De plus, la hausse de certains prix n’est pas reliée aux conditions économiques nationales, mais au marché international comme dans les secteurs du gaz et du pétrole.

La lenteur de l’effet de la politique monétaire est sujette à la formation d’attentes inflationnistes, qui prennent notamment la forme de clause d’indexation dans les contrats, comme les conventions collectives des travailleurs. Enfin, l’accroissement des taux d’intérêt peut devenir contre-productif en augmentant le coût de financement des entreprises, qui hausseront leurs prix pour couvrir ce coût additionnel.

En fait, l’expérience des années 80 et 90 nous démontre que la politique monétaire seule peut difficilement atteindre ses objectifs. La clef pour réduire l’inflation à un niveau cible de 2% est une combinaison d’une politique monétaire restrictive, et aussi d’une politique budgétaire restrictive ou à tout le moins neutre (John H. Cochrane, Fiscal Histories N.B.E.R. paper w30328, August 2022).

D’abord, les dépenses considérables du gouvernement fédéral pendant la pandémie, financées par une création monétaire de la Banque du Canada, ont contribué à l’inflation. Or, le gouvernement fédéral continue de maintenir ses dépenses à un niveau élevé. Bien que le déficit du gouvernement fédéral a diminué sensiblement dans l’exercice en cours, l’équilibre budgétaire n’est prévu que pour le budget de 2027-2028.

Le budget demeure expansionniste, à l’encontre de la politique monétaire. En partie à cause de retards dans la planification de leurs dépenses, les autorités budgétaires doivent affronter de nombreuses pressions dont les coûts croissants des systèmes de santé, l’ajout de nouveaux programmes comme les soins dentaires, la réfection d’infrastructures vieillissantes, le rattrapage en matière d’armement et des mesures pour s’adapter aux changements climatiques. À diverses reprises, le monde des affaires a demandé au gouvernement fédéral de mieux contrôler ses dépenses.

De plus, au niveau provincial, les transferts d’argent sous forme de chèques pour aider les ménages à faire face à l’inflation alimentent la demande des consommateurs et vont contre la politique de restriction monétaire de la Banque du Canada.

Ainsi, la Banque n’a pas la tâche facile pour juguler l’inflation. Il y a encore des hausses de prix pour des importations attribuables à la conjoncture internationale, et elle n’a pas pour le moment l’appui des autorités budgétaires. Des attentes inflationnistes sont présentes dans le monde des négociations de contrats pour des travailleurs. Sans pour autant parler d’une période de plus de cinq ans, il faudra encore plusieurs mois avant de retrouver une stabilité des prix. Et il n’est pas assuré que le dernier relèvement d’un quart de pourcentage de la Banque centrale sera le dernier.

 

L’auteur détient une maîtrise en sciences commerciales et un diplôme d’études supérieures en économie appliquée de HEC Montréal et un doctorat (Ph. D.) en sciences économiques (Economics) du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il a enseigné à HEC Montréal et au département de sciences économiques de l’Université de Montréal alors que sa recherche portait sur la macro-économie et la conjoncture. Il a été chercheur invité à la Banque du Canada pendant une année sabbatique en 1986-1987. De 1989 à 2010, il a été professeur titulaire au département de Stratégie des affaires de l’ESG-UQAM, où il est maintenant professeur associé. Ses recherches ont porté sur la conjoncture et également sur la gestion des télécommunications et des médias ainsi que sur l’innovation et l’émergence de nouveaux modèles d’affaires. Il est l’auteur de plusieurs livres, documents de recherche, études techniques, ainsi que d’articles publiés dans les revues scientifiques et d’affaires. Il a travaillé comme consultant auprès du gouvernement canadien, du gouvernement du Québec et d’autres organisations publiques canadiennes et étrangères.