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Juguler l’inflation: augmenter la productivité avant les salaires

Yves Rabeau|Publié le 30 septembre 2022

Juguler l’inflation: augmenter la productivité avant les salaires

Il est à souhaiter que les entrepreneurs soient d’habiles négociateurs pour éviter une explosion des termes salariaux et qu’ils soient aussi créatifs pour minimiser l’effet des salaires sur leurs prix. (Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. Les mesures prises par la Banque du Canada (BdC) visent à ralentir la demande intérieure pour atténuer l’inflation. Dans cette lutte contre l’inflation, la productivité des entreprises et la rareté de la main-d’œuvre sont devenues des facteurs fondamentaux. 

La croissance de la productivité a beaucoup ralenti dans les économies occidentales dans les années 2010. Le Canada a une performance encore plus médiocre et la progression de la productivité peine à atteindre 1 %1. Le Canada prend du retard par rapport aux économies avancées à cause de la faiblesse des investissements et de l’adoption de nouvelles technologies novatrices.

Le gouvernement canadien a pris quelques mesures dans son dernier budget pour stimuler la productivité, mais les effets ne seront qu’à plus long terme2. De plus, avec la pandémie, on croyait que le travail à la maison permettrait aux employés d’accroître leur efficacité sans les distractions du bureau, mais à ce jour, on ne voit pas de gains significatifs de productivité associés à ce phénomène.

Le fondement des hausses salariales est la productivité du travail. Une augmentation de salaire n’affecte pas les coûts d’entreprise si elle est compensée par un gain de productivité. En fait, de façon approximative, on peut considérer que le taux d’inflation est proportionnel à la croissance des salaires moins celle de la productivité. Il y a aussi les coûts de divers intrants comme les matières premières qui jouent un rôle, mais contrairement aux salaires et à la productivité, nous n’avons pas de contrôle à court terme sur ces variables.

En revanche, les entrepreneurs peuvent investir dans de nouveaux équipements plus performants et numériser leurs procédés de production pour augmenter leur productivité. Il en va de même dans les services où la numérisation et le recours à de nouvelles technologies comme l’infonuagique ou les plateformes numériques permettent de réduire les coûts et d’améliorer l’offre de produits à la clientèle.

Les ruptures dans les chaînes d’approvisionnement ont amené des entreprises à investir dans la reconstitution de ces chaînes et à accroître leurs inventaires pour éviter des pénuries. Ce sont autant de dépenses associées à la pandémie, mais qui n’augmentent pas leur productivité. Le gouverneur de la Banque du Canada (BdC) au printemps dernier, voyant l’inflation s’accélérer, recommandait aux entrepreneurs d’investir pour améliorer leur productivité sachant que des pressions sur les salaires allaient venir sous peu.

 

Salaires et rareté de main-d’œuvre

Justement, dans un marché du travail où les postes vacants dépassent la main-d’œuvre disponible, les entrepreneurs vont utiliser la rémunération pour attirer les travailleurs. Par exemple, en juin, au niveau national, il y avait plus d’un million de postes vacants et à peu près le même nombre de chômeurs. Mais parmi les chômeurs, il y avait aussi 486 000 personnes qui touchaient de l’assurance-emploi et qui ne sont pas immédiatement disponibles pour remplir les postes vacants. De plus, on note des écarts importants entre les régions. Par exemple, au Québec les chômeurs ne représentent que 60% des postes vacants et un tel déséquilibre favorise les hausses salariales. 

De plus, on compte aussi des départs importants à la retraite. En août, Statistique Canada a estimé que 307 000 personnes ont quitté le marché du travail pour prendre leur retraite. Le vieillissement de la population dont on parle depuis plusieurs années se manifeste par des baisses appréciables de l’offre de main-d’œuvre. Les gouvernements tentent de mettre en œuvre des politiques fiscales pour inciter les retraités à revenir sur le marché, mais les résultats sont modestes comparativement au mouvement de fonds des mises à la retraite.

C’est ainsi que les salaires horaires moyens en août ont progressé de 5,4% au Canada et de 8,1% au Québec où le déséquilibre entre la demande et l’offre de main-d’œuvre est encore plus important. Ces augmentations de salaire sont inflationnistes, excédant les gains de productivité. Les entreprises qui ont une emprise assez forte sur leur marché sont en mesure d’augmenter leurs prix pour compenser les gains salariaux et alimentent ainsi l’inflation.

 

Ralentissement et gestion de l’emploi

La montée tardive des taux d’intérêt commence toutefois à ralentir la progression de l’activité. En août, l’emploi a fléchi et on enregistre une baisse de 40 000 emplois et de 114 000 depuis le mois de mai au pays alors que le taux de chômage grimpe à 5,4%. Le taux d’activité est stable et donc on ne compte pas sur une augmentation de l’offre de main-d’œuvre. Au Québec cependant, l’emploi s’est accru en août, de sorte que les pressions inflationnistes demeurent.

La gestion de la main-d’œuvre pour les grandes entreprises, en particulier dans le secteur des technologies de l’information, est assez complexe et n’est pas toujours liée à l’état de la conjoncture. C’est ainsi que malgré divers signaux d’un ralentissement économique, certaines grandes entreprises ont continué d’embaucher des travailleurs en août3.  Toutefois, diverses grandes entreprises comme Amazon, Netflix, Tesla, Shopify et West Frazer ont commencé à faire des mises à pied en prévision d’une baisse des ventes ou encore pour accroître leur productivité.

De plus, des entreprises technologiques qui pouvaient facilement faire appel aux marchés financiers pour combler des besoins d’encaisse alors que le loyer de l’argent était nul ou même négatif, se retrouvent maintenant devant l’effondrement du marché des valeurs mobilières, doivent gérer leur organisation de façon beaucoup plus rigoureuse et ont commencé à congédier des employés. Plusieurs entreprises qui réduisent ainsi leur personnel vont contribuer à réduire les postes vacants. La baisse des postes vacants et l’augmentation du nombre de chômeurs suite à ces congédiements devraient réduire les tensions sur le marché du travail. Mais comme il s’agit d’une période exceptionnelle, nous n’avons pas d’étude statistique qui confirmerait le lien entre la baisse des postes vacants et la hausse du nombre de chômeurs.

Enfin, les maisons qui font des sondages sur les salaires estiment qu’en raison des pénuries de travailleurs la progression de ces derniers serait de l’ordre de 4,0% à 4,5% en 2023.  Ces hausses dépassent les gains de productivité dans l’économie, mais les entreprises peuvent limiter leur impact sur les prix en baissant leur marge bénéficiaire ou en déployant d’autres mesures temporaires. Toutefois, on devra négocier de nouvelles conventions collectives où des clauses d’indexation qui ne sont pas reliées aux gains de productivité des entreprises risquent d’allonger la période d’inflation.

Il est donc à souhaiter que les entrepreneurs soient d’habiles négociateurs pour éviter une explosion des termes salariaux et qu’ils soient aussi créatifs pour minimiser l’effet des salaires sur leurs prix. La BdC devra continuer à démontrer sa détermination à ramener le taux d’inflation à 2 % de façon à minimiser les attentes inflationnistes de tous les acteurs économiques au pays.

 


1. La productivité fluctue à court terme. Ici on parle de la tendance à moyen terme. Pour des données récentes, voir «Productivité du travail, rémunération horaire et coût unitaire de main-d’œuvre», Statistique Canada

2. Le Fond de croissance du Canada pour stimuler les investissements et l’Agence canadienne d’innovation et d’investissement devrait être lancée sous peu.

3. «Companies and their Workers», The Economist, septembre 2022