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EXPERT INVITÉ. À partir de demain, Alphabet, Amazon, Apple, Meta et Microsoft, ainsi que le chinois ByteDance (propriétaire de TikTok) devront être en conformité avec le nouveau règlement sur les marchés numériques (DMA), sous peine de lourdes sanctions.
Avant cela, Apple vient d’être condamné à une amende record qui a nettement fait baisser la valeur de son action en bourse. Bref, de plus en plus de vents contraires se lèvent sur les géants de la technologie mondiale. Que faut-il en penser et est-ce un risque pour ce secteur clé ? Synthèse et analyse.
Les faits
Pendant des décennies, Apple, Amazon, Google, Microsoft et Meta ont poursuivi leur chemin sans trop de règles ni de limites. Au fur et à mesure de leur puissance, une vague de fond d’activités réglementaires, d’élaboration de lois et d’affaires juridiques s’est levée contre eux en Europe, aux États-Unis, en Chine, en Inde, au Canada, en Corée du Sud et en Australie.
D’ici demain, Google aura modifié l’affichage de certains résultats de recherche, Microsoft n’obligera plus les utilisateurs de Windows à utiliser par défaut son outil de recherche internet Bing et enfin, Apple donnera pour la première fois aux utilisateurs d’iPhone et d’iPad l’accès à des boutiques d’applications et à des systèmes de paiement concurrents.
Les géants de la technologie se sont préparés à cette échéance pour se conformer à une nouvelle loi de l’Union européenne destinée à renforcer la concurrence dans l’économie numérique.
Cette loi, appelée « loi sur les marchés numériques » (voir plus bas), impose aux plus grandes entreprises technologiques de revoir le fonctionnement de certains de leurs produits afin de permettre à leurs concurrents plus modestes d’accéder plus facilement à leurs utilisateurs.
Ces changements sont parmi les plus visibles que Microsoft, Apple, Google, Meta et d’autres ont entrepris en réponse à une vague de nouvelles réglementations et lois dans le monde entier.
Aux États-Unis, certains géants de la technologie ont déclaré qu’ils abandonneraient les pratiques qui font l’objet d’enquêtes antitrust fédérales. Apple, par exemple, facilite l’interaction entre les utilisateurs d’Android et son produit iMessage, un sujet sur lequel le ministère de la Justice a enquêté. L’entreprise à la pomme vient cependant d’être amendée d’un niveau record…
Amende record pour Apple
Apple a été condamné lundi à une amende de 1,8 milliard d’euros par les autorités de régulation de l’Union européenne pour avoir entravé la concurrence entre ses rivaux dans le domaine de la diffusion de musique en continu, une sanction sévère infligée au géant de la technologie dans une bataille de longue haleine sur le rôle puissant qu’il joue en tant que gardien de l’App Store.
La sanction, annoncée par l’autorité antitrust de l’Union européenne, est l’aboutissement d’une enquête de cinq ans lancée par l’un de ses plus grands rivaux, Spotify. Les régulateurs ont déclaré qu’Apple avait illégalement utilisé sa position dominante sur l’App Store pour évincer ses rivaux.
« Pendant une décennie, Apple a abusé de sa position dominante sur le marché de la distribution d’applications de streaming musical par l’intermédiaire de l’App Store », a déclaré Margrethe Vestager, vice-présidente directrice de la Commission européenne chargée de la politique de concurrence.
« Désormais, a-t-elle déclaré lors d’une conférence de presse, Apple devra permettre aux développeurs d’applications de diffusion de musique en continu de communiquer librement avec leurs propres utilisateurs. Le montant de l’amende, a-t-elle ajouté, « reflète à la fois la puissance financière d’Apple et le préjudice que son comportement a causé à des millions d’utilisateurs européens ».
L’action de la Commission européenne, l’organe exécutif de l’Union européenne, est la dernière d’une série de réglementations et de sanctions visant l’App Store. La plupart des litiges sont dus au fait qu’Apple exige que les applications utilisent son service de paiement in-app pour les ventes.
Ce service prélève une commission de 30% sur chaque transaction, ce que de nombreux développeurs jugent excessif…
Qu’est-ce que le DMA et le DSA?
Le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA) prévoient de limiter la domination économique des grandes plateformes et la diffusion en ligne de contenus et produits illicites.
S’ils ne sont pas directement cités, les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et autres géants du secteur sont les principales cibles des deux textes proposés le 15 décembre 2020 par l’exécutif européen: le règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act, ou DMA) et le règlement sur les services numériques (Digital Services Act, ou DSA).
Le DMA vise à mieux encadrer les activités économiques des plus grandes plateformes. Ces grandes entreprises sont qualifiées par la Commission de « contrôleurs d’accès » pour indiquer qu’elles sont devenues des passages obligés afin de bénéficier des avantages d’internet. Elles sont accusées de rendre les plus petites entreprises et les consommateurs particulièrement dépendants de leurs services et d’empêcher la concurrence des autres sociétés.
Le DSA, qui modernise une partie de la directive de 2000 sur le commerce électronique jusque-là inchangée, s’attaque quant à lui aux contenus illicites (haineux, pédopornographiques, terroristes…) et aux produits illicites (contrefaits ou dangereux) proposés en ligne. Il cherche notamment à harmoniser les législations nationales déjà en place dans les États membres en la matière et a pour mot d’ordre: « Ce qui est illégal hors ligne doit également être illégal en ligne ».
Le DMA et le DSA ne ciblent pas exactement les mêmes acteurs. Pour le DMA, il s’agit exclusivement des grandes plateformes : celles qui ont un « poids important sur le marché intérieur », fournissent « un service de plateforme essentiel qui constitue un point d’accès majeur permettant aux entreprises utilisatrices d’atteindre leurs utilisateurs finaux » et “[jouissent] d’une position solide et durable, dans ses activités, ou [jouiront], selon toute probabilité, d’une telle position dans un avenir proche”, énumère le règlement.
Dans le cadre du DSA en revanche, la plupart des entreprises proposant des « services intermédiaires » aux utilisateurs européens sont concernées : fournisseurs d’accès à internet, services en nuage, places de marché, réseaux sociaux… les courriels et messageries privées ne le sont pas.
À SUIVRE -> Quelles sont les sanctions prévues?
Quelles sont les sanctions prévues?
Si elle estime qu’un contrôleur d’accès ne respecte pas ses obligations prévues par le DMA, la Commission peut lui indiquer des mesures concrètes à mettre en œuvre. Si celui-ci persiste, il peut se voir infliger des amendes allant jusqu’à 10 % de son chiffre d’affaires mondial total. En cas de récidive, cette amende peut atteindre 20 % de ce chiffre d’affaires.
Dans le cas théorique d’Apple, l’amende pourrait se chiffrer à … 76 657 milliards de dollars américains (G$US)!!! En effet, au 31 décembre 2023, l’entreprise a connu un chiffre d’affaires annuel de 383 285G$US…
En cas de non-respect systématique du DMA (règles enfreintes au moins trois fois en huit ans), la Commission peut ouvrir une enquête de marché et, si nécessaire, imposer des mesures telles que l’interdiction d’acquérir d’autres entreprises pendant une période donnée.
La Commission européenne est responsable de la bonne application du règlement par les contrôleurs d’accès qu’elle aura désignés, ainsi que d’éventuelles sanctions. Les autorités nationales de concurrence des États membres peuvent quant à elles ouvrir des enquêtes sur des infractions présumées et transmettre leurs
Dans le cadre du DSA, chaque État membre doit déterminer les sanctions applicables dans la limite de 6% du revenu ou du chiffre d’affaires annuel de la société (plafond abaissé à 1% en cas d’informations incorrectes ou de refus d’enquête sur place). Les astreintes sont limitées à 5% du chiffre d’affaires quotidien. Pour les très grandes plateformes, la Commission peut contrôler elle-même le respect de la législation. Les entreprises qui ne respecteraient pas les règles de manière répétée pourront être interdites.
L’adaptation est en cours
Aujourd’hui, le point de basculement mondial pour la maîtrise des plus grandes entreprises technologiques a finalement basculé.
Les entreprises ont été contraintes de modifier les technologies qu’elles proposent au quotidien, y compris les appareils et les fonctionnalités de leurs services de médias sociaux, ce qui a été particulièrement remarqué par les utilisateurs en Europe. Les entreprises procèdent également à des changements conséquents qui sont moins visibles, au niveau de leurs modèles d’entreprise, de leurs accords et de leurs pratiques de partage des données, par exemple.
Les modifications signifient que les expériences technologiques des gens seront de plus en plus différentes en fonction de l’endroit où ils vivent. En Europe, les utilisateurs d’Instagram, de TikTok et de Snapchat âgés de moins de 18 ans ne voient plus de publicités basées sur leurs données personnelles, en vertu d’une loi de 2022 appelée « Digital Services Act ». Ailleurs dans le monde, les jeunes voient encore de telles publicités sur ces plateformes.
Quels sont les changements déjà visibles?
En janvier dernier, Google a déclaré qu’il réduirait la visibilité de ses propres services dans les résultats de recherche et qu’il ferait davantage référence à ses rivaux pour les requêtes portant sur des sujets tels que les vols et les restaurants. L’entreprise s’est également engagée à permettre aux utilisateurs européens de limiter le partage de leurs données personnelles entre des services tels que la recherche, YouTube et Chrome.
De son côté Apple a déclaré qu’en plus du changement autorisant les boutiques d’applications et les services de paiement concurrents, les clients européens possédant un nouvel iPhone verraient un écran leur permettant de sélectionner un navigateur par défaut, au lieu du navigateur d’Apple, Safari, qui s’affiche automatiquement par défaut sur l’iPhone.
Meta par exemple ne peut plus autoriser les annonceurs à cibler les utilisateurs en fonction de leur appartenance ethnique, de leurs opinions politiques et de leur orientation sexuelle.
Enfin, les utilisateurs de TikTok peuvent également choisir de voir des «posts» sans aucun contenu recommandé choisi par un algorithme basé sur leurs données personnelles.
À SUIVRE -> Quel impact boursier pour les entreprises de la technologie ?
Quel impact boursier pour les entreprises de la technologie ?
Aujourd’hui, nombre des entreprises technologiques continuent d’enregistrer des bénéfices et des ventes records. Microsoft, Meta, Amazon, Apple et Alphabet ont contribué à propulser le marché boursier vers de nouveaux sommets.
Même les décideurs politiques à l’origine de certaines des nouvelles règles ont déclaré qu’il n’était pas réaliste de penser que les nouvelles lois et réglementations allaient immédiatement déloger les entreprises dominantes comme Google ou Apple, les éléments sont en train de changer rapidement.
Peu de lois ont obligé les entreprises technologiques à faire autant d’ajustements que la loi sur les marchés numériques. Les entreprises vont donc devoir s’adapter plus rapidement que prévu, sans quoi leurs services et leurs cours de bourse pourraient s’effondrer.
Ce que l’on peut dire c’est que l’industrie technologique est en train de mûrir et de se rapprocher des secteurs de la banque, de l’automobile et de la santé, les entreprises adaptant leurs produits et leurs services aux lois et aux réglementations locales comme le rappelle le NYT. La fenêtre d’opportunité est en train de se fermer, c’est ce que l’on appelle la maturité ! Preuve en est, de plus en plus des Mag7 (les 7 magnifiques) commencent à distribuer des dividendes !
Cependant en même temps, la fenêtre d’opportunité de l’intelligence artificielle (IA) est grande ouverte et explique (certainement) pourquoi de nombreuses entreprises technologiques s’y engouffrent…
Synthèse
Nous vous avons souvent parlé des cycles boursiers ou des cycles économiques. Nous sommes certainement en train d’en vivre un avec la «fin» (le terme est trop fort bien évidemment) progressive de l’excès de liberté des entreprises technologiques. Les autorités vont maintenant s’appliquer à tenter de «cadrer» l’intelligence artificielle. Ce qui est une autre affaire…
Ce texte est tiré de l’infolettre quotidienne de John Plassard, gracieuseté de Mirabaud
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