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Le commerce mondial face aux mouvements protectionnistes

Le courrier des lecteurs|Publié le 23 mars 2023

Le commerce mondial face aux mouvements protectionnistes

«En imposant d’abord des tarifs sur les importations chinoises, les États-Unis ont poussé plus loin leur politique protectionniste en interdisant les exportations dans des secteurs comme les semi-conducteurs, de façon à préserver leur avance technologique.» (Photo: 123RF)

Un texte d’Yves Rabeau, PhD. 

 

COURRIER DES LECTEURS. L’ouverture des frontières économiques grâce entre autres à des traités de libre-échange, la recherche de l’efficacité économique en confiant aux pays à bas coût la production des biens et par la suite, l’intégration électronique des chaînes d’approvisionnement, ont permis des gains de productivité à l’échelle mondiale et l’accès à des produits moins chers dans les économies occidentales.

Mais il y a eu aussi des coûts dans les économies développées, comme des pertes d’emploi dans des secteurs moins productifs qui ne sont pas toujours accompagnées de mesures suffisantes pour permettre aux travailleurs de se recycler vers des secteurs à plus haute valeur ajoutée. Mais dans l’ensemble, les économies développées ont largement profité de la globalisation.

Techniquement, les échanges électroniques ont supporté le modèle des produits «juste à temps» (JIT), réduisant presque complètement le besoin d’inventaire. Mais cette intégration économique sur trois décennies a commencé à ralentir et montrer des signes de repli au moment de la crise financière de 2008.

Dans cette foulée, par apprentissages et aussi par des règles où les investisseurs étrangers devaient partager des technologies, la Chine est devenue une économie capable d’offrir plusieurs produits y compris ceux de haute technologie (de télécommunication notamment) pouvant faire concurrence à l’Occident. Cependant, l’avantage qu’elle possédait au niveau des coûts s’est effrité alors que les conditions de travail et les salaires se sont améliorés. Des enjeux politico-économiques, comme le non-respect du secret des brevets et de technologies avancées, ont entraîné des représailles de la part des États-Unis. Des mesures protectionnistes ont commencé à créer des embûches dans les échanges. Des entreprises ont cherché de nouveaux fournisseurs dans des pays asiatiques comme le Vietnam.

La pandémie a mis en lumière des faiblesses dans les chaînes de valeur à l’échelle mondiale. Des questions de sécurité et de fiabilité ont mis à mal le modèle de gestion «juste à temps» dans les chaînes de valeur. Avec les ruptures d’approvisionnement, les entreprises font marche arrière sur la nécessité de détenir des inventaires qu’elles doivent financer. De plus, la recherche de nouvelles façons de s’approvisionner a aussi contribué à augmenter les coûts.

Même si on estime que les coûts de transport sont revenus à peu près à leurs niveaux d’avant la pandémie, on privilégie des fournisseurs plus près du pays importateur pour avoir accès plus rapidement aux fournisseurs si des problèmes surgissent. Ces changements dans les chaînes de valeur vont se traduire par une plus grande sécurité d’approvisionnement, mais aussi par une augmentation des prix et une baisse d’efficacité. Quand l’inflation aura été maîtrisée, les prix de plusieurs biens demeureront plus élevés qu’auparavant.

En imposant d’abord des tarifs sur les importations chinoises, les États-Unis ont poussé plus loin leur politique protectionniste en interdisant les exportations dans des secteurs comme les semi-conducteurs, de façon à préserver leur avance technologique.

De plus, on a vu apparaître une forme de politique industrielle qui s’apparente à celle des années 60, où à l’aide de subventions, l’État privilégie certains secteurs à développer comme celui des technologies vertes ou de l’électrification des transports.

Les États-Unis ne veulent pas dépendre de la Chine pour les batteries dans le secteur automobile. Le tamisage des investissements étrangers limite aussi la circulation vers des pays ayant un avantage comparé dans la production de biens ou services. Ces politiques industrielles, qui interfèrent dans le jeu des marchés, n’ont pas toujours eu beaucoup de succès dans le passé.

Le fournisseur mondial de semi-conducteurs Taiwan Semiconductor Company illustre bien la fracture en cours des échanges internationaux. Cette société va s’installer en Arizona pour profiter de la nouvelle politique protectionniste des États-Unis.

De plus, les Américains ont laissé tomber le traité qu’ils avaient antérieurement proposé avec l’Asie-Pacifique. Enfin, le Canada et le Mexique peinent à faire respecter l’ALENA face au programme des démocrates sur l’électrification des transports dans le secteur de l’automobile.

Par ailleurs, d’autres pays adoptent des mesures qui vont entraver le commerce mondial: l’Indonésie interdit l’exportation de nickel et en Amérique du Sud, l’Argentine (avec d’autres pays), est à examiner la création d’un consortium semblable à celui de l’OPEP pour l’exportation du lithium.

La guerre en Ukraine nous a aussi montré que des conflits armés peuvent sérieusement perturber les échanges internationaux et contribuer à isoler davantage certains grands pays comme la Chine qui appuie tacitement la Russie. Toutes ces fractures dans la circulation mondiale des biens et services se traduisent par des pertes d’efficacité et donc par une forme d’appauvrissement pour les consommateurs. Dans le contexte actuel, il ne sera pas facile de revenir à des échanges commerciaux libres et plusieurs pays perdront des avantages économiques face à ces mouvements protectionnistes.

 

L’auteur détient une maîtrise en sciences commerciales et un diplôme d’études supérieures en économie appliquée de HEC Montréal et un doctorat (Ph. D.) en sciences économiques (Economics) du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il a enseigné à HEC Montréal et au département de sciences économiques de l’Université de Montréal alors que sa recherche portait sur la macro-économie et la conjoncture. Il a été chercheur invité à la Banque du Canada pendant une année sabbatique en 1986-1987. De 1989 à 2010, il a été professeur titulaire au département de Stratégie des affaires de l’ESG-UQAM, où il est maintenant professeur associé. Ses recherches ont porté sur la conjoncture et également sur la gestion des télécommunications et des médias ainsi que sur l’innovation et l’émergence de nouveaux modèles d’affaires. Il est l’auteur de plusieurs livres, documents de recherche, études techniques, ainsi que d’articles publiés dans les revues scientifiques et d’affaires. Il a travaillé comme consultant auprès du gouvernement canadien, du gouvernement du Québec et d’autres organisations publiques canadiennes et étrangères.