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Le dividende: semblable à la dette?

Les investigateurs financiers|Publié le 30 août 2019

Le dividende: semblable à la dette?

Le dividende peut constituer un boulet pour les finances d'une entreprise. (Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. Un titre vous verse régulièrement des dividendes. Tous les trois mois, vous recevez ce beau paiement en liquide, dont le pourcentage de rendement est souvent plus élevé que ce qu’offrent les obligations. En prime, vos actions pourraient s’apprécier à long terme, amenant du gain en capital. N’est-ce pas le scénario idéal, tout particulièrement pour les investisseurs recherchant un revenu stable avant tout?

Certains lecteurs réagiront avec surprise si je dis que je vois d’un mauvais oeil ces fameux dividendes. Quel est le problème? C’est simple: la direction des entreprises sait à quel point vous y tenez!

Par conséquent, même si la société assume un risque important en maintenant un dividende qui ne devrait pas être versé, ses dirigeants souhaitent d’abord gérer un risque de tout autre nature: celui d’être sévèrement critiqués et d’assister à la dégringolade du titre.

Le cas de Wells Fargo (N.Y., WFC) est éloquent. Dans son rapport annuel de 2008, on affirme fièrement que le dividende a été haussé de 10%, et qu’il s’agit de la 21e année consécutive d’augmentation! En réponse aux inquiétudes des investisseurs, son chef des finances de l’époque, Howard Atkins, déclara qu’il n’était pas question de couper le dividende. C’était le 28 janvier 2009. À peine un mois plus tard, on annonce une coupe de 85%

Autrement dit, face à la pression des investisseurs, oser toucher au dividende constitue la dernière chose envisageable pour les dirigeants. C’est pourquoi je considère souvent ces versements comme une dette qui ne s’effacera que lorsque la société connaîtra des difficultés financières. De la même façon qu’un paiement d’intérêt à intervalle régulier mine les liquidités d’une société, le versement d’un montant périodique aux investisseurs peut mener aux mêmes difficultés.

En Europe, cette mentalité me semble encore plus prononcée. Au Royaume-Uni, une banque affichant plus de 300 ans d’historique cherche à améliorer ses résultats, dans la tourmente de nouvelles réglementations et de la transition vers le numérique. Il s’agit de Barclays (N.Y., BCS), et j’estime qu’elle a bien besoin de toute ses liquidités pour renforcer sa position et investir dans son futur. Or, augmenter le dividende dès que possible constitue une priorité pour la direction.

Le titre se négocie à environ 55% de sa valeur nette tangible, le rendant fort attrayant. Toutefois, son dividende correspond à un risque non négligeable, puisqu’il prive la société de montants importants chaque année. En 2018, la société a distribué 1,7 milliard de livres sterling (G£), comparativement à des profits moyens après impôts d’à peine 500M£ pour les 5 dernières années. Notez que les dividendes sont versés après avoir payé l’impôt corporatif, haussant passablement le «coût» de ce paiement. Dans un de ses commentaires lors de l’annonce de ses derniers résultats disponibles (30 juin 2019), la direction a déclaré qu’elle comprenait l’importance d’offrir un rendement en argent attrayant pour ses actionnaires, et qu’elle comptait augmenter le dividende de façon progressive.

L’actionnaire fait face à un risque double dans un tel cas: si les résultats se détériorent, le dividende peut être coupé, et le titre subira habituellement une bonne correction. Observons le cas de GameStop (N.Y.,GME), un détaillant de jeux vidéos neufs et usagés. La société a coupé son dividende en juin dernier, afin de «sauver» 157M$ annuellement. La société espère ainsi renforcer son bilan et gagner plus de flexibilité financière. Cette annonce fait suite à des résultats fort décevants, dans lesquels les ventes comparables par magasin ont chuté de 10,3% sur un an, comparativement à une baisse prévue de 7% par les analystes. Au moment de l’annonce de la coupe du dividende, le titre a chuté de 35%. Or, les investisseurs qui ont été attirés par le dividende juste avant la mauvaise nouvelle tablaient probablement sur le rendement de 20% qu’il procurait. Au lieu de cela, ils se retrouvent avec un revenu nul, accompagné d’une perte en capital de 35% juste après l’annonce.

Les investisseurs doivent rester vigilants, car les pièges à aubaines (de l’anglais «value trap») affichent souvent un rendement élevé du dividende après une bonne baisse du titre. Par exemple, le dividende de The Kraft Heinz Company offre un rendement de 6,4% annuellement, malgré une amputation du montant de 36% en février dernier. À 40 cents par action par trimestre, la société doit débourser près de 500M$ par an après impôts. Comme la société est déjà fort endettée (la dette à long terme atteint 30G$), je transforme parfois le dividende en «dette», en y appliquant un certain ratio. Dans le cas présent, à 5% d’intérêt, c’est comme si l’entreprise supportait un montant supplémentaire de 10G$ (500M$ / 0.05). Donc au total, nous nous retrouvons avec l’équivalent de 40G$ de dettes.

Dans un monde logique, la direction devrait conserver la totalité du dividende, et l’appliquer au paiement de la dette et à l’amélioration de son modèle d’affaires. Malheureusement, on cherche constamment à amoindrir le choc en optant pour une coupe partielle, en espérant des jours meilleurs à court terme.

Voyons un dernier exemple pour démontrer la détermination de la direction à ne pas toucher à cette sacro-sainte distribution même en temps de difficultés. Le manufacturier d’équipements Nordson (NASDAQ, NDSN) semble adorer afficher une statistique dont il est fier chaque année. Jusqu’à ce jour, il a augmenté son dividende sur 55 ans consécutifs! Dans les rapports annuels, on le souligne souvent. En 2009, malgré une baisse de 27% de ses ventes, le dividende a été haussé de 0,75 cent, passant de 73 cents à 73,75 cents! Ainsi, on a pu annoncer qu’il s’agissait de la 46e hausse annuelle consécutive, et que seulement 16 entreprises publiques américaines détenaient ce record. Autrement dit, avant de briser cette belle séquence, la direction songera d’abord à toutes les autres options possibles. N’est-ce pas le même réflexe que pour la dette? Lorsque l’on se retrouve dans l’impossibilité de la rembourser, on cherche une solution coûte que coûte.

 

Rémy Morel, CIM, Associé Barrage Capital