Le PDG de Metro rejette les accusations du ministre Champagne
Dominique Talbot|Publié le 30 janvier 2024Au cours de l’assemblée des actionnaires, la chaîne québécoise a présenté un chiffre d’affaires et un bénéfice net record pour son exercice 2023. (Photo: Tara Clark pour Unsplash)
Dans une rare apparition médiatique, le PDG de Metro, Eric La Flèche, s’est timidement défendu mardi des propos du ministre de l’Industrie du Canada, François-Philippe Champagne. Ce dernier accuse les grands joueurs de l’industrie alimentaire de manquer de transparence sur les causes de l’inflation alimentaire.
«J’ai vu ce que qui a été dit par le ministre. Nous avons été très transparents. Je sais pas quoi dire de plus», a-t-il dit.
Dans une lettre présentée lundi au commissaire de la concurrence Matthew Boswell, le ministre a indiqué qu’à ce jour, les cinq plus grandes bannières, dont Metro fait partie, et qui contrôlent 80% du marché au Canada, «n’ont pas été suffisamment transparentes sur les causes de l’inflation alimentaire, et ils n’ont pas, pour la plupart, fourni de mises à jour régulières sur les initiatives visant à stabiliser les prix des aliments au pays.»
Ce à quoi Eric La Flèche a simplement rétorqué: «Nous avons collaboré avec le Bureau de la concurrence dans leur étude en 2023. On considère que nous avons été très transparents. Et avec le comité parlementaire. Nous avons expliqué du mieux qu’on pouvait les causes de l’inflation alimentaire.»
Visiblement impatient vis-à-vis ce qu’il qualifie de manque de collaboration des géants de l’alimentation, le ministre a fait savoir qu’il faisait des appels pour attirer des bannières étrangères au Canada, afin de stimuler la concurrence.
«Dans un contexte de libre marché, c’est difficile de définir quel genre de transparence dont nous avons besoin», analyse le professeur Sylvain Charlebois, de l’Université Dalhousie, en Nouvelle-Écosse. Ce dernier ajoute qu’il est difficile de demander à tout le monde d’ouvrir leur stratégie de prix, pour que justement, «ça ne devienne pas anti-compétitif.»
«Les consommateurs s’attendent à être protégés et je ne pense pas que nous avons vu grand-chose [de la part du Bureau de la concurrence], à part une étude publiée en juin qui nous indiquait certains problèmes dans certains micromarchés», poursuit le spécialiste du domaine agroalimentaire.
Refus de rencontrer des actionnaires
Au cours de l’assemblée générale de l’entreprise mardi matin, un groupe d’actionnaires, le Syndicat des employés généraux de la Colombie-Britannique, a tenté de faire adopter une proposition demandant au conseil d’administration (CA) de la chaîne de «rendre compte aux actionnaires, d’ici le 30 septembre 2024, de la manière dont il supervise les risques et la conformité liés aux pratiques anticoncurrentielles.»
Sous recommandation du CA, la proposition a été rejetée, arguant que Metro évoluait dans une économie de marché ouverte et très compétitive, répétant que «les détaillants ne sont pas responsables de l’inflation des prix des denrées alimentaires.»
Des propos répétés par Eric La Flèche en conférence de presse. «Nous opérons dans une industrie extrêmement compétitive. Des joueurs internationaux sont déjà présents au Canada. Walmart, Costco et Amazon. Ce ne sont pas les plus petits joueurs. Si on regarde ça marché par marché, province par province, ville par ville, il y a beaucoup de compétition», a-t-il commenté.
Rien pour convaincre l’organisation à l’origine de la proposition. «Il est important de parler de cet enjeu. Fondamentalement, c’est un enjeu de transparence. Eric La Flèche a parlé aujourd’hui qu’il était très transparent par rapport à l’enjeu de la concurrence. Mais Metro a refusé de nous rencontrer pour en discuter. À titre d’actionnaires, nous en sommes très déçus. C’est pour nous un moyen d’engager une discussion avec une entreprise dans laquelle nous investissons», a dit en entrevue avec Les Affaires Emma Pullman, cheffe de l’engagement des actionnaires au Syndicat des employés généraux de la Colombie-Britannique.
«Quand une entreprise refuse une rencontre avec ses actionnaires, cela soulève justement des questions par rapport à la transparence. Nous aurions apprécié en parler avec eux, mais cela n’a pas été possible», souligne-t-elle, notant au passage que la demande de rencontre avec Metro a été formulée au mois de septembre dernier.
Profits records
Alors que le portefeuille des consommateurs continue de souffrir de l’inflation alimentaire, celui des actionnaires de Metro continue de se remplir. Au cours de l’assemblée des actionnaires, la chaîne québécoise a présenté un chiffre d’affaires et un bénéfice net record pour son exercice 2023.
Ainsi, Metro a conclu celui-ci en dépassant pour la première fois de son histoire la marque des 20 milliards de chiffre d’affaires. Les 20,7 milliards de vente représentent une hausse de 9,7% par rapport à l’année 2022.
À 1,018 milliard de dollars, le bénéfice net a bondi de 19,9% toujours par rapport à l’année 2022, alors que l’inflation alimentaire dépassait le seuil des 10%. À 1,006 milliard, le bénéfice net ajusté est quant à lui en hausse de 9,2%.
Le bénéfice net par action est quant à lui en hausse de 23,9%, pour se situer à 4,35$.
«Il s’agit de résultats solides dans un univers très concurrentiel», a commenté Eric La Flèche, soulignant que Metro en était maintenant à 30 années de croissance continue de ses dividendes. La rémunération totale dirigeant est d’ailleurs passée de 5,360 millions de dollars en 2022 à 6,110 millions en 2023, soit une augmentation de 15%.
«La meilleure mesure pour évaluer le niveau d’abus des chaînes, ce sont les marges bénéficiaires brutes. […] C’est ce qui indique s’il y a de l’exagération, car ce sont les revenus moins le coût des produits vendus. Ce que nous avons observé depuis cinq ans, c’est qu’il n’y a aucune bannière qui a vu sa marge bénéficiaire brute augmenter de manière significative», analyse Sylvain Charlebois, qui rappelle que Metro est aussi propriétaire des pharmacies Jean Coutu et Brunet, «ce qui brouille les cartes un peu».
Par contre, poursuit-il, «je dois avouer pour ce qui est du cas de Metro, depuis quelque temps, c’est certain qu’on remarque que les ventes alimentaires contribuent davantage à la profitabilité de l’entreprise comparativement à Empire ou Loblaws. […] Il y a quand même un bon rendement.»
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