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John Plassard

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Expert(e) invité(e)

Le retour des taux négatifs?

John Plassard|Publié à 17h15 | Mis à jour à 17h16

Le retour des taux négatifs?

La Banque centrale européenne a signalé la possibilité de politiques monétaires plus accommodantes. (Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. Hasard (?) du calendrier, ces deux dernières semaines, tant des membres de la Banque centrale européenne (BCE) que de la Banque nationale suisse (BNS) ont à nouveau émis l’idée des taux négatifs. Alors que l’on pensait que cette thématique était «datée d’un autre temps» après le passage en territoire positif de la banque du Japon (BoJ), l’idée fait gentiment son chemin. Que faut-il en penser et quelles en seraient les conséquences? Synthèse et analyse.

a. Les faits

La Banque centrale européenne (BCE) a signalé la possibilité de politiques monétaires plus accommodantes, François Villeroy de Galhau suggérant que les taux d’intérêt pourraient devoir atteindre des niveaux favorables à la croissance si l’inflation se stabilise à près de 2% et que la croissance reste atone.

Il a insisté sur le fait que si la BCE devait encore réduire ses taux en décembre, les taux négatifs, bien que controversés, devraient rester un outil exceptionnel pour les crises à venir.
Les projections actuelles prévoient des réductions de taux d’environ 150 points de base en 2025, reflétant l’aggravation des signaux de croissance et une inflation se rapprochant de son objectif plus tôt que prévu.

De son côté, Martin Schlegel, le président de la Banque nationale suisse (BNS) a déclaré qu’en cas de crise, l’institution monétaire abaisserait les taux d’intérêt et veillerait à ce que le franc ne devienne pas trop fort.

Martin Schlegel, qui a pris la tête de la banque centrale en octobre, a également déclaré à plusieurs reprises que les responsables étaient prêts à ramener les coûts d’emprunt en dessous de zéro, si cela s’avérait nécessaire pour maintenir la stabilité des prix. La Suisse a appliqué des taux négatifs pendant près de huit ans, jusqu’en 2022.


Bref, que cela soit en zone euro ou encore Suisse, on ose à nouveau parler de taux négatifs alors que le Japon (dernier pays dans cette zone) vient d’en sortir…

b. Qu’est ce que cela veut dire d’avoir des taux négatifs ?

Le terme de taux d’intérêt négatif fait référence aux situations dans lesquelles les intérêts sont payés aux emprunteurs plutôt qu’aux prêteurs. Lorsque les taux d’intérêt sont négatifs, les banques centrales facturent généralement les banques commerciales sur leurs réserves, dans le cadre d’une politique monétaire expansionniste non traditionnelle, au lieu de les créditer.

Il s’agit d’un scénario très inhabituel, lorsque les efforts monétaires et les forces du marché ont déjà poussé les taux d’intérêt à leur limite nominale zéro. Cet outil vise à encourager les prêts, les dépenses et les investissements plutôt que la thésaurisation des liquidités, qui perdront de leur valeur en raison des taux de dépôt négatifs.

Par le passé, les taux d’intérêt négatifs ont été mis en place, car les responsables de la politique monétaire craignaient que leur économie ne tombe dans une spirale déflationniste. En période de difficultés économiques, les particuliers et les entreprises ont tendance à conserver leurs liquidités en attendant que l’économie s’améliore.

Mais ce comportement peut affaiblir davantage l’économie, car le manque de dépenses entraîne de nouvelles pertes d’emploi, une baisse des bénéfices et une chute des prix. Tout cela renforce les craintes des gens et les incite encore plus à thésauriser leur argent.

Lorsque les dépenses ralentissent encore, les prix chutent à nouveau, ce qui incite à nouveau les gens à attendre que les prix baissent encore. Et ainsi de suite. C’est précisément la spirale déflationniste que les banques centrales européennes veulent éviter avec des taux d’intérêt négatifs, qui affectent non seulement les prêts bancaires, mais aussi les dépôts bancaires.

c. Qu’en pensent les principaux intéressés ?

Pour savoir si les taux négatifs sont efficaces, il faut tout d’abord analyser ce qu’en disent les principaux intéressés, c’est-à-dire les banques centrales:

  • BCE: les taux d’intérêt négatifs, mis en œuvre jusqu’en juillet 2022, restent un outil monétaire complexe et controversé, qui remet en cause l’idée reçue selon laquelle les taux nominaux devraient toujours être positifs. Bien que cette politique vise à stimuler l’activité économique, ses détracteurs affirment qu’elle pourrait fausser les incitations et compromettre la discipline budgétaire.
    Malgré ces préoccupations, son incidence économique est largement considéré comme positif, des mesures telles que l’étagement atténuant les effets négatifs sur la rentabilité des banques et l’offre de prêts. Toutefois, les taux négatifs ne sont considérés comme adaptés qu’à des circonstances
    exceptionnelles, soulignant la nécessité d’éviter la persistance d’une faible inflation qui pourrait nécessiter leur utilisation. — François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, 28 novembre 2024
  • BNS : la Banque nationale suisse (BNS) considère les taux d’intérêt négatifs comme un outil non conventionnel, mais efficace pour relever des défis économiques spécifiques, tels que la limitation de l’appréciation excessive du franc suisse et le maintien de la stabilité des prix. Cette politique, appliquée de 2015 à 2022, a permis de réduire l’attrait du franc en tant que monnaie refuge, soutenant ainsi l’économie suisse. Bien que la BNS ait mis fin aux taux négatifs en septembre 2022, elle les considère comme une option viable pour l’avenir si les conditions économiques le justifient, en se concentrant principalement sur l’accomplissement de son mandat monétaire. La BNS reste
    prudente quant aux inconvénients potentiels des taux négatifs, notamment leur effet sur la rentabilité des banques et la discipline budgétaire. Dans l’ensemble, la BNS considère les taux négatifs comme une mesure de dernier recours à utiliser judicieusement dans des circonstances exceptionnelles. – Martin Schlegel, novembre 2024
  • BoJ : la Banque du Japon (BoJ) a récemment reconnu l’héritage mitigé de sa politique de taux d’intérêt négatifs, qu’elle a maintenue de 2016 à 2023. Si la BoJ considère que cette politique a joué un rôle crucial dans la lutte contre la déflation et l’encouragement des prêts pendant une période prolongée de faible croissance et d’inflation, elle reconnaît également ses limites et ses
    effets secondaires. Ceux-ci comprennent la réduction de la rentabilité des banques, le découragement de l’épargne et la remise en question de l’efficacité à long terme de cette politique. Sous la direction du gouverneur Kazuo Ueda, la BoJ s’est détournée des taux négatifs, soulignant que les conditions économiques qui justifiaient une telle politique — déflation persistante et croissance atone — se sont améliorées. L’inflation est plus stable et les perspectives économiques du Japon ne nécessitent plus cette mesure extrême. Toutefois, la BoJ reste ouverte à l’idée de réexaminer les taux négatifs à l’avenir, les considérant comme un outil exceptionnel pour faire face à des crises économiques graves.

En résumé, les taux d’intérêt négatifs, adoptés par la BCE, la BNS et la BoJ à des moments différents, ont été des outils non conventionnels pour lutter contre la déflation et soutenir l’économie, bien qu’ils soient controversés en raison de leurs effets secondaires tels que la pression sur la rentabilité des banques et la discipline budgétaire.

Ces politiques ont permis de stabiliser les marchés et de relancer les prêts, mais elles sont désormais perçues comme des mesures exceptionnelles à réserver aux crises majeures.

Malgré leur efficacité relative dans des contextes spécifiques, ces banques centrales s’accordent sur l’importance d’éviter une dépendance prolongée à ces taux, tout en restant prêtes à les réintroduire en cas de nécessité future.

d. Gagnants et perdants des taux négatifs

Voici quels sont les gagnants et les perdants de la politique de taux d’intérêt négatifs (de la BCE en l’occurrence).

Gagnants :

– Les banques du sud de la zone euro: les banques d’Europe du Sud. Les banques de pays comme l’Italie et l’Espagne ont bénéficié des TLTRO, qui offraient des conditions de financement attrayantes liées à la performance des prêts. Au fil des ans, ces banques ont accumulé des revenus nets positifs, même pendant la pandémie, lorsque les conditions des TLTRO ont été assouplies à -1 %.

Les pays avec moins de réserves excédentaires : les économies du Sud ayant moins de réserves excédentaires par rapport à leurs réserves obligatoires sont celles qui en ont le plus profité. Ces banques avaient moins de fonds soumis aux taux négatifs de la BCE, ce qui réduisait leurs coûts par rapport à leurs homologues du Nord.

Les emprunteurs : les entreprises et les ménages de ces régions ont bénéficié de coûts d’emprunt plus faibles, ce qui a soutenu le crédit et l’activité économique.

Perdants :

Les banques du nord de la zone euro: les banques allemandes et néerlandaises ont souffert de réserves excédentaires importantes qui ont été taxées à des taux négatifs, ce qui a entraîné des coûts nets au fil des ans. Ce fardeau l’a emporté sur leur participation aux opérations de refinancement à long terme jusqu’à ce que les conditions soient plus généreuses après 2020.

– Épargnants individuels : les taux négatifs prolongés ont érodé les rendements de l’épargne des ménages dans toute la zone euro, sapant la confiance du public dans la politique monétaire.

– Compagnies d’assurance et fonds de pension : ces entités ont eu du mal à honorer leurs engagements en raison de la baisse des rendements, qui a rendu difficile la génération de rendements adéquats sur les portefeuilles de titres à revenu fixe.


e. Une expérience pour les banques qui se calcule en milliards


Théoriquement, avec les taux d’intérêt négatifs, les banques commerciales doivent payer des intérêts pour conserver des liquidités auprès de la banque centrale d’un pays, au lieu de recevoir des intérêts. Cette dynamique devrait théoriquement se répercuter sur les consommateurs et les entreprises. Mais en réalité, les banques commerciales sont généralement réticentes à répercuter les taux négatifs sur leurs clients, ce qui a des conséquences sur leurs marges…


En Europe, si l’objectif de la BCE en imposant des taux négatifs fut de relancer l’économie et l’inflation en forçant les détenteurs de liquidités excédentaires à les investir ou à les dépenser, force est de constater que les effets secondaires ont été plus nombreux que les effets bénéfiques.

Au cours de la période de taux d’intérêt négatifs dans la zone euro (2014-2022), les banques ont payé un montant total estimé entre 50 et 100 milliards d’euros pour déposer leurs réserves excédentaires auprès de la BCE.

Cela s’explique par le fait que le taux de dépôt de la BCE a atteint jusqu’à -0,5 %, en particulier après l’expansion de l’assouplissement quantitatif.

Certaines banques européennes ont été plus durement touchées par les taux négatifs que d’autres. Les institutions allemandes, par exemple, assises sur une montagne de liquidités, ont été particulièrement touchées par la mise en place des taux négatifs.


Christian Ossig, le co-chef de l’Association des banques allemandes, avait indiqué que la révision de la politique monétaire de la BCE était « impérative », car les risques et les effets secondaires sur les banques allemandes étaient de plus en plus clairs.

Les banques suisses de leur côté, à cause des taux négatifs, auraient versé 2 milliards de francs par an à la Banque Nationale Suisse (BNS), soit 5% de leurs revenus d’intérêts.

Elles étaient défavorisées par rapport à la concurrence internationale puisque les banques américaines gagneraient 30 milliards de dollars américains sur leurs intérêts sans risque et que les instituts de la zone euro reçoivent de l’argent de la BCE.

Comme le rappelait le président de l’Association suisse des banquiers (ASB), Herbert Scheidt, les banques suisses étaient d’autant plus impactées que les prescriptions réglementaires sont plus strictes qu’ailleurs.

Enfin, il ne faut pas oublier que le passage de la BCE à des taux positifs en 2022 a rééquilibré le système financier de la zone euro. Les banques de toutes les régions bénéficiant d’une dynamique de politique monétaire plus traditionnelle, ce qui réduit les effets de redistribution observés pendant la période des taux négatifs.


a. Synthèse


Les taux d’intérêt négatifs, bien qu’appartenant au passé récent, restent un outil monétaire controversé aux effets variés. Si les banques du sud de l’Europe ont tiré profit des TLTRO et des conditions de financement favorables, cette politique a pesé sur les épargnants, les compagnies d’assurance et les fonds de pension, confrontés à des rendements insuffisants pour répondre à leurs engagements.

Exclure le retour des taux d’intérêt négatifs (même si ce n’est pas notre scénario actuel) serait une grave erreur, ce d’autant plus que certaines banques centrales n’ont plus beaucoup de «munitions» pour défendre leur mandat ou leur… devise!