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EXPERT INVITÉ. C’est une thématique que nous avons abordée lorsque les taux d’intérêt étaient encore proches de zéro: les entreprises zombies. Avec des taux qui pourraient potentiellement rester plus élevés qu’escomptés («higher for longer») par le consensus, nous pourrions assister à une nette augmentation de faillites de ce type d’entreprises. La BIS (Bank for International Settlements ou Banque des règlements internationaux (BRI)) a d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme. Qu’en est-il et le phénomène peut-il accélérer la baisse de la croissance mondiale?
Les faits
La Banque des Règlements Internationaux (BRI) et l’Organisation de coopération et de développement (OCDE) ont mis en garde fin 2019 contre les dommages collatéraux d’une politique monétaire de la Banque Centrale Européenne (BCE) extrêmement laxiste. Une des plus grandes menaces serait l’augmentation des «entreprises zombies».
Depuis que le «redressement économique» a commencé, le pourcentage d’entreprises zombies dans les 14 économies dites avancées est passé de 7,5% à près de 15%. Au Canada, selon Banerjee et Hofmann ce serait le double: 30%!
La BCE a aussi tiré la sonnette d’alarme en 2021 en affirmant que 6% de ces entreprises risquent la faillite dès que le gouvernement stoppera les aides. Nous y sommes.
L’agence Bloomberg (avec Fathom Consulting) quant à elle estime que près de 20% des entreprises américaines (ci-dessous) pourraient être catégorisées comme «entreprises zombies».
Mais si l’on élargit les critères à une seule année d’EBIT ne couvrant pas les intérêts, ce chiffre grimpe à près de 30%.
En effet, près d’un tiers des entreprises américaines fonctionne avec un EBIT trop faible pour couvrir leurs paiements d’intérêts. Et lorsque leurs paiements d’intérêts augmenteront — ce qui se produira lorsqu’elles devront refinancer leur dette à des taux plus élevés —, encore plus d’entreprises rejoindront le club des zombies, les plus faibles d’entre elles étant potentiellement contraintes de faire défaut.
La définition
Une entreprise zombie est, selon la définition, une entreprise de plus de dix ans qui présente un taux de couverture des intérêts (ICR) inférieur à 1 pendant trois exercices consécutifs. Un effet de levier élevé et un ICR faible permettent d’identifier les entreprises qui ne peuvent pas couvrir les coûts du service de la dette, tandis qu’une croissance négative des ventes identifie les entreprises ayant de faibles perspectives de croissance, car la croissance des ventes est un bon indicateur des performances futures des entreprises.
Essentiellement, une société qui ne survit que grâce à un refinancement constant de sa dette et qui, en dépit des restructurations et des taux faibles, n’est toujours pas capable de couvrir le paiement de ses intérêts débiteurs avec les bénéfices d’exploitation, encore moins de rembourser le principal.
En bref, il s’agit d’une entreprise insuffisamment rentable et qui a du mal à rembourser ses dettes.
D’où viennent les zombies?
Pour déterminer d’où viennent les zombies, il faut revenir à la «décennie perdue» du Japon dans les années 1990. Lorsque l’économie japonaise s’est dégradée, un certain nombre d’entreprises japonaises n’ont même pas été en mesure de payer les intérêts de leurs dettes.
Normalement, ces entreprises auraient dû faire faillite, mais de nombreuses banques ont choisi de laisser les entreprises suspendre leurs paiements pour éviter d’admettre à leurs actionnaires que le prêt ne serait probablement jamais entièrement remboursé. En conséquence, le secteur bancaire a maintenu ces entreprises en difficulté pendant des années.
Le phénomène des zombies ne s’est toutefois pas limité au Japon. Après la crise financière de 2008, des rapports sur ces entreprises ont commencé à apparaître partout.
En 2017, des économistes de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont publié un document suggérant que les entreprises zombies semblaient être en augmentation dans les économies combinées de la Belgique, de la Finlande, de la France, de l’Italie, de la Corée, de la Slovénie, de l’Espagne, de la Suède et du Royaume-Uni.
De plus, cette augmentation semblait liée à une faible croissance de la productivité. Selon eux, le maintien de ces entreprises est mauvais pour l’économie.
Enfin, en 2018, les économistes de la Banque des règlements internationaux, une coopérative de banques centrales, ont apporté une réponse. Ils ont établi un lien entre les taux d’intérêt bas et le nombre croissant d’entreprises zombies. Les pays où les taux ont le plus baissé sont ceux où la part des entreprises zombies a le plus augmenté.
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Faut-il s’inquiéter?
Si la majeure partie des «entreprises zombies» sont des PME et ne sont pas cotées en bourse, on estime tout de même aux États-Unis que près de 13% des sociétés du S&P 1500 (SPR) peuvent aussi être cataloguées comme étant des «morts vivants», la question de savoir s’il faut s’inquiéter est donc légitime.
En effet, une progression des «entreprises zombies» récompense les improductifs et taxe les productifs, créant une incitation perverse et ne protégeant rien au final.
Les entreprises qui ont un rendement inférieur ont leur dette refinancée encore et encore, tandis que les entreprises en croissance et de hautes productivités ont du mal à avoir accès au crédit.
L’OCDE rappelle que non seulement les «entreprises zombies» affectent l’investissement directement, mais elles peuvent aussi exercer un effet d’éviction sur les investissements des entreprises non zombies et, ce faisant, entraver l’affectation efficiente des ressources et ralentir la croissance de la productivité multifactorielle en empêchant les entreprises plus productives de gagner des parts de marché.
La congestion causée par les entreprises zombies peut ainsi réduire la croissance potentielle de la production et de la productivité.
D’après les estimations des effets de congestion dus aux entreprises zombies dans les pays de l’OCDE, la faiblesse des investissements des entreprises depuis la crise pourrait s’expliquer en partie par le fait que certaines entreprises chroniquement faibles n’ont toujours pas quitté le marché…
Le problème de la COVID-19
Le soutien sans précédent apporté par les politiques fiscales et monétaires à la suite de la pandémie de COVID-19 a mis en évidence les préoccupations liées au fait que le crédit bon marché pourrait alimenter le financement d’entreprises zombies, c’est-à-dire des entreprises qui ne sont pas en mesure de générer suffisamment de bénéfices pour couvrir les coûts du service de la dette et qui doivent emprunter pour rester en vie.
De nombreux observateurs dont le Washington Post ont fait remarquer que les entreprises zombies pourraient évincer les prêts aux entreprises productives et éroder la force de l’économie américaine.
Les États-Unis un peu moins affectés… jusqu’à aujourd’hui
Selon une étude de la Réserve fédérale américaine (Fed), les entreprises zombies ne sont pas une caractéristique très importante de l’économie américaine.
Parmi les entreprises privées et cotées en bourse, les entreprises zombies sont peu nombreuses et généralement de petites tailles; elles sont surtout concentrées dans les secteurs de la fabrication et du commerce de détail et représentent une faible part du crédit total accordé aux entreprises non financières.
En outre, la part des entreprises cotées en bourse qu’identifie la Fed comme zombies présente un profil cyclique, augmentant pendant les récessions et diminuant pendant les expansions, reflétant probablement une combinaison de chocs globaux et spécifiques au secteur.
Bien que les résultats apportent un nouvel éclairage sur la nature et l’importance des entreprises zombies dans l’économie américaine, évaluer si la récession due à la pandémie et le soutien fiscal et monétaire sans précédent qu’elle a déclenché pourraient conduire à la prolifération des entreprises zombies reste une question ouverte qui ne pourra être traitée que lorsque davantage de données seront disponibles.
Où sont les zombies?
Une question intéressante est de savoir si les entreprises zombies sont répandues dans toutes les industries ou concentrées dans quelques secteurs en déclin.
Si l’on se concentre sur les entreprises identifiées comme zombies à la fin de 2020, le tableau ci-dessous montre que si les entreprises cotées classées comme zombies sont fortement concentrées dans le secteur manufacturier, les zombies parmi les entreprises privées sont surreprésentés par rapport aux entreprises non-zombies dans le secteur du commerce de détail, dans l’industrie manufacturière et dans l’industrie minière, pétrolière et gazière.
Les zombies et les taux d’intérêt
L’économie actuelle est une mauvaise nouvelle pour les entreprises zombies. Le niveau des taux d’intérêt exerce une pression sur elles, pour plusieurs raisons:
• Les taux d’intérêt élevés réduisent la demande dans l’économie, ce qui signifie moins de revenus pour de nombreuses entreprises, ainsi que moins de liquidités pour rembourser les dettes.
• Ils rendent plus difficile la recherche de nouveaux financements, car les entreprises qui ne pouvaient pas couvrir leurs paiements d’intérêts à des taux plus bas seront encore plus en retard si elles empruntent à des taux plus élevés.
• Lorsque les taux d’intérêt augmentent, les investisseurs et les banques ont moins intérêt à prêter aux zombies, car des taux plus élevés signifient qu’ils ont des options meilleures et plus sûres.
•Ainsi, la hausse des taux poussera probablement davantage d’entreprises zombies à la faillite. Et elle poussera davantage d’entreprises saines vers le statut de zombie: les entreprises qui pouvaient couvrir leurs paiements d’intérêts pourraient ne plus en être capables si elles devaient emprunter à des taux plus élevés.
La faillite n’est cependant pas la seule option pour les entreprises zombies. Elles peuvent également vendre des actifs, ce qui peut constituer une opportunité pour les entreprises plus saines.
Les sociétés de capital-investissement ne sont pas les seules à être à l’affût des entreprises en difficulté qui cherchent à se défaire de leurs activités ; les entreprises disposant de beaucoup de liquidités ou ayant la capacité de lever des fonds pourront également acheter à bas prix si les taux d’intérêt restent au même niveau plus longtemps que prévu.
En effet, le plus longtemps les taux d’intérêt resteront proches des niveaux actuels, plus dure sera la chute…
Les États peuvent aussi être des «États zombies»
Si on pousse la réflexion un peu plus loin, on peut affirmer que certains gouvernements/États sont aussi des «États zombies» lorsqu’ils sont incapables d’aligner des budgets à l’équilibre et/ou de s’endetter plus facilement pour financer leurs politiques économiques.
Ainsi, tout comme une «entreprise zombie», l’État détourne également des ressources qui auraient pu être affectées à des fins productives…
C’est notamment le cas dans certains pays européens qui ne connaissent pas de croissance…
Synthèse
On peut sourire du titre de cette étude, mais la thématique est des plus sérieuse et des plus importante pour la croissance future de plusieurs entreprises et de plusieurs états. En attendant potentiellement trop longtemps avant de baisser leurs taux d’intérêt, les banques centrales pourraient alimenter certains effets de second tour, dont l’effondrement de nombreuses entreprises considérées comme des zombies…
Ce texte est tiré de l’infolettre quotidienne de John Plassard, gracieuseté de Mirabaud
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