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Les conséquences de la hausse du prix du baril de pétrole

John Plassard|Publié le 20 mars 2024

Les conséquences de la hausse du prix du baril de pétrole

(Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. La baisse de la vigueur économique en Chine en 2023 a laissé craindre le pire pour la croissance mondiale. De nombreuses interrogations entouraient aussi le prix du baril de pétrole puisque la Chine est le premier consommateur mondial d’or noir. Cependant, contre toute attente, le «crude» a dépassé les 82$US le baril en début de semaine et se dirige tout droit vers les 90$US.

 

Quelles sont les dernières informations?

Les contrats à terme sur le pétrole brut WTI ont progressé au-dessus de 82$US le baril en début de semaine, frôlant leurs plus hauts niveaux depuis le début du mois de novembre, les inquiétudes concernant l’offre continuant à soutenir les prix du pétrole.

Les analystes ont souligné les frappes de drones ukrainiens sur trois raffineries de pétrole russes au cours du week-end, qui représentent au moins 10% de la capacité totale de traitement du pétrole de la Russie.

Au Moyen-Orient, l’Irak a annoncé qu’il réduirait ses exportations de brut à 3,3 millions de bpj au cours des prochains mois pour compenser le dépassement de son quota OPEP+ depuis janvier.

L’Arabie saoudite a également vu ses exportations de brut diminuer pour le deuxième mois consécutif, tombant à 6,297 millions de bpj en janvier contre 6,308 millions de bpj en décembre.

Du côté de la demande, les investisseurs ont salué les chiffres robustes de la production industrielle et des ventes au détail en Chine, principal importateur de pétrole brut, ainsi que les perspectives solides de la demande mondiale de pétrole pour cette année.

Bref, le prix de l’or noir a progressé non pas à cause d’une raison, mais de plusieurs.

 

Y a-t-il un déficit de l’offre?

La réponse serait oui. En tout cas si on se réfère au dernier rapport de l’agence internationale de l’énergie (AIE).

En effet, l’AIE a révisé à la hausse ses prévisions de croissance de la demande tout en abaissant les estimations de l’offre mondiale sur les réductions de production de l’OPEP+ en 2024.

L’AIE estime désormais que la demande mondiale de pétrole devrait augmenter de 1,3 million de barils/jour en 2024 pour atteindre 103,2 millions de barils/jour, soit une hausse d’environ 0,11 million de barils/jour par rapport à ses estimations précédentes. 

Du côté de l’offre, l’AIE estime que l’offre mondiale devrait augmenter de 0,8 million de barils/jour cette année pour atteindre 102,9 millions de barils/jour, en tenant compte d’un ajustement à la baisse de la production de l’OPEP+. Selon des estimations récentes, le marché pétrolier pourrait connaître un déficit de l’offre de 0,3 million de barils/jour en 2024, alors que l’estimation précédente faisait état d’un excédent de 0,8 million de barils/jour.

Les dernières données d’Insights Global montrent que les stocks de produits raffinés dans la région ARA ont diminué de 30kt au cours de la semaine dernière pour atteindre 6mt. La baisse est principalement due aux stocks de fuel qui ont chuté de 132kt pour la cinquième semaine consécutive à 1,51mt.

Pendant ce temps, les stocks hebdomadaires d’essence ont connu une baisse marginale de 2kt au cours de la semaine écoulée pour atteindre 1,23mt. Cependant, les stocks de gasoil dans la région ont augmenté de 74kt à 2,11mt au cours de la semaine dernière.

 

À SUIVRE -> Quels sont les effets d’un prix du baril de pétrole plus élevé?

Quels sont les effets d’un prix du baril de pétrole plus élevé?

Il y a évidemment plusieurs effets d’un prix du baril de pétrole plus élevé. 7 sont à mettre en avant (qui seront traités plus bas) :

• Consommateur: la hausse des prix du pétrole entraînera une augmentation du niveau général des prix dans l’économie. Cela réduira le pouvoir d’achat et le revenu réel des consommateurs, en particulier de ceux qui ont des revenus fixes ou de faibles salaires. Elle affectera également les taux d’intérêt et les taux de change auxquels les consommateurs sont confrontés lorsqu’ils empruntent ou épargnent de l’argent.

• Inflation: la hausse des prix du pétrole entraînera une augmentation des coûts de transport, et donc une hausse des prix de la plupart des biens. Il s’agira d’une inflation poussée par les coûts, différente de l’inflation causée par l’augmentation de la demande globale/la croissance excédentaire.

• Compte courant: la hausse des prix du pétrole augmentera la facture des importations pour les pays importateurs de pétrole, ce qui entraînera une détérioration de leur balance des opérations courantes. Cela affectera également leur taux de change et leurs réserves de change. Cependant, la hausse des prix du pétrole augmentera aussi les recettes d’exportation des pays exportateurs de pétrole, ce qui entraînera une amélioration de leur balance des opérations courantes.

• Investissement dans les produits de substitution: la hausse des prix du pétrole incitera les producteurs de pétrole à augmenter leur capacité de production et à explorer de nouvelles sources de pétrole. Elle encouragera également les consommateurs et les entreprises à rechercher des solutions de remplacement du pétrole, telles que les énergies renouvelables, les véhicules électriques et l’efficacité énergétique.

• Alternatives: la hausse des prix du pétrole rendra les combustibles fossiles moins compétitifs et plus coûteux par rapport aux alternatives à faible teneur en carbone. Elle augmentera également la pression sociale et environnementale sur les gouvernements et les entreprises pour qu’ils réduisent leur dépendance au pétrole et adoptent des sources d’énergie plus propres.

• Investissement: la hausse des prix du pétrole peut réduire les dépenses d’investissement de certaines entreprises, en particulier celles qui ne sont pas directement impliquées dans l’industrie pétrolière. La hausse des prix du pétrole peut réduire la rentabilité et les flux de trésorerie de ces entreprises, car elles peuvent être confrontées à des coûts de production plus élevés et à une demande plus faible pour leurs produits ou services.

• Croissance économique: la hausse des prix du pétrole réduira le revenu réel et le pouvoir d’achat des consommateurs et des entreprises, ce qui entraînera une baisse de la demande globale et de la production. Cela affectera également la rentabilité et les décisions d’investissement des entreprises.

 

 

À SUIVRE -> Quel est le lien entre le prix du baril de pétrole et récession?

Quel est le lien entre le prix du baril de pétrole et récession?

Lorsqu’on se réfère aux précédentes récessions, on évite de parler de l’épisode de la COVID-19, car il a été à mettre sur le compte d’une situation spécifique et «extraordinaire» (crise sanitaire). Je vais donc prendre l’exemple précédent, il y a 15 ans de cela.

La crise financière de 2008 et la grande récession qui a suivi ont eu un impact négatif prononcé sur le secteur pétrolier et gazier, car elles ont entraîné une chute brutale des prix et une contraction du crédit. La baisse des prix a entraîné une chute des revenus des compagnies pétrolières et gazières.

La crise financière a également entraîné un resserrement des conditions de crédit qui a amené de nombreux explorateurs et producteurs à payer des taux d’intérêt élevés lorsqu’ils se sont procurés des capitaux, ce qui a réduit les bénéfices futurs.

La crise a finalement dévoilé une vague de déflation et de liquidation qui a fait baisser tous les actifs, y compris le pétrole et le gaz. Dans le même temps, le chômage a augmenté, car les entreprises ont réduit leur production, la demande globale étant en baisse. Par conséquent, la consommation d’énergie a diminué et la demande de pétrole et de gaz a baissé à son tour, ce qui a exercé une pression supplémentaire sur son prix.

Le prix du pétrole est passé d’un maximum de 133,88 $US en juin 2008 à un minimum de 39,09 $US en février 2009 (de 146 à 38 pour le WTI). Au cours de la même période, le prix du gaz naturel est passé de 12,69 $US à 4,52 $US.

Les prix de l’énergie ont ainsi chuté en raison de la diminution de la demande, de la contraction du crédit permettant d’effectuer des achats et de la baisse des bénéfices des entreprises, qui a entraîné des licenciements et une hausse du chômage.

Finalement, les mesures de relance agressives employées par les gouvernements pour lutter contre la crise financière ont suscité des attentes d’inflation accrue qui ont conduit à l’achat de produits de base et à une amélioration des conditions de crédit. La demande a rebondi lorsque les mesures de relance budgétaire et monétaire ont inversé les forces déflationnistes et entraîné une hausse des prix.

 

À quel moment les États-Unis vont-ils commencer à reconstituer leurs réserves stratégiques?

Le ministère américain de l’Énergie a libéré près de 26 millions de barils de brut de la réserve stratégique de pétrole (SPR) au cours des six premiers mois de 2023 et a libéré un total de 247 millions de barils depuis le début de 2022.

Les rejets ont contribué à exercer une pression à la baisse sur les prix au comptant et les écarts calendaires en augmentant la quantité de pétrole facilement disponible pour les négociants et les raffineurs.

L’administration Biden les a ordonnées pour compenser toute pénurie de pétrole et toute pression à la hausse sur les prix résultant de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et des sanctions imposées par les États-Unis et l’Union européenne en réponse à cette invasion.

Mais les libérations étaient pour l’essentiel terminées à la fin du mois de juin et le ministère a depuis ajouté près de 3 millions de barils au SPR, dans le cadre de son plan visant à remplir progressivement les stocks lorsque les prix sont relativement bas.

Le passage de la liquidation des stocks stratégiques à l’accumulation a encore réduit la disponibilité du brut sur le marché commercial et renforcé la pression à la hausse sur les prix et les écarts.

Rappelons que le niveau des réserves stratégiques de pétrole est revenu à un plus bas de… 40 ans!

 

À SUIVRE -> Quel est le lien entre prix du baril de pétrole et S&P 500?

Quel est le lien entre prix du baril de pétrole et S&P 500?

Vous n’êtes pas sans savoir que l’évolution du S&P 500 dépend surtout de plusieurs grandes entreprises, dont les «7 magnifiques» (dont font partie Nvidia, Apple ou encore Microsoft) qui sont des valeurs technologiques.

Cependant, depuis 2018 surtout, on a vu que la corrélation entre l’indice préféré des investisseurs et le prix du baril de pétrole évoluait de pair jusqu’à la fin 2023… Ceci signifie que les craintes engendrées par une inflation plus élevée (induite par une hausse de l’or noir) n’ont pas (encore ?) d’influence sur le S&P 500.

Aujourd’hui, le prix du baril de pétrole semble «en retard» sur l’évolution du S&P 500. 

 

De quoi dépend d’évolution du prix du baril pétrole?

Nous rappelons une nouvelle fois ici que l’évolution du prix du baril de pétrole ne dépend pas «seulement» de l’offre et de la demande, mais aussi de:

• L’évolution du dollar

• Le pourcentage de rabais sur le prix officiel

• L’importance de l’aspect budgétaire pour plusieurs pays (on songe notamment à l’Arabie Saoudite, au Nigéria et au Venezuela)

• La géopolitique (la guerre en Ukraine et les tensions au Moyen Orient)

• Les décisions de l’OPEP+

• L’aspect météorologique (un hiver sera-t-il plus froid ou plus chaud)

• Les catastrophes naturelles (dont font partie les ouragans)

• Le nombre de tankers qui attendent au large des côtes

 

À SUIVRE -> Quel est le lien entre prix du baril et inflation?

Quel est le lien entre prix du baril et inflation?

Une hausse marquée des prix du pétrole contribuera à un niveau d’inflation plus élevé. En effet, les coûts de transport augmenteront, ce qui entraînera une hausse des prix de nombreux biens.

Il s’agira d’une inflation par poussée des coûts, qui est très différente de l’inflation causée par l’augmentation de la demande globale et d’une croissance excessive.

Le lien entre le prix de l’or noir et l’inflation est extrêmement net, on le constate par exemple en comparant le 5 ans/5 ans (quelle sera l’inflation à 5 ans dans 5 ans) et le prix du WTI.

Historiquement, la hausse du prix du brut engendre une augmentation des prix à la consommation. Prenons, à titre d’illustration, le cas des États-Unis. Une très intéressante étude parue dans la revue française d’économie nous confirme que même s’il a quelque peu diminué depuis le deuxième choc pétrolier, le poids du pétrole dans l’économie mondiale et plus particulièrement l’inflation reste considérable.

Le graphique ci-dessus fait clairement ressortir la dynamique croissante de l’inflation (sous-jacente ou non) un an avant le premier choc, hausse qui s’accentue avec l’augmentation du prix du brut en 1973. L’inflation est ainsi quasiment multipliée par deux entre 1973 et 1974.

De même, on constate une tendance croissante de l’inflation deux ans avant le choc pétrolier de 1979, puis une hausse très nette à partir du moment où le prix du brut s’envole.

Ensuite, le ralentissement du prix du pétrole au début des années 1980 s’accompagne d’une baisse de l’inflation. Il existe donc bien un lien très net entre les deux variables durant les deux premiers chocs pétroliers.

À cet effet direct sur les prix à la consommation, viennent s’ajouter des effets de second tour. Les ménages revendiquent une revalorisation de leur rémunération afin de limiter leur perte de pouvoir d’achat.

Du côté des entreprises, elles tentent de répercuter la hausse du prix du pétrole sur leur prix de vente afin de restaurer leurs marges.

Ces différents effets alimentent une spirale inflationniste engendrant en outre des révisions à la hausse des anticipations d’inflation.

Ces effets, directs et indirects, sur l’inflation et sur les anticipations d’inflation conduisent à une hausse des taux d’intérêt.

La Fed, dont la politique monétaire était accommodante jusqu’en 1973, réagit en augmentant ses taux jusqu’au niveau de 13% au milieu de l’année 1974.

La politique monétaire de lutte contre l’inflation menée, dès juillet 1979, au sein de l’ère Volcker-Greenspan lors du second choc est encore plus restrictive et les taux atteignent 18% en 1980.

Pour Ben Bernanke ensuite, l’essentiel du ralentissement de l’activité économique suite au renchérissement du brut pouvait ainsi être attribué aux politiques contraignantes adoptées par la Fed afin de lutter contre l’inflation, et particulièrement aux hausses de taux d’intérêt directeurs…

 

Quel est le lien entre prix du baril et croissance?

C’est un peu l’histoire du serpent qui se mord la queue: d’une part, la croissance économique influe le prix du pétrole, et d’autre part, ce prix a un effet sur la productivité et la stabilité de l’économie.

Tout d’abord, une hausse du prix du pétrole constitue un choc d’offre négatif pour l’économie, au sens où elle réduit sa capacité à créer et à distribuer des richesses. La hausse du prix du pétrole augmente en effet le prix des consommations intermédiaires et affecte négativement la production.

Ensuite, au choc d’offre induit par la hausse du prix du pétrole s’ajoute un choc de demande, lui aussi négatif, prenant la forme d’une réduction de la demande pour les produits nationaux. Ces produits sont devenus plus chers, mais ils font face à une demande structurellement plus faible, car les principaux partenaires commerciaux, importateurs nets de pétrole, réduisent leur demande adressée à un pays.

Les rajustements de la consommation des produits pétroliers peuvent s’échelonner sur plusieurs années. Par exemple, les propriétaires de véhicules automobiles ne remplacent pas immédiatement leur véhicule dès que le prix de l’essence monte ou descend. Par contre, ils prennent ce facteur en considération au moment de l’achat d’un nouveau véhicule.

Enfin, de manière plus générale, la volatilité élevée et les hausses fréquentes des prix du baril ont un impact global sur l’économie en contribuant à l’affaiblissement du revenu disponible des ménages et à l’appréhension d’un environnement incertain de la part des agents économiques.

Cette appréhension et cette incertitude ont des conséquences sur les anticipations des ménages et des entreprises. Elles contribuent d’une part à une contraction de la consommation de biens durables, et d’autre part à une diminution de l’investissement en raison de l’évaluation d’une demande anticipée revue à la baisse de la part des producteurs.

 

À SUIVRE -> Jusqu’où peut aller le prix du baril de pétrole?

Jusqu’où peut aller le prix du baril de pétrole?

C’est bien évidemment la question la plus importante et la plus compliquée de cette étude puisque 2 forces s’affrontent.

D’un côté les interrogations liées à l’économique Chinoise.

D’un autre, des tensions géopolitiques évidentes en Ukraine et une volonté (non dissimulée) des membres de l’OPEP+ de garder un prix du baril de pétrole à un haut niveau.

Cela étant dit, la poursuite (ou non) de la hausse du prix du baril de pétrole dépendra du côté où le levier va basculer.

Sur le court terme, on constate que le prix de l’or noir est « en retard » comme il l’avait été à l’été 2023. On pourrait donc avoir une poursuite du momentum actuel.

Sur le moyen terme, on ne peut exclure que le prix de l’or noir évolue dans un « couloir » compris entre 85 et 95 $US. Le dépassement des 100 $US serait cependant à mettre sur le compte d’un cygne noir.

Les questions géopolitiques et météorologiques n’étant maîtrisées par personne, il n’y a bien évidemment aucune certitude quant à un objectif précis.

 

Synthèse

La hausse du prix du baril de pétrole est clairement un nouveau coup dur pour les banques centrales. Si on sait que l’évolution de l’or noir n’est pas le seul élément à prendre en considération lorsqu’on analyse l’inflation (on songe notamment à l’évolution du prix de la nourriture, des loyers ou encore de la santé), son impact est clairement immédiat sur les statistiques économiques. Pas très pratique lorsqu’on est «data dependent» et que les pressions sont fortes concernant une baisse des taux imminente…

 


Ce texte est tiré de l’infolettre quotidienne de John Plassard, gracieuseté de Mirabaud

 

** Veuillez prendre note que les visuels de notre expert sont présentés en anglais à titre informatif et ne peuvent être traduits par notre équipe. Merci de votre compréhension.