(Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. Vous êtes investisseur et vous êtes conscient des enjeux environnementaux. Vous vous demandez de quelle façon votre argent peut contribuer à renverser les changements climatiques. Investir dans des fonds éthiques ou éviter les titres de pétrolières vous semblent une bonne façon de commencer?
Si cela était aussi simple! Malheureusement, plusieurs investisseurs confondent les entrées et les sorties d’argent d’une entreprise. Pour illustrer mon point, prenons le cas d’une petite crèmerie avec 5 actionnaires/propriétaires, détenant chacun 20% de celle-ci. Parmi les 5 actionnaires, 4 d’entre eux lisent de plus en plus sur des articles et des études décriant les effets néfastes des produits laitiers et du sucre sur la santé. Ne souhaitant plus encourager les mauvaises habitudes alimentaires, nos 4 actionnaires désirent vendre à tout prix. Ils procèdent donc à une analyse de la valeur marchande des actions de leur commerce, et réalisent qu’ils devront vendre au moins 50% sous la valeur originale, puisque plus personne ne souhaite «encourager» la mauvaise tendance.
Or, pendant ce temps, les clients continuent de fréquenter la crèmerie. Les ventes et les profits sont même en hausse. Étant conscient de cela, le 5e actionnaire effectue une offre aux 4 autres, leur proposant de racheter toutes leurs actions à 45% sous la valeur originale plutôt que 50% avec de nouveaux investisseurs externes. Cet actionnaire se retrouve donc avec 100% des parts, lui donnant droit à 100% des profits. Il obtient 5 fois plus de revenus et le rendement de chaque dollar investi vient de grimper considérablement, grâce au rabais consenti par les actionnaires vendeurs! Autrement dit, plus les gens boudent les actions d’une entreprise rentable, plus les opportunistes s’enrichissent.
Est-ce que les actionnaires vendeurs ont atteint leur objectif une fois leurs parts vendues? Ont-ils aidé la cause d’une meilleure alimentation? Certainement pas. Il s’agit ici d’un exemple de l’importance de distinguer les entrées et les sorties d’argent. Les entrées proviennent des consommateurs. Tant et aussi longtemps que les gens mangeront de la crème glacée, les profits seront au rendez-vous. Que vous soyez actionnaires ou non ne change pas ce fait. L’argent ne fait qu’aller dans les poches d’une autre personne que vous.
À la Bourse, l’impact s’avère similaire. Vous n’aimez pas les pétrolières et refusez d’acheter les actions de Valero Energy (NY., VLO)? Dans tous les cas, ce géant du pétrole continue d’engranger plus de 100G$US de ventes, avec des profits de 3,4G$US, permettant le versement de 1,4G$US en dividendes et 1,7G$US en rachat d’actions.
Plus le prix du titre est bas, plus une société peut rentabiliser son rachat en acquérant plus d’actions pour le même montant d’argent. Autrement dit, ceux qui évitent un tel titre contribuent à enrichir ceux qui le détiennent. La raison est simple: les quelque 3G$US de profits de Valero sont générés chaque année, et doivent aller quelque part. Ils sont soit réinvestis, soit redistribués en dividendes et en rachats d’actions. Ils correspondent aux sorties d’argent.
Pour avoir un impact véritable, on doit s’attarder aux entrées d’argent, c’est-à-dire, aux revenus. Donc, pour soutenir l’environnement, mieux vaut simplement ne pas utiliser de pétrole. Sans consommation de carburant, les pétrolières ne pourraient pas engendrer de profits.
Il existe certes des façons de supporter l’environnement par le biais de l’investissement. Vous pourriez par exemple financer un projet vert qui n’aurait pas vu le jour sans votre aide. Gardez à l’esprit, toutefois, qu’éviter les sociétés rentables comme Valero ne sert nullement la cause. Si le titre est attrayant, vaudrait mieux en profiter et utiliser les gains par la suite pour démarrer un projet d’énergie renouvelable. Vous éviterez alors plutôt ceci: que ces profits ne tombent entre les mains d’individus peu soucieux de l’environnement!
Rémy Morel, CIM, Associé Barrage Capital