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ANALYSE. Quand on a le choix entre des miettes ou rien du tout, la différence entre les deux options n’apparaît plus si grande.
C’est l’un des principaux arguments de ceux qui affichent leur optimisme envers le potentiel d’appréciation de l’or. Par rapport aux obligations gouvernementales, le métal précieux a le défaut de ne pas verser de revenus d’intérêts. Quand le taux des obligations 10 ans du gouvernement américain se situe à 0,65 % (il est de 0,56 % au Canada), le coût d’opportunité de détention de l’or est beaucoup moins grand.
La baisse de ce coût relatif survient à un moment où les tendances économiques semblent favorables au lingot. L’intervention massive des banques centrales fait craindre à certains un retour de l’inflation, et l’or est considéré par plusieurs comme une bonne valeur refuge en période inflationniste. Le consensus défavorable à court terme envers le dollar américain et la crainte d’un regain des tensions commerciales sont d’autres éléments qui soutiennent l’or.
Voilà pourquoi l’or est redevenu le centre de la conversation dans le monde de l’investissement. Même s’il vient de corriger de 7 % en quelque jour au moment d’écrire ces lignes, le métal précieux est toujours en hausse de 27 % depuis le début de l’année.
Cette correction nous rappelle toutefois que, malgré sa réputation de valeur refuge, l’or peut en fait être très volatil. Cette volatilité pourrait d’ailleurs être renforcée par l’effondrement de la demande de bijoux, souligne Susan Bates, stratège spécialiste des commodités chez Morgan Stanley, dans une note publiée au début du mois d’août.
La demande dans le secteur de la joaillerie a baissé de près de 64 % au cours du deuxième trimestre, souligne l’analyste qui cite des données du World Gold Council. Ce marché représente environ 40 % de la demande mondiale.
La faiblesse du marché physique fait en sorte que les investisseurs jouent un rôle beaucoup plus grand dans le prix de cette commodité. «Cela risque d’entraîner une plus grande volatilité, si le sentiment venait à changer», prévient la stratège de Morgan Stanley.
La pandémie est d’ailleurs un contexte propice aux changements d’humeur, où l’on espère un vaccin un jour et où l’on craint une deuxième vague un autre jour.
Les investisseurs ont pu le constater lors de la forte correction qui a suivi l’atteinte d’un nouveau sommet au début du mois d’août. Les inquiétudes sur l’impasse politique aux États-Unis ont poussé les obligations 10 ans à 0,65 %. Même s’il s’agit d’un niveau historiquement très bas, ce mouvement vers un sommet mensuel a entraîné une baisse de l’or, explique Ipek Ozkardeskaya, analyste principal à la Swissquote Bank.
À court terme, elle croit que le marché devrait se tempérer, mais qu’il offrira une occasion d’acheter la baisse. «Le sentiment pessimiste ambiant et les attentes d’inflation en raison de l’intervention des gouvernements et des banques centrales devraient continuer de soutenir l’or à moyen terme», commente-t-elle.
Le mystère de l’or
L’or offre un curieux paradoxe pour l’investisseur. Considéré comme un gardien de valeur depuis l’Antiquité, le métal précieux est un actif financier bien établi qui jouera encore un rôle dans les siècles à venir.
Le métal précieux suscite toutefois encore des débats sur son rôle dans un portefeuille. Si l’or s’est fortement apprécié durant les années 1970 et les années 2000, il a été un investissement relativement décevant à long terme. De 1900 à 2017, l’or a généré un rendement réel annuel (après inflation) de 0,7 %, selon une étude de Credit Suisse. Les actions mondiales et les obligations, à 5,2 % et à 2 %, respectivement, ont fait meilleure figure.
Au fil des ans, plusieurs gestionnaires de portefeuille m’ont dit qu’ils évitaient l’or et les aurifères, car ils peinaient à estimer leur valeur intrinsèque. Même ceux qui se prêtent à cet exercice admettent travailler dans un certain flou. «Estimer la valeur intrinsèque de l’or est une affaire compliquée, davantage un art qu’une science, avec aucune balise définitive», admet Michael Hsueh, de la Deutsche Bank, qui se prête à cet exercice.
Nous avons fait le tour de plusieurs notes de stratèges. Nous avons trouvé plusieurs estimations variant entre 2 000 $ US et 3 000 $ US le lingot. Bref, l’or pourrait autant avoir monté trop vite qu’avoir encore un haut potentiel haussier devant lui. Il est impossible de trancher la question avec certitude, selon nous.
Avec les taux d’intérêt à un plancher et la possibilité d’un retour de l’inflation, miser sur l’or n’est pas nécessairement une mauvaise idée. L’investisseur qui s’y risquerait devrait cependant bien comprendre qu’il s’agit d’un pari spéculatif et pas d’une stratégie défensive vers une valeur refuge.