Perspectives en 2024: «Il faut être plus patient dans ce cycle»
Dominique Talbot|Publié le 17 octobre 2023À savoir si une récession pointait à l’horizon, Jimmy Jean de Desjardins a dit que «c’est comme si [la banque centrale] roulait sur le bord d’un gouffre dans un sentier sinueux et [qu’elle] essayait d’anticiper les courbes en regardant dans le rétroviseur la nuit». (Photo: 123RF)
Malgré l’annonce mardi matin de chiffres sur l’inflation inférieurs à 4 % pour le mois de septembre, Desjardins et la Banque Nationale demeurent prudents par rapport aux perspectives économiques en 2024.
«Dans nos prévisions actuelles, nous avons un retour à cette cible, 2%, à la fin de 2024. On est encore loin du compte. Ça va demander encore beaucoup de patience», dit Jimmy Jean, vice-président, économiste en chef et stratège, Études économiques, Mouvement Desjardins.
Ce dernier s’exprimait mardi dans le cadre d’une discussion sur l’économie mondiale en 2024, organisée par le Conseil des relations internationales de Montréal.
Jimmy Jean, vice-président, économiste en chef et stratège, Études économiques, Mouvement Desjardins (Photo: courtoisie)
«Est-ce que ça veut dire que les banques centrales doivent accélérer les choses et s’impatienter et resserrer davantage? Nous, on pense que non», poursuit-il.
«Quand on pense au délai que ça prend pour qu’une politique monétaire agressive vienne rééquilibrer l’offre et la demande, on parle en général de 18 à 24 mois. Mais il y a beaucoup d’arguments pour dire que c’est plus tôt. D’autres que c’est plus tard.»
«Sentier sinueux»
À savoir si une récession pointait à l’horizon, Jimmy Jean croit que d’une certaine façon, nous risquons de le savoir après coup. «Le temps avant qu’on le sache qu’on est en récession, souvent les instances qui déterminent cela, le font un an après coup, car on attend d’avoir des données révisées. […] C’est comme si [la banque centrale] roulait sur le bord d’un gouffre dans un sentier sinueux et [qu’elle] essayait d’anticiper les courbes en regardant dans le rétroviseur la nuit», illustre-t-il.
N’en demeure pas moins que pour Martin Lefebvre, stratège et chef des placements, Banque Nationale Investissements, l’heure est à la prudence, surtout en raison du caractère particulier du cycle économique actuel du marché du travail qui montre certains signaux de faiblesse.
«Le taux de chômage est le dernier indicateur qui lâche. Dans un cycle monétaire normal, on monte les taux d’intérêt. Le secteur le plus sensible est l’habitation. Les prix baissent, les ménages revoient leurs dépenses de consommation à la baisse, les entreprises font moins de profits et mettent des gens à pied. C’est un cycle normal et ça peut prendre 12 mois, 18 mois, 24 mois.»
«Là, on semble être dans un cycle plus long en raison d’une rareté de main-d’œuvre qui est assez importante. Mais plusieurs signaux montrent que c’est en train de ralentir. Il ne faut pas tenir pour acquis que nous aurons un atterrissage en douceur. D’abord, ce n’est jamais arrivé par le passé. Et deux, il faut être plus patient dans ce cycle.»
Par exemple, explique-t-il, beaucoup d’épargne excédentaire a permis aux ménages américains de maintenir à bout de bras la consommation au cours de la dernière année.
Ralentissement de la consommation
«Mais au rythme où vont les dépenses, ce n’est pas soutenable. Forcément, il y aura un ralentissement de la consommation en 2024», avance-t-il, tout en rappelant que cela représente un risque assez important puisque 70% de l’économie repose sur la consommation.
«Quand je regarde le marché, il y a une conjoncture favorable sur le marché des actions et sur le marché obligataire versus ce que les signaux macroéconomiques nous envoient. Cela appelle à la prudence», prévient-il.
Ce dernier croit aussi que l’on risque de voir les taux d’intérêt descendre de 100 points de base au cours de la prochaine année, plutôt que l’inverse.
«Quand l’économie a ralenti dans les cycles précédents, les taux d’intérêt ont diminué rapidement», a de son côté rappelé Vincent Delisle, premier vice-président et chef des Marchés liquides, CDPQ. Dans le contexte actuel «si les taux restent élevés plus longtemps, qu’est-ce que cela implique? […] Cela veut probablement dire que les banques centrales vont revenir à la charge moins rapidement. Peut-être elles ne reviendront pas. […] L’économie nord-américaine est plus résiliente. Ce qui est difficile pour tout le monde qui regarde l’économie en ce moment, c’est que ça fait 18, 24 mois qu’on nous annonce une récession», souligne-t-il, tout en maintenant qu’avec les taux qui restent élevés, 2024 sera à surveiller car nombre d’entreprises et de particuliers devront se refinancer.