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Gabriel Fortin

L'entrefilet de JosFinance

Gabriel Fortin

Expert(e) invité(e)

Taux d’intérêt: la Banque du Canada va-t-elle trop loin?

Gabriel Fortin|Publié le 12 juin 2023

Taux d’intérêt: la Banque du Canada va-t-elle trop loin?

Dans le communiqué annonçant sa décision, la banque centrale a noté que l’inflation restait élevée. (Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. En janvier dernier, après avoir fait monter son taux directeur de 425 points de base au cours des 12 mois précédents, la Banque du Canada (BoC) annonçait une pause afin d’évaluer l’incidence des augmentations cumulatives de taux d’intérêt sur l’économie. Puis, la semaine dernière, après avoir maintenu son taux directeur à 4,5% pendant 4 mois consécutifs, la Banque du Canada a fait volte-face en introduisant une hausse-surprise de 25 points de base de son taux directeur. Celui-ci se retrouve maintenant à un sommet inégalé en 22 ans de 4,75%.

La banque centrale canadienne a-t-elle raison de renouer avec les hausses de taux directeur ou fait-elle une erreur dont les conséquences potentielles pourraient provoquer un atterrissage brusque de l’économie?

 

Croissance et inflation

Pour justifier ce revirement, la BoC a pointé du doigt la croissance plus forte qu’anticipée au premier trimestre et le rebond de l’inflation en avril. Certes, le rythme de croissance annualisée de 3,1% témoignait de la résilience des consommateurs qui, malgré le resserrement monétaire, sont toujours au rendez-vous. Toutefois, les exportations, plus solides que prévu, ont été responsables de la moitié de la croissance enregistrée au premier trimestre. Or, les données économiques prospectives du principal marché d’exportation du Canada, les États-Unis, annoncent une poursuite du ralentissement de l’activité manufacturière américaine. Ainsi, les exportations canadiennes sont donc appelées à ralentir significativement au cours des prochains mois, ce qui affectera la croissance économique.

Dans son communiqué décisionnel, la Banque du Canada a aussi manifesté une certaine inquiétude à l’égard de l’inflation telle que mesurée par l’indice des prix à la consommation (IPC) qui s’est élevée légèrement en avril pour passer de 4,3% à 4,4%. Toutefois, ce rebond timide de l’IPC ne saurait remettre en question, à lui seul, la tendance déflationniste s’étant amorcée à l’été 2022. D’ailleurs, les indicateurs fondamentaux de l’inflation ont poursuivi leur baisse en avril alors que l’indice des prix des produits industriels, soit les prix payés par les fabricants canadiens, est resté en zone déflationniste pour un deuxième mois consécutif. Dès lors, tant du côté de la croissance de l’économie que de l’inflation, il n’y avait pas matière à s’affoler.

 

Un processus de digestion long et variable

En fait, compte tenu du délai long et variable qui caractérise l’effet des hausses de taux d’intérêt sur l’économie, une bonne partie du resserrement monétaire effectué depuis 2022 est toujours en processus de digestion par l’économie canadienne. Ainsi, en surréagissant après une courte pause ne permettant aucunement d’évaluer l’incidence des augmentations cumulatives de taux d’intérêt sur l’économie, la Banque du Canada risque de causer une indigestion sérieuse à l’économie canadienne dont l’estomac pourrait s’avérer plus sensible qu’anticipé.

Cette sensibilité est d’ailleurs due à la particularité du marché hypothécaire canadien qui est caractérisé par des termes hypothécaires relativement courts. Contrairement aux États-Unis où la norme est d’avoir une hypothèque à taux fixe d’une durée de 30 ans, elle est, au Canada, généralement d’un terme à taux fixe ou variable d’une durée de 5 ans. Pour cette raison, l’économie canadienne est fondamentalement plus sensible au choc de taux d’intérêt. Compte tenu du haut niveau d’endettement des ménages canadiens, dont l’hypothèque accapare la part du lion, c’est au fur et à mesure que ceux-ci renouvellent leurs termes hypothécaires que la politique monétaire se transfère à l’économie.

Cependant, ces renouvellements ne se font pas du jour au lendemain et il faut donc laisser le temps faire son travail au risque d’en faire trop. À la fin de 2023, près de 50% des détenteurs d’hypothèques en date de février 2023 devraient avoir renouvelé leur terme à un taux d’intérêt supérieur alors qu’à la fin 2024 ce sera 65% des détenteurs. Essentiellement, ce sont des milliers de ménages canadiens qui, progressivement, à mesure que leurs hypothèques se renouvellent, verront leurs coûts pour se loger augmenter de plusieurs centaines de dollars mensuellement. C’est d’ailleurs ces mêmes ménages qui, voyant leurs budgets se resserrer, diminueront leur consommation en biens et services ailleurs dans l’économie.

Conséquemment, en faisant preuve d’impatience et en rehaussant son taux directeur après une pause trop courte, la Banque du Canada risque d’inutilement exacerber la puissance du choc économique que créeront les hausses cumulatives du taux directeur une fois qu’elles seront entièrement absorbées par l’économie canadienne.