Jusqu'ici les entreprises endettées profitaient des taux bas pour se refinancer à bas coût tout en repoussant la date d'échéance de leurs emprunts. (Photo: 123RF)
Paris — Fini l’argent à bas coût. Les entreprises en quête de financement doivent désormais composer avec des taux d’intérêt en hausse et des investisseurs plus regardants dans un contexte économique qui s’assombrit.
Pour lutter contre une inflation persistante, alimentée par la guerre ukrainienne et la politique sanitaire chinoise, les banques centrales ont commencé à mettre fin à leur politique très généreuse, entamée il y a près de 10 ans après la crise financière de 2008 et la crise de la dette européenne en 2010.
Parmi leurs instruments, la remontée progressive des taux d’intérêt doit réduire le volume des emprunts en les rendant plus chers, de quoi inciter les investisseurs à réfléchir à deux fois avant de financer la croissance ou la dette de certaines sociétés.
Une remontée «très inquiétante», qui implique «une perte d’argent qui va limiter les investissements. Le sujet sera plus visible dans un an ou un an et demi, lorsqu’il y aura des enjeux de refinancement», alerte Pierre Michaud, gérant de portefeuille chez Monocle AM.
Jusqu’ici les entreprises endettées profitaient des taux bas pour se refinancer à bas coût tout en repoussant la date d’échéance de leurs emprunts.
Plus largement, les entreprises ont identifié «le risque d’inflation depuis un certain temps», estime Charles Bédier, associé chez Deloitte et responsable en conseil fusion-acquisition, «même celles particulièrement endettées auront “anticipé” et se seront donné le temps de voir venir».
Une stratégie appliquée par exemple par le groupe de télécommunications Altice, qui a émis régulièrement des obligations afin de retarder le remboursement de ses 30 milliards d’euros de dette, à l’image de l’opération réalisée en septembre dernier, repoussant une partie de l’échéance à 2029.
En Europe comme aux États-Unis, la remontée des taux ne semble en effet pas encore au cœur des préoccupations des entreprises: lors de la récente publication des résultats trimestriels des principaux groupes, peu de commentaires y ont fait référence.
Un risque d’effet ciseau
Le directeur général d’Uber, Dara Khosrowshahi, a tout de même abordé le sujet, reconnaissant lors d’une conférence avec des analystes financiers que «les marchés s’intéressent particulièrement aux entreprises qui génèrent et accroissent leurs profits, dans un contexte de hausse des taux».
«80% des entreprises sont en taux fixe ; tant qu’il n’y a pas de refinancement, il n’y a donc pas d’impact pour elles», détaille Frédéric Gits, responsable crédit grands groupes chez Fitch, qui anticipe que les besoins de refinancement se verront plutôt en 2024 et 2025.
Les entreprises qui étaient déjà en difficulté avant la crise sanitaire, ou issues de secteurs d’activités fortement bousculés par la transition numérique, pourraient être confrontées rapidement à ce problème de refinancement.
Sans surprise, la hausse de l’endettement du groupe Casino et la baisse de ses ventes en 2021 ont été sanctionnées en Bourse: dans un secteur très concurrentiel, attaqué par le cybercommerce et aux marges déjà faibles, le distributeur inquiète.
Comment en effet maintenir des prix attractifs quand ceux des matières premières progressent, au risque de rogner un peu plus sur une rentabilité fragile? Pour un groupe déjà endetté, l’équation peut s’avérer complexe.
«Si des entreprises sont déjà très endettées sans fondamentaux solides, il peut y avoir un risque. Elles doivent éviter de se retrouver prises dans un effet ciseau», entre hausse des taux et baisse des marges, précise M. Bédier.
Les entreprises en difficulté «vont devoir se refinancer», alors que les conditions d’octroi de crédits se sont durcies, souligne M. Gits.
Jusqu’à un impact sur les capacités d’investissement? Cela pourrait être le cas pour les entreprises qui ne font pas de bénéfices: «Dans un environnement de taux plus élevés, les investisseurs ne sont pas prêts à financer la croissance au détriment de la rentabilité», insiste David Older, responsable des actions chez Carmignac.
La chute des valeurs technologiques, Netflix, Uber ou AirBnb en tête, illustre ces interrogations.
M. Bédier ne s’attend pas à un impact sur les investissements: «Si les entreprises ont un projet stratégique, elles le mèneront. En revanche, le resserrement des crédits pourrait les pousser à les réaliser de manière différente.»