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Trop de technologie en portefeuille… vraiment?

Les investigateurs financiers|Publié le 05 avril 2019

Trop de technologie en portefeuille… vraiment?

(Photo: 123rf.com)

BLOGUE INVITÉ. Si vous jetiez un coup d’oeil à nos titres en portefeuille ces temps-ci, vous pourriez avoir le réflexe de penser que nous affectionnons particulièrement les titres «technologiques», concentrant une partie de nos avoirs dans un seul secteur. Par conséquent, on peut avoir l’impression que nous croyons peu aux vertus de la diversification. Est-ce vraiment le cas?

Tout d’abord, je tiens à mentionner que je ne suis pas friand de la technologie en général. Certes, j’en suis un utilisateur assidu comme la plupart du monde, mais si je devais m’inclure dans une catégorie, je choisirais celle des «adopteurs tardifs» (de l’anglais, «late adopters»). Je suis un peu paresseux lorsque vient le temps d’utiliser un nouveau produit. Je préfère laisser les autres essayer, et s’ils sont ravis, je sais qu’ils me montreront volontiers comment cela fonctionne!

Certains de mes associés sont plus aventureux en la matière. Il y a quelques années, j’avais un téléphone à clapet («flip phone»), sur lequel je n’avais ni Internet, ni les textos. Je trouvais ces derniers intrusifs. Pas question d’être dérangé à tout moment de la journée avec des messages en temps réel intrusifs! Or, un beau matin, je découvre un téléphone intelligent sur mon bureau, mes associés m’ayant un peu forcé la main. Un mois plus tard, lorsque je rencontrais quelqu’un à qui je ne pouvais pas envoyer de textos, j’avais tendance à rétorquer: «mais dans quelle ère tu vis?».

Ce désintérêt que j’éprouvais envers la technologie m’avait rendu un grand service dans le passé: j’avais économisé considérablement d’argent pour investir en Bourse, en me contentant d’utiliser de vieux appareils! Toutefois, mon absence d’intérêt m’amenait également à conserver certains biais négatifs envers plusieurs titres en Bourse. Ajoutons à cela l’opinion de Warren Buffett à l’effet qu’il préférait éviter la technologie. En quoi était-ce mal d’avoir la même opinion que le meilleur investisseur de tous les temps? (Apparemment, M. Buffett utilise encore un téléphone à clapet,). 

Heureusement, ma vision en tant qu’investisseur a évolué au cours des dernières années. Je me suis posé la question suivante: tout d’abord, qu’est-ce qu’un titre technologique?

Il s’avère essentiel de faire la distinction entre une société qui conçoit uniquement de la nouvelle technologie, et une autre qui utilise la technologie pour développer son marché. Devrait-on classer un titre comme Alphabet dans le second secteur, pour ne nommer qu’un exemple?

Alphabet tire ses revenus principalement de la vente de publicités. Ce qui la diffère des autres médias ou sociétés oeuvrant dans ce secteur, c’est l’utilisation unique d’Internet pour offrir son service. Autrement dit, cette société utilise la technologie pour vendre un produit qui existe depuis déjà bien longtemps, un peu comme les manufacturiers automobiles ont recours à la robotisation et à l’intelligence artificielle pour améliorer leur productivité.

Or, Internet a grandement changé les règles du jeux. Bill Nygren, gestionnaire des fonds Oakmark, pour lesquels Alphabet constituerait l’une de ses plus grosses positions, a déclaré: «Par le passé, énormément de capital était requis pour l’expansion d’une société à l’international. Mais certaines entreprises ont réussi ce défi simplement en écrivant du code et en pressant sur ‘envoyer’». Cette réalité avantage nettement certaines sociétés, comme Alphabet, Facebook, Amazon et Netflix. En même temps, d’autres doivent composer avec des tendances qui jouent contre elles, comme The Kraft Heinz Company.

Warren Buffett est passé en entrevue à CNBC en février dernier. Face aux mauvais résultats que Kraft Heinz avait annoncés, il a reconnu que le pouvoir des marques s’était érodé ces dernières années. «C’est un monde différent, dans lequel les gens sont plus ouverts à changer de marques.» Au prix actuel de 33$, le titre de Kraft Heinz nous semble très attrayant. Nous devons cependant tenir compte des nouvelles tendances à long terme, ainsi que de l’importante dette affichée au bilan.

Investir dans des sociétés en perte de vitesse, tout en évitant d’autres qui bénéficient d’importants avantages concurrentiels, produira difficilement de bons résultats à long terme dans un portefeuille. Nous vivons une ère de transformation, tout comme celle où la société adopta les automobiles au détriment des chevaux comme mode de transport. En tant qu’investisseur «valeur», il s’avère impératif de s’adapter, et de ne pas se laisser leurrer par des biais négatifs profondément ancrés.

 

Rémy Morel, CIM, Associé Barrage Capital