(Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. J’ai terminé la fin de semaine dernière la lecture du très intéressant livre «The Man Who Solved the Market», écrit par Gregory Zuckerman. Quand une entreprise de gestion d’actifs réussit à produire un rendement moyen de 66% sur une période aussi longue que 30 ans, il y a de quoi s’interroger.
Le fondateur de la société new-yorkaise Renaissance, Jim Simons, est souvent considéré comme étant le meilleur négociateur de titres de tous les temps. Il a débuté le fonds Medallion en 1988, et a obtenu un succès sans précédent, et ce, sans jamais avoir assisté à des cours de finances, ni avoir démontré un quelconque intérêt pour le fonctionnement des entreprises. Les gens qu’il embauchait dans son équipe ne provenaient pas du milieu financier de Wall Street. On peut alors se poser la question: aurait-il trouvé une nouvelle façon infaillible de faire de l’argent, ou s’agit-il plutôt d’une anomalie statistique?
La philosophie d’investissement de la société repose essentiellement sur l’étude de données passées, notamment la reconnaissance de tendances et de liens entre divers éléments de toutes sortes. Par exemple, si une pénurie de pain en Serbie survient, les employés de l’entreprise chercheront à analyser l’impact des pénuries précédentes sur les actifs financiers. Lorsqu’une certaine corrélation est établie, on estime l’ampleur et les chances de succès d’une stratégie d’investissement pour déterminer si on peut en dégager un profit raisonnable.
Ce type d’investissement n’est pas nouveau, et s’appelle l’analyse quantitative. Dans les années 50, l’économiste Harry Markowitz créa un modèle de diversification efficiente pour les portefeuilles d’actifs financiers. Pour un investisseur valeur tel que je suis, ce genre de modèle fait peu de sens, puisqu’il ne fait pas appel à l’analyse fondamentale. Avant d’inclure un titre dans mon portefeuille, je procède à l’analyse de l’entreprise: sa profitabilité, son bilan, son avantage compétitif, la qualité de ses dirigeants, etc. Puis, en fonction du prix en Bourse, je tente d’établir s’il s’agit d’une situation intéressante.
Dans le cas de l’investissement quantitatif, on a davantage recours à des modèles et l’établissement de tendances pour des catégories d’actifs, pour ultimement créer un système de négociation automatisé. L’un des grands bénéfices de ce système repose dans l’absence des émotions humaines. En aucun temps, du moins en théorie, la peur ou l’avidité n’intervient dans le processus.
Évidemment, beaucoup de sociétés d’investissement tentent de se distinguer avec cette technique. Comme elle fait beaucoup appel à la puissance de l’informatique, il s’avère difficile de générer une meilleure performance que ses concurrents, s’ils ont accès aux mêmes ressources. Ce qui distingue Renaissance des autres, probablement, c’est le talent exceptionnel des nombreux mathématiciens qui ont mis beaucoup d’énergie à développer des modèles très sophistiqués.
Au fur et à mesure que l’informatique permettait le traitement d’une plus grande quantité de données, Renaissance investissait davantage pour créer des algorithmes performants. Elle s’est mise à opérer comme un casino: le but recherché consistait à avoir raison 51% du temps. Malgré une mince probabilité d’avoir plus souvent raison que tort, l’entreprise a su dégager de superbes profits, grâce à la grande fréquence des transactions, qui se situe dans les centaines de milliers par jour.
Notez que je ne suis pas près de troquer mon style «valeur» pour ce type de stratégie. Tout d’abord, cela nécessite des ressources significatives en technologie ainsi que des connaissances poussées en mathématiques. Deuxièmement, et c’est non négligeable, Renaissance a recours à un haut effet de levier. Par exemple, l’utilisation des options sur panier (de l’anglais, basket options), permettait à la société de bénéficier d’un levier de 12.5 fois, pouvant aller jusqu’à 20 fois dans certaines situations.
Selon l’auteur du livre cité précédemment, le fonds Medallion affichait un actif de 5G$ en 2002, mais contrôlait plus de 60G$ d’actifs. À l’aube de la crise financière, le fonds perdait de l’argent tellement rapidement qu’on devait ajouter des actifs en collatéral pour éviter des appels de marge. Le fondateur de Renaissance était si inquiet qu’il avait décidé de temporairement intervenir, plutôt que de faire confiance aux modèles minutieusement travaillés par ses scientifiques. Cela occasionna des pertes importantes pour le fonds. Heureusement pour eux, cette mésaventure a été passagère.
En conclusion, leur rendement sur 30 ans doit être considéré dans ce contexte.
Rémy Morel, CIM, Associé Barrage Capital