Une entreprise soutenue par Investissement Québec coule au NASDAQ
Dominique Talbot|Mis à jour le 15 octobre 2024Spécialisée dans les embarcations nautiques électriques, l’entreprise Vision Marine Technologies a procédé à la fin août à une consolidation d’actions, dans une proportion de 15 pour 1, afin de pouvoir rester inscrite à l’indice NASDAQ. (Photo: Facebook Vision Marine Technologies)
Malgré des appuis de près de 6 millions de dollars (M$) d’Investissement Québec depuis 2021, dont 4M$ en janvier 2024, l’entreprise Vision Marine Technologies vit d’importantes difficultés. Spécialisée dans les embarcations nautiques électriques, elle a procédé à la fin août à une consolidation d’actions, dans une proportion de 15 pour 1, afin de pouvoir rester inscrite à l’indice NASDAQ. Mais celle-ci poursuit sa chute, et les pertes dépassent les 60M$.
La société établie à Boisbriand a reçu un avertissement du NASDAQ en février dernier, alors que le cours de son action était descendu sous la barre de 1 dollar américain ($US) pendant une période de plus de 30 jours. Elle disposait d’une période de six mois pour faire remonter le cours de celle-ci.
Mais à la mi-août, c’était plutôt aux alentours de 40 cents US que l’action de Vision Marine transigeait. Elle avait atteint un sommet de 15,64$US en janvier 2021. À la première journée de transactions après la consolidation, le 22 août, la valeur de l’action était de 5,70$US. Elle s’est rapidement mise à descendre pour se situer à 1,75$US au moment d’écrire ces lignes.
À nouveau, le danger d’une exclusion du NASDAQ pointe à l’horizon, ce qui serait catastrophique pour l’entreprise convient son PDG, Alexandre Mongeon.
«C’est impensable d’être à l’extérieur du NASDAQ. Les clients que nous avons sont de gros joueurs américains. Être sur le TSX pourrait causer des préjudices à l’entreprise.»
Ce dernier ajoute que «les vendeurs à découvert ont un impact incroyable sur le titre. Aujourd’hui, c’est plus facile de s’enrichir avec la Bourse en misant contre les entreprises qu’en investissant dans les entreprises», dit-il pour expliquer la déconvenue de l’action.
En janvier dernier, Investissement Québec avait annoncé un placement privé de 4M$ dans l’entreprise, notamment pour l’acquisition de près de trois millions d’actions ordinaires à un prix de 1,05$US.
« Avec cet appui, on soutient la croissance de Vision Marine Technologies, et l’on s’assure de conserver le siège social, le centre décisionnel et la propriété intellectuelle au Québec. Les investissements de ce genre sont gagnants pour tout le Québec », avait alors déclaré l’ex-ministre Pierre Fitzgibbon.
En juin 2021, IQ avait cette fois octroyé une subvention directe de 1,7M$ à la suite de l’adoption d’un décret gouvernemental.
Le ministère de l’Économie, de l’Énergie et de l’Innovation a décliné la demande d’entrevue de Les Affaires à propos de Vision Marine. À savoir si Québec pourrait remettre des sommes dans l’entreprise, une porte-parole du ministère a simplement répondu: «Le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, ainsi qu’Investissement Québec, comme mandataire du gouvernement du Québec, suivent la situation de près, mais ne discutent jamais publiquement des pourparlers qu’ils ont, ou pourraient avoir, avec une entreprise».
Coffres presque vides
Selon les résultats financiers de son troisième trimestre de 2024 publiés à la fin du mois de juillet, il ne reste que 341 000$ de liquidités dans les coffres de Vision Marine. À la même période en 2023, cette somme était de 3,35M$.
Pour les neuf premiers mois de 2024, l’entreprise de Boisbriand a encaissé une perte nette de plus de 10M$, et ses pertes depuis ses débuts en Bourse en 2020 se chiffrent à 62M$.
Dans ce dernier rapport financier, qui fait largement état de ses difficultés, Vision Marine Technologies souligne que «ses revenus pourraient ne jamais être supérieurs à ses dépenses». En plus des problèmes qu’elle rencontre pour obtenir des commandes fermes de son moteur hors-bord E-Motion (entre 80 000$US et 100 000$US l’unité), les ventes de ses autres embarcations produites au Québec ainsi que de ses activités de location de bateaux en Californie et en Floride ne sont pas suffisantes pour maintenir ses finances à flot, malgré un nouveau partenariat signé récemment avec l’entreprise JetRide.
À ce jour, avance le PDG, plusieurs millions de dollars d’inventaire de ses systèmes E-Motion restent dans ses entrepôts. D’autres commandes livrées n’ont toujours pas été payées. Et pour le moment, Vision Marine ne possède que la marque de commerce de son produit phare. Malgré le dépôt d’une vingtaine de brevets, elle n’en possède encore aucun pour le moment.
«La clé, dit Alexandre Mongeon, c’est quand nous pourrons livrer nos E-Motion. Les petits bateaux que nous produisons, même si nous en vendons 300 par année, les profits générés par ça ne seront jamais assez grands pour couvrir l’ensemble de nos dépenses.»
Les indicateurs sont pourtant au vert dans l’industrie du bateau électrique, alors que selon la firme spécialisée Mordor Intelligence, la valeur estimée de ce marché est évaluée à 7 milliards de dollars américains (G$US) en 2024 et de 12,84G$US en 2029, avec l’Amérique du Nord comme principal marché de croissance.
Mais pour le moment, dit Alexandre Mongeon, « c’est l’accalmie depuis 8-9 mois » dans l’industrie. « Je suis inquiet pour le marché en général. Je suis inquiet pour le nautisme. Les gens sont plus en mode réserve qu’en mode achat. »
« J’ai de gros clients qui sont de grands manufacturiers de bateaux cotés en Bourse sur le NASDAQ ou en Europe qui sont en arrêt de production, en mode de vendre de l’inventaire parce que les commandes ne rentrent pas », poursuit-il
À l’été 2022, Vision Marine Technologies s’était fait connaître au sud de la frontière, dans l’État du Missouri, alors qu’elle avait réalisé un record du monde de vitesse sur le lac Ozark. Un bateau de course propulsé par deux moteurs E-Motion avait atteint une vitesse de 167 km/h.
Toujours à l’été 2022, l’entreprise québécoise qui emploie une trentaine de personnes annonçait la signature d’un partenariat avec le groupe français Beneteau, qui commercialise plusieurs grandes marques d’embarcations nautiques de loisir. « On a de belles annonces qui s’en viennent, dit Alexandre Mongeon à propos de ce partenariat. Nous travaillons main dans la main. »
Temps difficile pour les entreprises québécoises au NASDAQ
Vision Marine Technologies n’est pas la seule entreprise québécoise cotée au NASDAQ qui vit des moments difficiles. Il y a trois semaines, le gouvernement du Québec est venu à la rescousse de l’entreprise de Québec LeddarTech avec un prêt-relais d’Investissement Québec d’une valeur de 3M$US (4M$).
La société de logiciels automobiles pour systèmes avancés d’aide à la conduite et de conduite autonome a vu le cours de son action dégringoler depuis son arrivée au NASDAQ en décembre 2023. À sa toute première séance boursière, l’action est passée de 10$US à 4,19$US. Au moment de publier ces lignes, sa valeur était de 0,42$US.
L’entreprise a jusqu’à la mi-novembre pour faire passer la valeur de son action au-dessus de 1$US. Dans le cas contraire, elle risque une décote.