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Vous souhaitez acheter une Tesla, mais…?

Les investigateurs financiers|Publié le 23 Décembre 2019

Vous souhaitez acheter une Tesla, mais…?

(Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. Vous venez de faire l’essai routier de l’un des véhicules de Tesla (NASDAQ: TSLA). Vous appréciez la qualité de la voiture, l’innovation derrière sa conception ainsi que sa grande autonomie sur la route. Le même jour, un ami vous met en garde contre la situation financière précaire de la société. Qu’arriverait-il si Tesla cessait ses activités? Les garanties seront-elles honorées?

Étant donné le prix relativement élevé de ces voitures, on peut comprendre l’inquiétude du consommateur. La garantie de base s’étend sur 4 ans ou 80 000 kilomètres, alors que celle couvrant la batterie et l’unité d’entraînement dure 8 ans ou au moins 160 000 kilomètres.

Si un investisseur éprouve le moindre doute quant au financement à long ou moyen terme d’une entreprise, 8 ans constitue alors une longue période à considérer. J’étais dans ce dilemme jusqu’à tout récemment. Je pensais patienter avant d’acheter une Tesla, alors que j’ai plutôt opté pour l’achat d’une voiture en faisant simultanément l’acquisition d’une «assurance» qui ne m’a presque rien coûté.

Comme le titre se négocie en Bourse à fort volume, des options d’achats ou de ventes sont disponibles. En choisissant des options de ventes, l’investisseur peut dégager un profit en cas de faillite de l’entreprise. Par exemple, au moment d’écrire ces ligne, le titre se négociait à 405$US. Des options de vente à un prix d’exercice de 100$, échéant en juin 2020, s’avèraient disponibles pour environ 50$ par contrat (0.50$ par action, 100 actions par contrat). Avec 20 contrats, le coût total s’élèvait à 1000$US.

Qu’arrive-t-il au bout de 6 mois? Les probabilités penchent nettement en faveur d’une option qui ne vaudra plus rien. À moins d’une catastrophe chez la société, le titre se négociera bien au-dessus de 100$. Dans le cas contraire, dans le scénario extrême où le titre atteindrait 0$, les 20 contrats vaudraient 200 000$ US (20 x 100 x 100$), soit plus de 260 000$ CAD, ou l’équivalent d’un multiple du prix du véhicule. J’ai choisi 100$ plutôt que 50$ ou 20$ pour couvrir un éventail de possibilités plus large. Ainsi, en cas de sérieuses mauvaises nouvelles, le titre pourrait s’écrouler, mais en l’absence de faillite, il pourrait se stabiliser à disons 80$. Le profit ne serait alors que de 40 000$US, soit environ 52 000$CA.

Comme le scénario le plus probable demeure la continuité de l’entreprises, les contrats viendraient à échéance sans aucune valeur. En optant pour ce genre d’assurance tous les 6 mois, le coût annuel revient à plus de 2600$CA. N’avais-je pas dit que cela ne coûterait presque rien?

Pour financer l’option de vente, j’ai vendu 9 contrats (équivalent à 900 actions) d’options d’achat sur un titre que j’ai déjà en portefeuille, soit Facebook (NASDAQ: FB), à un prix d’exercice de 260$ pour la même échéance, résultant en une prime de 1000$US. Il aurait pu s’agir de n’importe quel titre en portefeuille pour lequel des options intéressantes s’avèrent disponibles.

Comme FB se négociait à 200$, je me retrouve face à la possiblité de devoir me départir d’une partie de mes actions après 30% de hausse en 6 mois. Comme j’avais l’intention de le faire de toute façon le cas échéant, je l’entrevois comme un sacrifice minime. Une appréciation aussi rapide surpasserait en toutes probabilités l’évolution de la valeur intrinsèque de la société. Annualisé, il s’agirait d’un rendement de 69%.

 

Un proposition géniale ou tout simplement bête?

Donc, l’approche consiste à s’engager à vendre des actions après une bonne hausse, en échange d’une garantie contre la faillite du manufacturier du véhicule. Or, on pourrait réagir de deux façons à ce genre de proposition: en la trouvant géniale ou toute simplement bête.

Tout d’abord, chaque 6 mois, il faut trouver des options qui se prêtent à cette stratégie (options de ventes pas chères sur Tesla, options d’achat assez chères sur un autre titre que l’on possède déjà). Deuxièmement et non le moindre, il s’agit ici de la manifestation du biais de comptabilité mentale.

Nous expliquons ce biais dans cet article, en utilisant l’immobilier comme exempleDans le cas présent, la vente d’options d’achat sur le titre Facebook n’a absolument rien à voir avec les options de vente de Tesla. Mais, il s’avère agréable de penser que ces options financent la protection en cas de faillite de la société.

En réalité, si l’on confère un quelconque avantage à cette stratégie, peu importe ce que l’on considère qu’elle finance, elle demeurera bonne. J’aime bien penser que les 2600$CA que me coûte la protection annuelle sont payés par une certaine source. Cependant, en l’absence d’un besoin de protection pour la voiture, je devrais quand même rechercher à gagner ces 2600$, même s’il s’agit d’un montant modeste.

Peu importe l’effort exigé pour mettre la stratégie en place, il reste le même dans les deux cas, que ce soit dans le but de tirer un profit, ou de couvrir le coût de ma supposée «protection». Certains lecteurs auront peut-être ici reconnu un autre biais: l’ancrage (comparaison du montant avec le prix de la voiture plutôt que le total du portefeuille).

En conclusion, étant humains, nous sommes constamment influencés jusqu’à un certain degré par les biais cognitifs et émotionnels. En être conscient permet de les minimiser, et de réagir efficacement s’ils conduisent à des mauvaises habitudes. Dans mon cas, cela m’a amené à effectuer le virage vert un peu plus rapidement. Pas si mal dans les circonstances!

J’en profite pour vous souhaiter de Joyeuses Fêtes, et une année 2020 prospère!

 

Rémy Morel, CIM, Associé Barrage Capital