Dollarama: les avantages insoupçonnés de l’ajout d’articles à 5$
Yannick Clérouin et Pierre-Olivier Langevin|Édition de la mi‑mai 2022(Photo: 123RF)
L’ART D’INVESTIR. La hausse marquée des prix observée au cours des derniers mois n’a rien de réjouissant pour les consommateurs, mais elle revêt plusieurs effets bénéfiques à moyen et à long terme pour Dollarama (DOL, 72,25 $).
Lorsque la chaîne montréalaise a réalisé son entrée en Bourse, à l’automne 2009, les investisseurs étaient loin d’imaginer que Dollarama compterait un jour plus de 1400 magasins et qu’elle vendrait des produits à des prix aussi élevés que 5 $.
Il faut dire qu’à l’époque, la société exploitait un réseau de moins de 600 commerces et qu’elle était avant tout reconnue pour ses articles à 1 $. La direction du plus important détaillant de produits à prix modiques du pays estimait aussi son marché potentiel à environ 900 établissements.
Quelque 13 ans plus tard, le nombre de magasins se révèle 50 % plus élevé que la cible initiale fixée par ses dirigeants. La société a revu son objectif de magasins à deux reprises au cours des dernières années et vise désormais en exploiter au moins 2000 d’ici 10 ans.
Les avantages des hausses de prix
La mise en marché de produits à prix plus élevés procure de nombreux avantages à Dollarama, certains étant évidents, d’autres plutôt insoupçonnés.
L’augmentation des ventes comparables, soit les ventes des établissements ouverts depuis au moins un an — un indicateur clé de performance dans le commerce de détail — est l’effet positif le plus intuitif. Il va en effet de soi que l’ajout de produits qui se vendent plus cher fait grimper le panier d’achats moyen des clients et les recettes totales de l’entreprise par ricochet.
Nous avons eu une illustration éloquente de ce phénomène depuis 2015, moment où la direction de Dollarama a commencé à communiquer le pourcentage des ventes provenant de produits vendus à plus de 1,25 $. La proportion de produits vendus au-delà de ce prix est ainsi passée de 53 % en 2015, à 75 % en 2022.
Le deuxième atout découlant de l’arrivée de produits à 5 $ réside dans l’augmentation des marges bénéficiaires. De 2009 à 2018, période au cours de laquelle Dollarama a graduellement fait évoluer son offre de produits de 1 $ jusqu’à un seuil de 4 $, les marges d’exploitation ont doublé. Elles sont passées de 12 %, à 23 %.
Comme la direction de Dollarama met tout en œuvre pour préserver la simplicité du concept et limiter la hausse des coûts d’exploitation, l’amélioration des marges bénéficiaires ne peut toutefois pas être attribuée uniquement à l’ajout d’articles à prix plus élevés.
Néanmoins, la présence croissante de produits à 2 $, 3 $, 4 $ et à bientôt 5 $ constitue selon nous un facteur majeur. Dollarama engage plusieurs dépenses de nature assez fixe. Qu’il s’agisse des salaires versés au personnel en magasin ou des loyers des locaux qu’elle loue, par exemple. Il ne lui en coûte pas plus cher non plus d’entreposer des produits à 5 $ que des articles à 1 $. Tandis que certaines dépenses demeurent fixes, l’ajout de produits à prix plus élevés gonfle ses ventes et ses marges bénéficiaires.
L’arrivée de produits à 5 $ devrait ainsi procurer un nouvel élan aux marges de profit de Dollarama au cours des prochaines années.
L’effet le plus bénéfique — et probablement le plus insoupçonné — de l’ajout de produits vendus plus cher est l’accroissement potentiel du marché de Dollarama au Canada.
Si elle s’était cantonnée à de la marchandise à 1 $, la chaîne aurait présenté une offre plus limitée et connu un succès nettement moins éclatant. À nos yeux, il est évident que son concept serait parvenu à maturité bien plus rapidement et que le rendement du capital investi tiré de chaque nouveau magasin aurait été plus faible.
Chaque fois que le détaillant à l’enseigne jaune et verte bonifie sa gamme de produits, il séduit de nouveaux adeptes. La nouvelle marchandise incite les clients à visiter ses commerces plus souvent. Une telle dynamique permet à l’entreprise d’ouvrir un plus grand nombre d’établissements et ainsi d’éloigner le moment où son réseau parviendra à maturité. Voilà qui maximise la valeur obtenue par les actionnaires de Dollarama.
Une stratégie peu risquée
La stratégie d’ajouter des produits à 4,50 $ ou à 5 $ nous apparaît peu risquée. Nous ne sommes plus en 2010, moment où Dollarama a pris un pari en apparence audacieux d’introduire dans ses « magasins à 1 $ » des produits à 1,50 $ et à 2 $. À l’époque, elle risquait de dénaturer son concept et de modifier la perception des clients qu’elle représente toujours le chef de file des produits à prix modiques.
Plus d’une décennie plus tard, les consommateurs considèrent Dollarama non pas comme un détaillant qui propose strictement des produits à 1 $, mais plutôt comme une chaîne offrant des articles vendus à prix modiques procurant une bonne valeur relativement aux concurrents.
Bien qu’elle ait réussi à ajouter des articles à prix plus élevés à trois reprises au cours de la dernière décennie, Dollarama doit maintenir un équilibre entre les produits se détaillant à 1 $ ou à 1,50 $ et ceux vendus plus cher. En cette période d’hyperinflation, la clientèle première de la chaîne demeure sensible aux détails. Les consommateurs aux moyens financiers plus limités qui achètent des produits d’épicerie à 2 $, par exemple, n’auraient probablement pas les moyens de se procurer les mêmes items s’ils se vendaient 4 $ ou 5 $.
Avant la pandémie, la direction de Dollarama avait reconnu qu’il était essentiel de remettre de l’avant des produits à plus bas prix dans ses magasins, question de préserver la perception des consommateurs qu’elle demeure la destination de choix pour économiser. Nous sommes convaincus que la direction de Dollarama a tiré des leçons des épisodes au cours desquels elle a ajouté des produits vendus plus cher et qu’elle saura tirer profit de cette phase inflationniste sans heurter ses fidèles.
Les clients et associés de Medici détiennent une participation dans Dollarama.
EXPERTS INVITÉS
Pierre-Olivier Langevin, est gestionnaire de portefeuille et associé de Medici
Yannick Clérouin, est gestionnaire de portefeuille adjoint et associé de Medici