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Dominique Beauchamp

La Sentinelle de la Bourse

Dominique Beauchamp

Analyse de la rédaction

Bourse: des gains historiques avant le tête à tête Trump-Xi

Dominique Beauchamp|Publié le 29 juin 2019

Bourse: des gains historiques avant le tête à tête Trump-Xi

25 stratèges voient le S&P 500 baisser d'un pourcent d'ici la fin de l'année (Source: Bloomberg)

Malgré le suspense entourant le tête à tête Trump-Xi du 29 juin, jugé si crucial pour l’économie mondiale, les marchés semblent pourtant au beau fixe.

Le Dow Jones affiche le meilleur mois de juin depuis 1938 tandis que le S&P 500 s’offre la meilleure moitié d’année en 22 ans. L’or a bondi de 8% en juin et le pétrole de 9%. Le bond de 14% des actions européennes est aussi le plus vigoureux en 21 ans pour un premier semestre.

Le S&P/TSX a rebondi de 14,4%, récupérant ainsi une bonne part du déclin de 11% du dernier trimestre de 2018.

Les obligations américaines de sociétés de première qualité (Investment Grade) ont bondi de 10%, un record, pour cette classe actif. Les obligations du Trésor américain ont donné un rendement de 5%.

Le retour des taux à leur niveau de 2016 enfle la valeur d’une foule d’actifs en même temps.

Les investisseurs renouent aussi avec des industries boudées. Les grandes banques banques ont grimpé le 28 juin, après que la Réserve fédérale ait approuvé les plans de distribution de capital de 18 institutions.

La banque moyenne distribuera à ses actionnaires l’équivalent de 10,5% de sa valeur boursière, sous forme de dividendes accrus et de rachats d’actions, entre le troisième trimestre de 2019 et le deuxième trimestre de 2020, estime Ken Usdin, analyste de Jefferies.

Qui a raison?

Le S&P 500 a engrangé un gain de 17,3% depuis le début de 2019, ce qui en fait le meilleur premier semestre depuis 1997. La hausse de 14% du Dow Jones est la meilleure depuis 1999, tandis que celle de 20% du Nasdaq est la plus robuste depuis 2003.

Plusieurs observateurs n’en croient pas leurs yeux et préviennent que la Bourse (qui anticipe la reprise de négociations, sans tarifs additionnels) et le marché obligataire (qui prévoit trois baisses du taux directeur par la Fed) ne peuvent pas tous deux avoir raison.

«Les chances que ces deux scénarios divergents se produisent en même temps trahissent trop d’optimisme. Si un accord commercial est imminent, la Fed n’aura pas besoin de couper les taux et si la Fed coupait en juillet, l’urgence d’un accord commercial diminuerait», a évoqué Mark Mackett, chef des investissements de Nationwide Funds Group, dans le podcast «What goes up» de Bloomberg.

Les grands argentiers entretiennent aussi le suspense.

Le président de la Réserve fédérale de Dallas, Robert Kaplan, a laissé entendre le 28 juin qu’il faudrait que les perspectives se détériorent davantage pour justifier une baisse du taux directeur. Il est pourtant considéré comme l’un des membres les plus souples de la Fed.

Qu’arrive-t-il après un premier semestre du tonnerre?

Même les annales boursières n’éclaircissent pas le portrait pour l’investisseur.

Un premier semestre du tonnerre ne garantit pas une deuxième moitié robuste. (Source: Pension Partners)

Les prévisions pour le S&P 500 après une hausse de plus de 15% au premier semestre ne valent pas mieux que pile ou face.

Lors des huit occasions répertoriées depuis 1975, le S&P 500 a fait encore mieux que 15% dans la moitié des cas, lors de la deuxième moitié de l’année. L’indice phare a toutefois reculé de 2% à 31,5% lors de quatre autres occasions.

De façon générale, les financiers se divisent encore en deux camps: ceux qui croient que la baisse prochaine des taux par la Fed arrivera trop tard pour que l’économie évite une récession et ceux qui croient que l’assouplissement monétaire réussira à reporter la récession et ainsi à prolonger le marché boursier.

Martin Roberge de Canaccord Genuity craint toujours que les prévisions de bénéfices soient encore trop élevées en se fiant à ses indicateurs avancés.

Si une coupe des taux par la Fed peut soutenir l’évaluation des actions, comme ce fût le cas 1998, le rythme annuel de croissance des profits est cette fois-ci la moitié moindre qu’en juin 1998, rappelle le stratège quantitatif.

À l’autre bout du spectre, l’économiste Ed Yardeni, s’attend à ce que les perspectives que fourniront les entreprises américaines lors du dévoilement des résultats du deuxième trimestre, à la mi-juillet, rassureront encore une fois les investisseurs trop anxieux.

Entre les deux, Savita Subramanian, stratège quantitative, de Bank of America Merrill Lynch, propose deux scénarios potentiels étrangement modérés.

Le S&P 500 pourrait gagner au moins 5% si un accord commercial était conclu, grâce au renflement du multiple cours-bénéfice de l’indice. Ou au contraire, l’indice pourrait reculer d’au moins 5% si Donald Trump imposait des tarifs additionnels aux importations chinoises.

Un premier semestre du tonnerre ne garantit pas une deuxième moitié robuste. (Source: Pension Partners)

Ces divergences se reflètent d’ailleurs dans le cours-cible moyen de 2912 pour le S&P 500 de 25 stratèges pour la fin de 2019, soit 1% de moins que son cours actuel.

«Notre cours-cible de 3000 sera sans doute franchi au cours des six prochains mois, mais étant donné le niveau élevé d’incertitudes (macro-économiques) et les doutes qu’entretiennent les investisseurs, nous ne voyons ce qui pourrait propulser le S&P 500 à la hausse et justifier une révision de notre cours-cible, pour l’instant», a indiqué Brian Belski, le stratège BMO Marchés des capitaux, à l’agence Bloomberg.

Les données économiques alimentent elles aussi le débat. Cette semaine, neuf statistiques ont surpassé ou rencontré les attentes tandis que neuf autres ont raté les prévisions, révèle une compilation effectuée par Seeking Alpha.

Rien de sorcier

À ceux qui disent que les actions et les obligations ne peuvent pas avoir tous deux raisons, Nikolaos Panagirtzoglou, stratège des produits dérivés de JP Morgan Chase & Co, explique que l’appréciation des deux classes d’actif en tandem est fréquente et provient tout simplement de la persistance de l’inflation et de taux modérés.

Il attribue aussi leur convergence au fait qu’un très grand nombre de fonds adoptent une répartition équilibrée de 60/40 pour les deux classes d’actif.

Lorsqu’une classe d’actifs s’apprécie plus que l’autre, les pros rétablissent l’équilibre en se déplaçant des obligations aux actions ou vice-versa.

«Lorsque le marché obligataire s’apprécie brusquement, comme il l’a fait depuis novembre 2018, certains fonds reviennent aux actions pour rétablir le ratio 60/40. C’est par ce mécanisme que la hausse des obligations de mai et de juin a déclenché un nouveau mouvement haussier en Bourse», dit-il.

Ce va-et-vient dépend évidemment de la répartition initiale des gros investisseurs. Ils sont revenus en Bourse en juin parce que leur répartition en actions était bien inférieure à ce qu’elle était en septembre 2018, ce qui leur laissait un espace pour racheter des actions, ajoute le stratège.

La Bourse mondiale pourrait s’apprécier d’encore 7% pour que les portefeuilles soient aussi bien garnis en actions qu’en septembre 2018, évalue M. Panagirtzoglou.

Le risque à ce scénario est la possibilité que le marché des obligations surestime la volonté des banques centrales à abaisser les taux. Les contrats à terme prévoient trois réductions de taux de 100 points de base d’ici 12 mois.

Pourtant, la Fed n’a jamais abaissé son taux directeur au moment où sa politique était aussi accommodante. Son taux interbancaire actuel est de 0,4% seulement, après l’inflation.

Pour que les actions ajoutent à leurs gains, il faut que la coupe par la Fed soit véritablement préventive et repousse la récession, comme en 1995 et 1998.

Si la Fed a déjà trop tardé,la première baisse de taux sera le signal qu’une récession approche, comme ce fût le cas lors des trois dernières cycles économiques, rappelle le stratège.

À la fin du mois prochain, le cycle de croissance américain deviendra le plus long de son histoire, surpassant celui de 120 mois entre 1991 et 2001.