Filière batterie: de la micro-capitalisation à la multinationale
Denis Lalonde|Mis à jour le 18 juin 2024Le gros de la demande pour le lithium s’en va vers les batteries pour voitures électriques. (Photo: 123RF)
FILIÈRE BATTERIE. La filière batterie québécoise regroupe des entreprises cotées en Bourse de toutes les tailles. Elles ont toutes un rôle à jouer dans l’écosystème qui se met en place dans la province.
Cependant, même si la filière batterie peut être perçue comme synonyme d’économie verte, cela semble moins évident pour les entreprises qui la composent.
«Quand nous analysons la possibilité d’investir dans une société minière, par exemple, nous regardons d’abord si ses produits et ses services vont contribuer à la transition énergétique, et après, si ses activités sont saines », confie François Bourdon, associé directeur à Nordis Capital, qui publie des recherches de pointe sur les investissements environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) pour le compte de gestionnaires d’actifs mondiaux.
Bien sûr, par la suite, la société évalue dans quelle mesure elle pense pouvoir obtenir de bons rendements des titres qu’elle convoite avant d’acheter des actions, ce qui implique une analyse fondamentale des activités des entreprises. « Ça ne veut pas dire qu’on va automatiquement aimer une entreprise parce qu’elle fait partie de la filière batterie », illustre-t-il.
François Bourdon cite Glencore en exemple. « La minière est présente dans le charbon et vient de racheter les actifs de Teck Resources (TECK.B, 66,72 $) dans ce secteur. Selon nos critères, elle ne se qualifie pas », dit-il.
Ce dernier dit d’ailleurs préférer les producteurs de cuivre à ceux qui misent sur le lithium.
« Le cuivre, l’aluminium et le nickel, c’est ce qu’on trouve le plus intéressant. C’est difficile d’investir dans les métaux rares ou même dans le lithium. Le problème avec le lithium est que c’est extrêmement abondant. Donc, il faut être capable d’en produire à faible coût. Ce n’est pas la même dynamique pour le cuivre, pour lequel la demande est très forte, alors que les gisements les plus productifs ont été déjà été trouvés », explique-t-il.
« Le prix du spodumène, qui est un concentré de lithium, est passé de 5000 $ US la tonne à la fin de 2022 à moins de 1000 $ US la tonne en début d’année. Depuis ce temps, on a vu une légère reprise à environ 1200 $ US la tonne », raconte Philippe Pourreaux, associé dans l’équipe Création de valeur et leader mondial au chapitre des minéraux critiques et stratégiques chez PwC Canada.
Il précise que le gros de la demande pour le lithium s’en va vers les batteries pour voitures électriques. « Cela étant dit, en 2023, la croissance a été légèrement moins forte que ce qui était attendu. Sans oublier que la majorité de la croissance pour les véhicules électriques, autant pour la production de batteries que de véhicules, est fortement ancrée en Chine », dit-il.
« Les récentes faiblesses de l’économie chinoise se sont donc répercutées sur l’ensemble de la chaîne de valeur des minéraux qui alimentent les fournisseurs ou les producteurs de batteries », estime-t-il.
Selon BloombergNEF, le prix d’un bloc-batterie pour véhicule électrique a reculé à un creux historique de 139 $ US par kilowattheure (kWh) en 2023, et les analystes de la société voient les prix de métaux comme le lithium, le nickel et le cobalt descendre cette année. Selon un rapport de l’entreprise, le prix d’un bloc-batterie pourrait atteindre 133 $ US/kWh d’ici la fin de 2024, 113 $ US/kWh en 2025 et 80 $ US/kWh en 2030. Il était de 780 $ US/kWh en 2013 (tous les montants sont en dollars constants de 2023).
Du lithium, mais pas seulement
Philippe Pourreaux rappelle qu’un bloc-batterie contient entre autres une anode, surtout composée de cuivre et de graphite, et une cathode où on retrouve du lithium, du nickel et du cobalt.
C’est ce qui explique que des producteurs de graphite font aussi partie de la filière batterie.
« Au Québec, on a deux grands pôles économiques d’exportation avec l’aéronautique et l’aluminium, auxquels on pourrait ajouter l’électricité, dit-il. Les deux grands pôles, ce sont des chaînes de valeur qui se sont construites sur des périodes de 20 à 30 ans. En 10 ans, on pourrait construire la filière batterie qui aurait, selon moi, un niveau d’exportation qui sera plus important. C’est un développement économique qui est substantiel et peut-être sous-rapporté au Québec aujourd’hui. »
L’expert de PwC estime que le potentiel de l’industrie est immense, mais que son manque de maturité générera de la volatilité à moyen terme. « Investir dans une entreprise membre de la filière batterie, ce n’est pas comme investir dans Apple (AAPL, 169,30 $US). Il faut avoir de la patience, même si les fondamentaux du développement de cette industrie-là dans son ensemble sont forts », affirme-t-il.
Il ajoute que si on pense que l’industrie des véhicules électriques progresse à un rythme annuel composé de 15 % à 20 % au cours des cinq prochaines années, la demande mondiale doublerait. Il faudra alors que les producteurs et les constructeurs soient prêts à répondre à la demande.
Le rapport « Electric Vehicle Outlook 2023 » de BloombergNEF estime que selon un scénario Net Zéro, la fabrication de batteries à lithium-ion ferait bondir la demande mondiale pour le lithium de 22 fois d’ici 2050 par rapport à son niveau de 2022. Cela se compare à des bonds de 29 fois pour le manganèse, de 26 fois pour le fer, de 22 fois pour le phosphore, de 16 fois pour le cuivre et de 12 fois pour l’aluminium.