Le prix du café est volatil à cause des événements météorologiques extrêmes et de la hausse des salaires des producteurs. (Photo: 123RF)
CATÉGORIES D’ACTIFS. Après l’explosion des prix du cacao et du café sur les marchés financiers internationaux, l’olive fait aussi tache d’huile. Le prix du litre d’huile d’olive a plus que doublé dans la dernière année, l’élevant au rang de produit de luxe. Dans tous ces cas, il faut pointer du doigt les changements climatiques et l’érosion de la biodiversité, qui sont deux phénomènes intimement liés.
En 2020, le Forum économique mondial de Davos estimait que plus de 50 % du produit intérieur brut mondial est modérément à hautement exposé à la perte de biodiversité. Ainsi, les industries largement dépendantes de la nature, comme l’agriculture et la foresterie, sont menacées par la dégradation des sols, la baisse des rendements agricoles et l’augmentation des maladies qui mettent en danger nos végétaux et nos principales sources de nourriture.
En d’autres mots, on doit blâmer les sécheresses en Espagne, les inondations et les feux de forêt en Grèce et les ravages de la mouche de l’olivier en Italie pour justifier la hausse spectaculaire du prix de notre litre d’huile d’olive ces derniers mois.
Sur le radar des investisseurs
Sans surprise, le thème de la biodiversité est apparu sur le radar des investisseurs institutionnels il y a quelque temps déjà. La COP15, ou Conférence des Nations unies sur la biodiversité en décembre 2022, à Montréal, a permis de sensibiliser la communauté d’affaires à ce sujet.
Les entreprises et les investisseurs ont un rôle à jouer et une responsabilité dans le combat pour préserver la nature. Ne pas en tenir compte pourrait se traduire par une prise de risque financier importante pour les gestionnaires de fonds. Au contraire, en orientant des capitaux vers des entreprises qui cherchent des solutions innovantes, on diminue les risques liés à cette perte de biodiversité.
Dans les prochaines années, la pression devrait s’intensifier afin que les gouvernements réglementent et incitent les entreprises à dévoiler les conséquences de leurs activités sur la biodiversité.
En investissement, le nerf de la guerre est la divulgation uniforme d’informations financières comparables. C’est ce que propose le Groupe de travail sur la divulgation financière liée à la nature (TNFD). À ce jour, plus de 400 organisations se sont engagées à suivre les recommandations du regroupement. Ces sociétés représentent environ 6000 milliards de dollars de capitalisation boursière. Parmi elles, on compte une centaine d’institutions financières, correspondant à quelque 16 000 milliards de dollars d’actifs sous gestion.
« Pour les investisseurs individuels, la biodiversité est une thématique moins connue, mais devrait susciter un intérêt croissant dans les prochaines années », croit François Bourdon, associé directeur de Nordis Capital, une société de placement qui se spécialise en finance durable. Il existe d’ailleurs plusieurs fonds négociés en Bourse (FNB) en Europe et même aux États-Unis qui misent sur la biodiversité ou des sous-catégories, comme l’agriculture, la pêche et la gestion forestière durables, la protection des océans, l’économie circulaire, etc.
« C’est le cas du fonds FNB AXA IM ACT Biodiversity Equity (ABIU.PA, 13,08 $ US, Bourse de Paris), qui investit dans des sociétés agissant positivement sur la biodiversité en réduisant ou en limitant les effets négatifs des activités humaines sur la diversité des espèces », remarque Linda Ma, vice-présidente à la recherche FNB à la Financière Banque Nationale. Il s’agit de gestion active où l’on vise à accroître le capital à long terme.
« On souhaite mieux gérer les risques liés à la nature, mais aussi comprendre comment cela peut créer des occasions commerciales », souligne dans une recherche Baltej Sidhu, analyste ESG à la Financière Banque Nationale. Investir dans la biodiversité signifie notamment préserver le capital naturel en participant au renouvellement des sols, à la pollinisation des cultures, au stockage de l’eau ou à la stabilisation du climat. Ces fonds pointus seront généralement des placements satellites ajoutés au portefeuille de base afin de l’enrichir ou d’exprimer une vision de marché. Ce sont des investissements à long terme. Ils peuvent être gérés activement alors que d’autres vont répliquer un indice de référence.
Le café et les bananes…
Si les dérèglements climatiques entraînent une perte de biodiversité, certaines denrées sont plus affectées que d’autres. Par exemple, pourquoi le prix des bananes demeure-t-il relativement stable dans le temps alors que celui du café est beaucoup plus volatil ?
La concentration de la production est un facteur crucial dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire. « Théoriquement, les denrées produites dans peu de pays sont plus à risque de connaître des perturbations de l’offre liées à des événements météorologiques, des maladies ou même des politiques internes menant à des interdictions d’exporter », explique François Bourdon.
Ces constats vont bien sûr influer sur le prix en Bourse de sociétés comme Starbucks (SBUX, 94,79 $ US) pour le café, Mondelez (MDLZ, 74,87 $ US) et The Hershey Company (HSY, 196,47 $ US) pour le cacao. « Tout dépend de la capacité de monter les prix et de refiler la facture aux consommateurs, ajoute-t-il. Les épiciers, par exemple, ont des marges bénéficiaires assez faibles et sont donc plus sensibles à ces chocs de prix. »
Les entreprises qui s’en sortiront le mieux sont celles qui trouveront des solutions afin de stabiliser les prix des producteurs. « L’irrigation sera la clé pour améliorer la gestion de l’eau en milieu agricole. Les sociétés qui investissent dans ce domaine devraient se démarquer », croit François Bourdon.
L’engagement des actionnaires
Difficile de parler de biodiversité sans aborder l’engagement actionnarial. Les investisseurs peuvent jouer un rôle en dialoguant avec les dirigeants d’entreprises cotées en Bourse. Des détenteurs d’actifs ou des caisses de retraite vont parfois mandater une firme pour le faire. Sa mission se fonde sur le principe que les sociétés qui « alignent leurs pratiques aux principes de bonne gouvernance, du développement durable et du respect des droits de la personne vont générer de meilleurs rendements à long terme ».
Les entreprises ciblées vont d’abord déterminer quels sont les effets, les dépendances, les risques et les occasions liés à la nature dans leurs activités. « On les invite ensuite à adopter des cibles pour stopper et renverser la perte de biodiversité. Cela permet ensuite aux investisseurs de mesurer les
progrès en plus d’envoyer un signal aux actionnaires quant à l’importance de ce sujet. Il faudra ensuite s’assurer qu’un plan est en place pour atteindre ces cibles », précise Marine Martal, conseillère en engagement actionnarial à Æquo, à Montréal.
Parfois, on va aborder des problèmes plus spécifiques, comme celui de la déforestation liée à la production de bœuf au Brésil. Le géant français du commerce alimentaire Carrefour a d’ailleurs mis en place une politique d’approvisionnement afin de s’assurer que la viande vendue n’est pas liée à la déforestation.
« Il y a un enjeu lié à la collecte de données puisque les écosystèmes sont tous différents. Dans le cas de la biodiversité, on ne trouve pas vraiment d’équivalent au CO2 comme pour le climat. Mais on progresse et plusieurs entreprises ont pris les devants avec la mise en place de bonnes pratiques,
d’un plan et de cibles », souligne Marine Martal.
D’ailleurs, la COP16 souhaite l’élaboration de stratégies et de plans d’action nationaux en matière de biodiversité. Plus de 190 pays ont adopté le cadre mondial de la biodiversité de Kumming à Montréal en 2022.