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La pire année pour battre l’indice S&P 500 ?

Leïla Jolin-Dahel|Édition de la mi‑octobre 2024

La pire année pour battre l’indice S&P 500 ?

(Illustration: Sébastien Thibault)

En date du 3 octobre, le S&P 500 Top 10 Index indiquait une hausse de 28,48 % depuis le début de l’année, selon S&P Global, comparativement à 19,5 % pour l’ensemble du S&P 500. Certains experts estiment néanmoins que 2024 est l’une des « pires années » pour tenter de surpasser l’indice phare de la Bourse américaine, spécialement si on exclut les actions de son portefeuille.

Selon la société américaine de recherche en investissement Ned Davis Research, en date du 28 juin dernier, à peine le quart des titres du S&P 500 étaient en mesure de battre les performances de l’indice.

Des difficultés qui surviennent entre autres en raison de l’importante polarisation des rendements dans quelques actions, estime Martin Delage, chef des placements mondiaux à Optimum Gestion de placements. Parmi les gros joueurs, on compte plusieurs entreprises technologiques, dont Apple (AAPL, 226,11 $ US), Microsoft (MSFT, 417,35 $ US), Alphabet (GOOGL, 166,52 $ US), Amazon (AMZN, 185,83 $ US), Nvidia (NVDA, 124,68 $ US) et Meta Platforms (META, 594,55 $ US).

« Ça ressemble beaucoup aux années 1998‑1999 », souligne-t-il. Au tournant du 21e siècle, on retrouvait notamment les géants Microsoft, IBM (IBM, 225,18 $ US), General Electric (GE, 186,75 $ US), aujourd’hui rebaptisée GE Aerospace, et Cisco Systems (CSCO, 52,74 $ US) au sommet du S&P 500. Ainsi, à moins d’être très concentré dans des titres comme ceux d’Apple ou de Nvidia, par exemple, « c’est impossible de battre l’indice », ajoute Martin Delage.

Le président et gestionnaire de portefeuille de Giverny Capital, François Rochon, est du même avis. Selon lui, l’écart entre les dix plus grandes capitalisations boursières du S&P 500 et le reste des sociétés qui composent l’indice s’explique par le fait que les titres de ces entreprises du « top 10 » se négocient à des ratios « énormes ».

« Si on regarde la valorisation [de l’un] des cinq premiers titres, par exemple Microsoft, il se négocie environ à 35 fois le bénéfice par action prévu des 12 prochains mois », cite-t-il, en se fiant à des estimations de Giverny Capital effectuées en septembre. Ces dernières incluent les options d’achat d’action dans leur calcul. « Si vous enlevez les cinq plus gros poids de l’indice, les autres entreprises se négocient à environ 18 fois ce même ratio. Il y a donc un écart incroyable entre le top 5 et le reste », ajoute-t-il.

L’année 2024 serait plutôt « la plus facile » pour surpasser l’indice du S&P 500, pense de son côté l’ex-grand patron de la Caisse de dépôt et placement du Québec, aujourd’hui professeur de finance à l’ESG-UQAM, Richard Guay. « Ce n’est pas compliqué : vous aviez seulement à concentrer votre portefeuille dans des titres comme Apple, Microsoft et Alphabet et vous auriez devancé tout le monde », lance-t-il.

Selon lui, si certains gestionnaires de portefeuille peinent à y arriver, c’est en raison de leurs réticences à investir dans des actions dites « trop chères ». « S’ils n’en veulent pas, c’est presque impossible qu’ils battent le S&P 500. La technologie, maintenant, c’est payant », résume-t-il. Il cite en exemple le cas d’Apple, dont le bénéfice net a franchi le seuil des 100 milliards de dollars américains (G$ US) pour la première fois en 2021 (et totalisait 79 G$ US pour les neuf premiers mois de l’exercice 2024). « Pour moi, ce n’est pas l’indice qui est difficile à battre. Le blâme revient au gestionnaire qui s’est trompé en croyant que ces titres étaient trop chers et n’a pas voulu les intégrer dans son portefeuille », souligne-t-il.

Des rendements très concentrés

Une telle polarisation des rendements pourrait-elle mener à un scénario similaire à celui de Nortel Networks ? L’entreprise avait provoqué l’une des chutes les plus importantes du marché boursier canadien à la suite d’un scandale comptable en 2002‑2003. Richard Guay balaie cette hypothèse du revers de la main.

Il concède qu’une concentration des gains amène un risque plus grand que celui des dernières années. Mais il estime que, malgré tout, la situation est différente. À son apogée et avant que les malversations comptables soient découvertes, Nortel avait à elle seule un poids de 37 % au sein de la Bourse de Toronto. 

« Actuellement, on compte une dizaine d’entreprises, qui représentent [au total] environ 30 % du S&P 500 », souligne-t-il.

Or, le fait de se limiter à des titres à haut ratio cours/bénéfice n’est pas sans danger. « Ça peut fonctionner un certain temps, mais à un moment donné, ça ne fonctionne plus, résume François Rochon. Il survient un moment où il faut se poser la question : “Combien ça vaut ?” Pour un investisseur qui souhaite avoir une marge de sécurité et qui veut être raisonnable, il arrive un point où les valorisations sont trop élevées. »

Le fait que des sociétés telles qu’Apple ou Microsoft soient à grande capitalisation boursière le fait également douter sur les perspectives d’expansion de ces titres à plus long terme. « Si on regarde leur évaluation boursière, ça intègre déjà beaucoup de croissance, observe-t-il.

Il estime que le danger réside dans l’hypothèse que l’entreprise n’étende pas ses activités en progressant comme prévu. Ainsi, les rendements risquent de ne pas être au rendez-vous. « Empocher 0 % sur cinq ans, ce n’est pas un drame, mais c’est sûr que ce n’est pas ce à quoi les gens s’attendent », dit-il.

L’évolution rapide des technologies pourrait également faire en sorte que la concentration d’un portefeuille dans ces titres en vienne à causer des surprises à leurs détenteurs. « Ça ne veut pas dire que les gagnants d’aujourd’hui seront ceux de demain », avance Martin Delage. Il rappelle que c’était l’entreprise finlandaise Nokia qui était cheffe de file en matière de téléphonie cellulaire au début des années 2000. Or, au premier trimestre de cette année, c’est plutôt Samsung suivie d’Apple qui étaient les deux leaders mondiaux dans le domaine.

Un investisseur qui miserait sur le sous-indice technologique du S&P 500 pourrait également ignorer qu’il ne compte que trois des « sept magnifiques », soit Apple, Microsoft et Nvidia. Si la croissance de l’un de ces titres ralentit, le sous-indice risque de sous-performer, croit Martin Delage.

En août dernier, Berkshire Hathaway (460,89 $ US), société dirigée par Warren Buffett, a d’ailleurs vendu la moitié de ses actions d’Apple. « Quand je vois quelqu’un comme lui faire une telle chose, je me dis qu’il trouve peut-être que le titre a atteint son plein potentiel », ajoute-t-il.

Un engouement pour l’indiciel

Selon PWL Capital, 16 % du marché canadien était investi dans des fonds indiciels. Une hausse de 6 % comparativement à l’année 2014. Chez nos voisins du Sud, l’engouement a été encore plus marqué, passant de 26 % à 47 % depuis neuf ans. La société prévoit d’ailleurs que, si la tendance se maintient, ces produits compteront pour la majeure partie du marché mondial des fonds d’ici quelques années.

Cette popularité pour la gestion passive s’explique par les frais facturés en gestion active, résume Raymond Kerzérho, chercheur principal à PWL Capital. Ces frais qui varient généralement entre 1 % et 3 % rendent la tâche plus difficile pour les gestionnaires de portefeuille. « C’est comme si je faisais une course contre quelqu’un, mais que je partais 100 mètres derrière », illustre-t-il.

Martin Delage est d’accord en ce qui concerne les fonds communs de placement. « Un gestionnaire qui réussit année après année à battre l’indice de 2 %, c’est très rare. Avec l’effet composé dans les rendements, cette ponction des frais donne des montants très importants sur plusieurs années. Personnellement, avant d’acheter un fonds qui me facture des frais, j’achèterais l’indice », dit-il.

La décision de payer des frais de gestion active ou de se tourner vers l’indiciel relève plutôt du talent ou de la chance du gestionnaire, estime de son côté Richard Guay. « S’il avait prédit il y a quelques années que Google, Tesla (TSLA, 249,96 $ US) et Microsoft auraient des rendements exceptionnels, il n’aurait eu qu’à surpondérer ses titres pour bonifier le rendement de son portefeuille », illustre-t-il. Un tel scénario permet selon lui d’absorber les coûts en matière de frais de gestion pour les clients. Le professeur rappelle toutefois que même Warren Buffett recommande aux petits investisseurs de privilégier la gestion indicielle. Et ce, depuis de nombreuses années.

Gestion passive

Pour François Rochon, la gestion passive reste une bonne option pour celles et ceux qui ignorent comment distinguer les bonnes et les moins bonnes entreprises ou pour les gestionnaires incapables de battre leur indice boursier de référence. « Un ingrédient important, si l’on décide d’acheter des fonds indiciels, est de les conserver très longtemps… Ce que beaucoup d’investisseurs ne font pas. Les études le montrent : plus on négocie souvent, plus le rendement à long terme est bas », prévient-il. Cette mise en garde s’applique aussi pour les fonds gérés de manière active.

« Les gens sortent leur argent de la gestion active et achètent des fonds indiciels, ça les fait monter et les gestionnaires actifs sous-performent. Ça peut continuer comme ça pendant un certain temps », ajoute François Rochon. Or, il est d’avis que la gestion active reste la seule façon de générer des rendements supérieurs aux indices boursiers à long terme. Avec l’indiciel, au mieux, on l’égalise, souligne-t-il. Mais il précise que la gestion active ne garantit pas non plus un rendement supérieur à celui de l’indice boursier. Pour lui, la clé est de privilégier un gestionnaire faisant preuve de rationalité, de patience et d’humilité afin d’obtenir des rendements supérieurs à la moyenne à long terme.

Conseils de l’expert

Attention à la concentration

François Rochon, président et gestionnaire de portefeuille, Giverny Capital (Photo: courtoisie)

Le fait de se limiter à des titres à haut cours-bénéfice n’est pas sans danger. « Ça peut fonctionner un certain temps, mais, à un moment donné, ça ne fonctionne plus. Il survient un moment où il faut se poser la question : “combien ça vaut ?” Pour un investisseur qui souhaite avoir une marge de sécurité et qui veut être raisonnable, il arrive un point où les valorisations sont trop élevées. »