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Le dollar canadien va-t-il continuer à chuter?

Morningstar|Édition de la mi‑octobre 2024

Le dollar canadien va-t-il continuer à chuter?

(Photo: AdobeStock)

Avec la Banque du Canada qui réduit agressivement les taux d’intérêt, le dollar canadien s’est effondré à son plus bas niveau en 12 semaines par rapport au dollar américain — une tendance qui, selon les observateurs du marché, pourrait se poursuivre si d’autres réductions de taux se profilent à l’horizon.

 À la suite de la réduction d’un demi-point du taux d’intérêt de la banque centrale, le huard a fortement chuté, passant de 0,74 $US, ou 1,3577 $, à 0,72 $US, ou 1,3872 $ — son niveau le plus faible depuis la première semaine d’août. Cette baisse reflète le sentiment général du marché que la position des décideurs politiques en matière d’assouplissement monétaire pourrait rester plus agressive qu’initialement prévu.

L’impact de ces mouvements va au-delà de la baisse immédiate, qui a fait du dollar canadien la seule monnaie du Groupe des 10 à vaciller face au billet vert. Les stratèges en devises suggèrent que la baisse du huard pourrait se poursuivre si la Banque du Canada se montre ouverte à des réductions (y compris une en décembre) par tranches de plus de 25 points de base. En outre, compte tenu de l’environnement macro-économique — malaise économique persistant, chiffres du chômage et de l’inflation — les experts en devises notent qu’il faudra peut-être un certain temps avant que le huard n’interrompe sa tendance à la baisse.

Le risque d’une nouvelle dépréciation a incité certains gestionnaires de fonds à évaluer les implications de la décision de la Banque du Canada pour l’économie, la maîtrise de l’inflation et les portefeuilles d’investissement canadiens. Toutefois, pour les investisseurs détenant des actifs non canadiens, la poursuite de la dépréciation pourrait donner un coup de pouce à court terme aux rendements.

Les baisses de taux de la Banque du Canada et le dollar

Le dernier sommet du dollar canadien, 1,21 $ par rapport au dollar américain, a été atteint en mai 2021. Depuis lors, il n’a cessé de s’affaiblir, atteignant son niveau le plus bas de 1,39 $ par rapport au dollar américain le 31 octobre.

Dustin Reid, stratège en chef pour les titres à revenu fixe chez Placements Mackenzie, estime qu’au-delà de la baisse à court terme causée par l’ampleur de la récente réduction des taux, «la valeur du dollar canadien dépendra fortement de l’ampleur de la baisse des taux de la Banque du Canada et de la durée de leur maintien au niveau le plus bas du cycle, en particulier par rapport à la Réserve fédérale américaine.»

Une variable importante est l’opération spéculative sur écart de rendement ou «carry trade», une stratégie employée par les fonds spéculatifs et d’autres investisseurs professionnels, qui consiste à emprunter à un taux d’intérêt faible et à réinvestir dans une devise ou un produit financier offrant un taux de rendement plus élevé. En raison de la récente chute du huard, «les stratégies de carry trade trouveront le dollar canadien moins attrayant», explique Tom Nakamura, VP et gestionnaire de portefeuille, Stratégie des devises et cochef des titres à revenu fixe chez AGF.

La situation peut s’aggraver si «d’autres banques centrales se montrent moins pessimistes ou si les données économiques canadiennes sont suffisamment médiocres pour qu’un cycle de réduction des taux plus agressif et plus profond soit coté», prévient Tom Nakamura. À long terme, cependant, il pense qu’une trajectoire économique durable et la compétitivité de l’économie canadienne seront plus importantes.

Le huard pourrait continuer à s’affaiblir

L’une des principales menaces qui pèsent sur le dollar canadien par rapport au dollar américain est la possibilité que la Banque du Canada adopte une position plus diplomatique que la Fed américaine. Sans cote, si l’économie américaine continue de croître fortement, la Fed pourrait ne pas juger nécessaire de réduire ses taux autant que le marché le pense.

La récession est un autre facteur. Si l’économie canadienne peut éviter une récession ou n’en subir qu’une légère, la contre-performance du huard pourrait être de courte durée. «En revanche, si les risques s’orientent davantage vers une récession plus profonde et plus douloureuse, il est probable que le dollar canadien se dépréciera davantage», prévient Tom Nakamura.

En fin de compte, si la politique monétaire peut contribuer à amortir le choc et à ouvrir la voie à une reprise durable, la chute du dollar canadien pourra être endiguée. Selon Dustin Reid, la Banque du Canada est parfaitement consciente de l’impact que son cycle d’assouplissement aura sur la valeur du dollar et elle «ne le laissera probablement pas s’enfoncer de manière significative».

Attentes en matière d’inflation et volatilité des devises

Si les marchés estiment que les autorités canadiennes sont trop agressives dans l’assouplissement de leur politique monétaire, «les attentes en matière d’inflation pourraient se renforcer, la courbe des obligations s’accentuerait et l’incertitude augmenterait», explique Tom Nakamura. Selon lui, un tel scénario alimenterait encore davantage la volatilité du dollar canadien.

Dustin Reid affirme que la banque centrale est au début de son cycle d’assouplissement des taux et que les attentes en matière d’inflation n’augmentent pas de manière significative en raison de la récente réduction de la Banque du Canada. «L’indice global des prix à la consommation s’établissant à 1,6% d’une année sur l’autre, avec une certaine tendance à la baisse, les risques d’une résurgence immédiate de l’inflation semblent faibles», déclare-t-il.

Le taux de change avec le dollar américain a flotté dans une fourchette de 1,34 à 1,38 $ pendant la majeure partie de l’année 2024, ne dépassant que récemment la limite supérieure à la suite de la réduction d’un demi-point du taux d’intérêt de la Banque. C’est pourquoi Dustin Reid prévient que l’on s’attend désormais à ce que le dollar canadien connaisse une volatilité accrue au cours de l’année prochaine.

Actifs les plus vulnérables et les mieux placés

Une monnaie plus faible n’est généralement pas un bon indicateur macro-économique à long terme de la confiance mondiale dans la santé économique d’un pays. «Une faiblesse persistante du dollar canadien, mesurée en années, entraînerait probablement une diminution des investissements directs étrangers au Canada et, par extension, une érosion à plus long terme de l’économie canadienne, avec une capacité moindre à investir dans la recherche et le développement et dans les immobilisations», explique Dustin Reid.

Dans l’immédiat, il indique que les instruments financiers pourraient se détourner des actifs libellés en dollars canadiens au profit de titres libellés en dollars américains, «compte tenu de l’environnement mondial, de l’exceptionnalisme économique des États-Unis et de la perception d’une force continue du dollar américain».

Les sorties pourraient s’intensifier plus tard dans le cycle d’assouplissement monétaire si l’écart de taux d’intérêt entre la Banque du Canada et la Réserve fédérale atteignait 150 ou 200 points de base. «Les produits du marché monétaire ou de trésorerie au Canada seraient les plus à risque plus tard dans le cycle, étant donné l’élargissement de l’écart de taux d’intérêt, bien qu’il y aurait le risque du dollar américain ou d’autres devises [à prendre en compte] pour l’investisseur canadien s’il restait non couvert», indique Dustin Reid. Cet écart est de 100 points de base. Il se réduira début novembre si la Fed abaisse ses taux de 25 points de base.

Si la Banque du Canada parvient à guider l’économie vers un «atterrissage en douceur», Tom Nakamura estime que «les actifs canadiens devraient bénéficier de l’amélioration des perspectives économiques dans le cadre d’une politique monétaire accommodante».

Ce que l’affaiblissement du dollar signifie pour les investisseurs

Bien qu’une baisse importante à long terme de la monnaie d’un pays puisse présenter des risques d’inflation, à court terme, elle peut être une bonne nouvelle pour les investisseurs qui détiennent des actions ou des fonds non canadiens dans leur portefeuille. La valeur des investissements en dollars américains ou dans d’autres devises étrangères augmentera probablement lorsqu’ils seront reconvertis en dollars nationaux si ces derniers restent faibles. «Cela s’explique par le fait que la monnaie locale de l’investissement s’est appréciée et peut acheter davantage de dollars canadiens lorsque l’investisseur canadien rapatrie le solde», explique Dustin Reid.

Il souligne toutefois que les portefeuilles internationaux sont souvent couverts, au moins partiellement, contre le risque de change, ce qui permet de limiter ou de compenser l’impact de tout écart de change dû à la volatilité. «Les investisseurs canadiens devraient toujours se demander quel risque d’investissement en devises, ils souhaitent prendre pour leurs investissements internationaux», affirme Dustin Reid.

La dépréciation du dollar canadien peut améliorer les rendements à court terme, mais «la diversification mondiale reste importante pour obtenir des avantages à long terme, sous réserve de la tolérance au risque et des considérations individuelles», affirme Tom Nakamura.