Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires
John Plassard

Préparé pour le futur

John Plassard

Expert(e) invité(e)

Le poste de Jerome Powell est-il à risque?

John Plassard|Publié le 11 novembre 2024

Le poste de Jerome Powell est-il à risque?

Le président de la Réserve fédérale américaine, Jerome Powell. (Photo : Anna Moneymaker/Getty Images)

EXPERT INVITÉ. C’est la question qui est sur toutes les lèvres des investisseurs, car sa réponse aura des conséquences monétaires et économiques très importantes : Donald Trump va-t-il démettre Jerome Powell de ses fonctions? Synthèse et analyse.

Les faits 

Lorsqu’il était président, Donald Trump critiquait régulièrement le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, d’abord pour avoir augmenté les taux, puis pour ne pas les avoir suffisamment abaissés. Interrogé en octobre à l’Economic Club of Chicago pour savoir s’il maintiendrait Jerome Powell pour un nouveau mandat, Donald Trump n’a pas répondu directement à la question, mais a clairement indiqué qu’il continuerait à essayer d’influencer la Fed, qui prend ses décisions indépendamment de la Maison-Blanche. 

«Écoutez, je pense que c’est le plus beau métier du gouvernement. Vous vous présentez au bureau une fois par mois et vous dites “voyons, jouons à pile ou face”, et tout le monde parle de vous comme si vous étiez un dieu? Il a ajouté : “Je pense que je suis meilleur que lui. Je pense que je suis meilleur que la plupart des gens dans cette situation. Je pense que j’ai le droit de dire que je pense qu’il devrait monter ou descendre un peu. Je ne pense pas que je devrais être autorisé à l’ordonner, mais je pense que j’ai le droit de faire des commentaires sur la hausse ou la baisse des taux d’intérêt”. Donald Trump.

La nomination de Jerome Powell 

Le mandat de Jerome Powell s’achève en mai 2026. Son mandat de gouverneur, qui est distinct, prend, lui, fin en janvier 2028. Jerome Powell avait été choisi en 2012 par l’ancien président démocrate Barack Obama pour entrer au Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale.

Ensuite, c’est Donald Trump lui-même qui l’en avait promu président le 2 novembre 2017, faisant le choix de la continuité de la politique monétaire américaine après la fin du mandat de Janet Yellen en février prochain. 

Son choix permettait (à l’époque en tout cas) à Trump d’imprimer sa marque à la tête de la banque centrale sans rompre avec la politique monétaire de Janet Yellen, qui est de sensibilité démocrate. 

Avant cela, Jerome Powell a aussi été un haut responsable du Trésor sous la présidence de George H. W. Bush (1989-1993) et a été nommé en 2012 gouverneur de la Banque centrale par le président démocrate Barack Obama.

Que dit la loi? 

La loi est assez floue sur ce sujet. En effet le Federal Reserve Act spécifie qu’un président peut révoquer un gouverneur (ce qui pourrait inclure le président de la Fed) pour une “cause” et non pour des différents politiques. L’interprétation de “for cause” est bien évidemment sujette à de multiples interprétations.

“Upon the expiration of the term of any appointive member of the Federal Reserve Board in office on the date of enactment of the Banking Act of 1935, the President shall fix the term of the successor to such member at not to exceed fourteen years, as designated by the President at the time of nomination, but in such manner as to provide for the expiration of the term of not more than one member in any two-year period, and thereafter each member shall hold office for a term of fourteen years from the expiration of the term of his predecessor, unless sooner removed for cause by the President.”

Mais selon les derniers rapports d’experts, cela sous-entend des malversations dans l’exercice de ses fonctions, la divulgation non autorisée de renseignements confidentiels, un comportement personnel inapproprié (harcèlement sexuel par exemple) ou l’omission de s’acquitter des fonctions de son poste. 

Si tel devait cependant être le cas, “l’affaire” serait confiée au Congrès qui devrait alors statuer. En d’autres termes, Donald Trump peut être mécontent du président de la Réserve fédérale, mais il n’a pas le pouvoir de révoquer le président de la banque centrale ou d’une autre agence indépendante.

Aucun Président de la Fed n’a jamais été démis de ses fonctions depuis la création de l’institution en 1913. Jerome Powell a déclaré ne pas croire que le président des États-Unis ait le pouvoir de l’évincer de son poste et ajouté qu’il ne démissionnerait pas si on le lui demandait.

Que peut faire Donald Trump

 Si Donald Trump n’a pas réellement (nous l’avons vu la loi est assez floue) les moyens de congédier Jerome Powell, il a cependant d’autres pouvoirs, dont :

Son engagement 

C’est en effet le président américain qui nomme le président de la Fed en espérant (indirectement) qu’il lui prête allégeance ou complaisance. Il ne peut le congédier directement, mais peut exercer une forte pression pour qu’il démissionne. Rappelons que le président de la Fed Thomas McCabe a été forcé de démissionner après un conflit avec l’administration d’Harry Truman. William Miller quant à lui a été à la tête de la Fed durant un an avant que Jimmy Carter ne le transfère aux Trésors américains. 

Changer des membres de la Fed 

Donald Trump pourrait progressivement remplacer certains collègues de Jerome Powell au sein de la Fed, en ayant l’opportunité de remodeler sa composition. En effet, un poste de gouverneur au Conseil de la Fed sera vacant début 2026, tandis que le mandat de vice-président chargé de la supervision bancaire se termine mi2026, et un autre vice-président verra son mandat se conclure en 2027. Ces nominations donneraient à Trump la possibilité d’influer sur l’orientation de la politique monétaire et de régulation bancaire de la Fed, surtout avec un Sénat républicain qui faciliterait la confirmation de candidats partageant ses propres vues économiques.

Les plaintes 

Contrairement à ce qu’on peut penser, un président américain a tout le loisir de critiquer la Réserve fédérale américaine. Par le passé, les présidents Lyndon Johnson et Richard Nixon ont exercé une pression très importante sur la Réserve fédérale américaine en l’accusant de vouloir… remonter les taux d’intérêt… Le président de la Fed Paul Volker aurait même reçu un ordre direct de Ronald Reagan le poussant à ne pas monter les taux avant les élections présidentielles de 1984 (The president is ordering you not to raise interest rates before the election). Plus récemment, Georges H. W. Bush a émis de fortes critiques à l’encontre d’Alan Greenspan en 1992 et sur ses nombreuses baisses de taux (13 entre 1991 et 1992).

Qui pour remplacer Powell en… 2026?! 

Avec le retour de Donald Trump à la présidence, plusieurs noms émergent comme candidats potentiels pour remplacer Jerome Powell à la tête de la Réserve fédérale en 2026. Voici quelques figures qui sont souvent citées :

  • Judy Shelton : Économiste controversée et ancienne conseillère de Trump, Shelton est connue pour ses positions peu orthodoxes et son soutien à un retour partiel à l’étalon-or. Elle avait déjà été nommée par Trump pour un poste à la Fed en 2020, bien que sa confirmation ait échoué. 
  • Christopher Waller : Actuellement membre du Conseil des gouverneurs de la Fed, Waller est respecté dans les cercles financiers et pourrait être un choix plus consensuel, bien qu’il partage certaines vues procroissance. 
  • Larry Kudlow : ancien conseiller économique de Trump et animateur sur Fox Business, Kudlow est un défenseur acharné des politiques procroissance et de la dérégulation. Son style correspond bien à l’approche économique de Trump, même s’il n’a pas de passé direct à la Fed. 
  • Kevin Warsh : ancien gouverneur de la Fed et figure influente parmi les conservateurs économiques, Warsh avait déjà été pressenti pour ce poste en 2017. Il pourrait offrir une approche plus rigoureuse et orthodoxe, tout en étant en ligne avec certaines politiques procroissance. 
  • John Williams : Bien qu’il soit président de la Fed de New York, est généralement neutre, mais pourrait aussi être un choix acceptable pour une administration Trump en raison de sa solide expérience en politique monétaire. Il est vu comme modéré et pragmatique, ce qui pourrait convenir à une orientation centrée sur la stabilité économique.

Parmi les noms souvent cités, Randal Quarles serait le plus proche de l’approche de Donald Trump. En tant qu’ancien vice-président de la Fed pour la supervision, Randal Quarles a été nommé par Trump et est connu pour sa vision favorable à une régulation bancaire plus souple, ce qui cadre avec la politique de dérégulation que Trump a soutenue. Il est respecté dans les cercles financiers et est perçu comme ayant une position plus accommodante vis-à-vis des marchés.

Enfin, Mohamed El-Erian. Bien que plus improbable, l’économiste et stratégiste en chef d’Allianz est respecté dans les cercles financiers et dispose d’une grande expérience sur les marchés internationaux. Il pourrait représenter un choix inattendu, mais pragmatique pour Trump.

Ces noms représentent des visions variées pour Donald Trump, allant de l’approche traditionnelle aux visions plus hétérodoxes. Il est bien évidemment trop tôt pour en parler…

Synthèse 

Nous doutons ici de la réelle volonté du président américain à vouloir congédier Jerome Powell. En effet, les conséquences seraient dramatiques pour la confiance des investisseurs et bien évidemment l’évolution des marchés financiers. On peut cependant imaginer que si les taux d’intérêt ne devaient pas évoluer dans le “bon” sens, la colère de Donald Trump n’en serait que plus grande…