Retour sur une «révolte» boursière et ce qu'elle révèle de la lutte entre jeunes investisseurs et barons de la finance.
C’est la saga du début d’année à Wall Street: en quelques séances, l’action des magasins de jeux vidéo GameStop a grimpé à un rythme ahurissant, une ascension nourrie par un groupe de boursicoteurs en croisade contre l’«establishment».
Retour sur une «révolte» boursière en cours et ce qu’elle révèle de la lutte entre jeunes investisseurs et barons de la finance, près de 10 ans après Occupy Wall Street.
Comment des internautes ont fait grimper GameStop?
Nom historique pour les amateurs de jeux vidéo, la chaîne GameStop est loin d’offrir un modèle radieux de croissance à une époque où les achats en ligne, les téléchargements ou le jeu à distance ont pris le pas sur les ventes physiques.
En raison de ces difficultés financières, le titre du groupe est l’un des plus ciblés à Wall Street par la vente à découvert.
Cette pratique, commune pour les grands fonds d’investissement, consiste à emprunter puis vendre des actions en anticipant une chute de leurs cours afin de les racheter moins cher à une date ultérieure et d’engranger un profit conséquent.
Mais un groupe de boursicoteurs, avides de paris financiers risqués, s’est mis en tête de donner tort à ces grands noms de la finance en achetant massivement le titre de GameStop pour en faire gonfler le prix.
Avec ses quelques 3 millions d’abonnés, le forum WallStreetBets du site Reddit, où des internautes se vantent de leurs exploits ou, plus souvent, de leurs déboires boursiers à grand renfort de mèmes et d’humour grivois, a été le principal outil de ce mouvement inédit.
Résultat: vendredi dernier, l’action de GameStop (GME au New York Stock Exchange) a décollé de plus de 50%.
Cette envolée n’était que le début d’une folle épopée.
Qu’est ce qu’un «short squeeze»?
Face à cette brusque hausse, les fonds qui avaient parié à la baisse sur GME se sont vus contraints de racheter le titre pour limiter leurs pertes, provoquant un «short squeeze» (ou «liquidation forcée»), qui a encore fait davantage grimper l’action.
GameStop est ainsi monté de 18% lundi, puis de 93% mardi et a explosé de 135% mercredi.
Les membres de WallStreetBets exultaient face à ce tour de force, vu comme un doigt d’honneur aux grands fonds. Certains médias américains évoquaient même une rébellion contre le système.
Pour Jaime Rogozinski, qui a créé le forum en 2012 mais s’en est depuis éloigné, les parieurs «ont réussi à faire ce que le mouvement Occupy Wall Street n’avait jamais réussi, mais d’une façon radicalement différente.»
«Occupy Wall Street protestait contre le fait que les petites gens ne puissent pas participer au jeu boursier. Désormais, les petites gens ont trouvé un moyen de contourner le système de l’intérieur», observe-t-il.
Après avoir décidé de limiter son accès, WallStreetBets est revenu sur sa décision et était à nouveau accessible à tous vers 21h00 hier soir. La société Discord a annoncé, elle, bannir son serveur pour contenus «haineux».
Le gendarme boursier peut-il intervenir?
Le gendarme de la Bourse américain, la SEC, a aussi indiqué mercredi soir avoir pris acte de cette «volatilité» et «évaluer» la situation.
Pour l’avocat Jacob Frenkel, ancien procureur pour la SEC, l’extrême volatilité du titre, dont la cotation a dû être suspendue à de multiples reprises ces derniers jours, justifierait une action du gendarme boursier.
«Les échanges seraient mis en suspens pendant 10 jours pour s’assurer que tous les investisseurs aient accès à des informations exactes et à jour», explique M. Frenkel, qui doute toutefois qu’une telle mesure soit prise.
La SEC peut également lancer une enquête pour manipulation du prix de l’action, mais la commission ne communique presque jamais avant l’ouverture d’un dossier.
L’investisseur Andrew Left de Citron Research s’est pour sa part dit victime de harcèlement la semaine dernière après avoir tablé sur la chute de GameStop et a indiqué vouloir donner des suites judiciaires à ces menaces.
Du côté du gouvernement américain, la porte-parole de la Maison Blanche Jen Psaki a assuré que «notre équipe économique, notamment la secrétaire au Trésor (Janet) Yellen, surveillent la situation.»
Et maintenant?
Le feuilleton GameStop est loin d’être terminé. Mardi soir, le fantasque patron de Tesla Elon Musk, qui s’est souvent attaqué au «système» lui-même, a tweeté un lien vers WallStreetBets, contribuant à la hausse de mercredi.
Le financier et spécialiste du capital-risque Chamath Palihapitiya a de son côté révélé avoir acheté 50 000 actions du groupe qu’il avait déjà revendues mercredi après-midi, s’engageant à offrir ses profits à une organisation d’aide aux commerces frappés par la récession.
Les utilisateurs de Reddit se sont pour leur part déjà tournés vers d’autres entreprises, dont la chaîne de cinémas AMC (+301%) et, dans une moindre mesure, le fabricant de logiciels d’entreprises BlackBerry (+33%).