«Ma position, c'est un non courtois, mais clair et définitif», a déclaré le ministre français de l'Économie.
Cette fois, c’est sans appel: le gouvernement français oppose un veto «clair et définitif» au rapprochement proposé par le canadien Couche-Tard au géant français Carrefour, au grand dam des milieux d’affaires et de ceux qui appellent à la consolidation du secteur.
«Ma position, c’est un non courtois, mais clair et définitif»: le ministre de l’Économie français, Bruno Le Maire, a douché vendredi les espoirs des partisans du «rapprochement» envisagé par Couche-Tard et Carrefour, expliquant sur BFMTV et RMC que «la sécurité alimentaire n’a pas de prix» et qu’«on ne cède pas l’un des grands distributeurs français».
Une prise de position d’autant plus dissuasive que le gouvernement a le pouvoir de bloquer les opérations de rachat dans l’industrie agroalimentaire, via la réglementation sur le contrôle des investissements étrangers. «Je préfère ne pas avoir à l’employer», a ajouté M. Le Maire, en précisant néanmoins qu’il n’hésitera pas «s’il le faut».
Bruno Le Maire a eu vendredi l’occasion d’expliquer sa position au fondateur de Couche-Tard, Alain Bouchard, présent à Paris, ainsi qu’à son homologue québécois, Pierre Fitzgibbon, par téléphone, a indiqué Bercy à l’AFP.
Un froid
Jeudi soir, Pierre Fitzgibbon avait expliqué à quelques journalistes que son gouvernement avait plaidé auprès des autorités françaises «que Couche-Tard pourrait être un bon propriétaire».
De son côté, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a refusé vendredi de commenter l’opération au motif que «des discussions étaient en cours», se bornant à indiquer que le rôle de son gouvernement était de soutenir les entreprises de son pays, «y compris lorsqu’elles regardaient pour prendre de l’expansion dans le monde».
Quoi qu’il en soit, la prise de position du ministre français de l’Économie a jeté un froid. La veille, les différentes parties prenantes avaient noté que Bruno Le Maire s’était dit opposé «a priori», laissant entendre que le gouvernement pourrait se montrer moins fermé en cas de garanties sur l’emploi ou la localisation du siège par exemple. Cette fois, pas de porte entrouverte.
«Le ministre de l’Économie n’a pas peur de qualifier de stratégique le secteur de la distribution alimentaire, et d’être ridiculisé pour cela, comme l’avait été son prédécesseur quand le yaourt (c’est-à-dire Danone) avait connu un honneur similairex, taclent les analystes financiers du cabinet AlphaValue, faisant allusion au refus de l’État de laisser Danone se faire racheter par Pepsi en 2005.
Un autre analyste financier ayant requis l’anonymat pointe le fait que l’approvisionnement alimentaire «ne dépend pas de la nationalité du distributeur, sinon cela signifierait que Lidl ou Aldi n’auraient pas tenu en terme de chaîne logistique ou de sécurité alimentaire» sur l’année écoulée, les deux enseignes étant allemandes.
L’argument de la souveraineté, «on peut le comprendre pour ce qui concerne les enjeux de défense, la sécurité civile, la cybersécurité, voire l’informatique parce qu’il y a des enjeux de défense, de données… Là, c’est moins compréhensible», estimait jeudi auprès de l’AFP Charles-Henri d’Auvigny, président de la Fédération des investisseurs individuels et des clubs (F2IC).
En outre, demandait-il, «en quoi un changement des capitaux détenant Carrefour va empêcher la chaîne alimentaire française de se maintenir? Les magasins vont rester en France, les consommateurs français veulent consommer français et Carrefour serait donc bien obligé d’acheter français…»
Investissements massifs
Si le secteur est stratégique, a aussi observé Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (dont Carrefour est membre), il faut «des décisions pour faire en sorte que ce secteur qui est le premier employeur de France puisse se consolider et survivre». Sur BFM Business vendredi, il a demandé à ce que des investissements soient effectués «de façon massive dans les années qui viennent pour que les magasins soient compétitifs par rapport à Amazon et Alibaba».
Selon le quotidien Les Échos, Couche-Tard avait évoqué dans les premières discussions un investissement de 3 milliards d’euros sur cinq ans pour favoriser le développement de Carrefour, un chiffre confirmé à l’AFP par un connaisseur du dossier.
Pas de quoi convaincre le gouvernement, donc, ni les organisations syndicales du groupe Carrefour, qui ont pour leur part estimé que «les conséquences, notamment sociales, d’une telle opération pourraient être désastreuses pour les salariés», selon les termes de FO (premier syndicat du groupe).
Dans un autre communiqué tweeté vendredi, le SNEC/CFE-CGC (syndicat national de l’encadrement du groupe Carrefour, 4e en matière de représentativité) «s’interroge sur le mutisme du groupe Carrefour et les méthodes managériales de Couche-Tard», et demande à Carrefour de «communiquer d’urgence envers ses salariés».
Le veto du gouvernement a en tout cas fait retomber le cours de Bourse du distributeur dans le rouge, à 16,61 euros à la clôture vendredi. Il reste malgré tout plus élevé qu’avant l’annonce choc de ces «discussions très préliminaires» entre les deux distributeurs, qui semblent vendredi avoir du plomb dans l’aile.