Il a fallu 15 mois avant de nommer un tout premier «ombudsman indépendant pour la responsabilité des entreprises».
La réputation internationale du Canada sera entachée si le gouvernement ne donne pas des dents à son nouveau mécanisme de surveillance en matière de responsabilité des entreprises, prévient un organe des Nations unies.
Surya Deva, président du «Groupe de travail sur la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises», est à Ottawa cette semaine afin de tenter de comprendre pourquoi il a fallu 15 mois au gouvernement canadien avant de nommer son tout premier «ombudsman indépendant pour la responsabilité des entreprises».
M. Deva se dit déçu qu’en annonçant la nomination, il y a trois semaines, le ministre du Commerce international, Jim Carr, ait commandé un nouvel examen juridique, attendu en juin, afin d’évaluer les pouvoirs que devrait avoir cet ombudsman — Sheri Meyerhoffer.
Dans une entrevue accordée lundi, le professeur Deva estime que si le gouvernement canadien veut conserver le leadership dans ce secteur particulier — ou dans le secteur des droits de la personne en général —, il doit agir dès maintenant, parce que les choses vont vite en ce domaine. Il croit d’ailleurs que le Canada tire déjà de l’arrière face à d’autres pays tels que la France, l’Allemagne, la Suisse et l’Australie dans l’adoption de lois visant à améliorer le comportement de leurs entreprises menant des activités à l’étranger, en particulier dans les pays en développement.
La décision du ministre Carr de demander un nouvel examen juridique a également été condamnée par des groupes de défense des droits de la personne lorsqu’il a annoncé la nomination de Me Meyerhoffer, une avocate qui compte une longue expérience du commerce et du développement international.
Selon M. Deva, le gouvernement canadien doit absolument donner à cet ombudsman le pouvoir de contraindre les entreprises à venir témoigner et à déposer des documents lors des enquêtes, sans quoi la réputation du Canada en tant que leader des droits de la personne sera entachée.
Il critique aussi le fait que le gouvernement ait mis des années à créer ce poste. «Les choses ne sont pas si compliquées quand on a la volonté d’agir», a soutenu le professeur Deva. «Le gouvernement canadien s’intéresse à cette question depuis un certain temps: ce n’est pas un sujet nouveau.»
M. Deva a répété ce message mardi lors d’une conférence à Ottawa sur la responsabilité des entreprises à laquelle participaient plusieurs organisations de la société civile, des responsables du gouvernement, des représentants d’entreprises et des avocats.
Des «déclarations d’intégrité»
Chris Moran, directrice générale de la stratégie de portefeuille commercial à Affaires mondiales Canada, a affirmé que le système actuel conférait aux 1200 délégués commerciaux de son ministère les leviers nécessaires pour que les entreprises canadiennes agissent de façon responsable à l’étranger.
Son département demande aux entreprises de signer une « déclaration d’intégrité » dans laquelle elles s’engagent à adopter un bon comportement pour pouvoir bénéficier des services des délégués commerciaux canadiens afin de les aider à trouver de nouveaux débouchés commerciaux, a-t-elle expliqué.
«Les entreprises n’ont pas automatiquement droit à ces services. Ce sont des services améliorés. Ce sont des choses qui peuvent leur être utiles», a déclaré Mme Moran lors de la conférence.
Si les entreprises ne respectent pas leurs obligations en matière de droits de la personne, ces services peuvent leur être retirés, a-t-elle souligné.
«C’est à la fois une carotte et un bâton. Nous les utilisons comme mesure incitative pour nous assurer que les entreprises s’engagent de bonne foi avec nous.»
Catherine Coumans, coordonnatrice de la recherche à l’organisation non gouvernementale MiningWatch Canada, a rejeté cette manière de faire, estimant qu’elle n’était «absolument pas contraignante» pour les entreprises du secteur des ressources naturelles, dont certaines ont violé les droits des populations dans les pays en développement.
Ces mesures «n’obligent pas l’ambassade à agir de manière particulière ni à prendre des mesures particulières. C’est là que nous sommes toujours bloqués», a-t-elle souligné.
Les libéraux avaient promis de créer le poste d’ombudsman indépendant pendant la campagne électorale de l’automne 2015; ils ont annoncé les détails du nouveau bureau en janvier 2018.
La création d’un poste d’ombudsman visait à renforcer le rôle de l’actuel «conseiller en responsabilité sociale des entreprises», qui a fait l’objet de nombreuses critiques pour son incapacité à traiter les plaintes d’inconduite contre des entreprises canadiennes _ principalement dans l’industrie minière.
Le député libéral John McKay avait été l’instigateur de cette réforme, en déposant en mars 2010 un projet de loi d’initiative parlementaire sur «la responsabilisation des sociétés à l’égard de leurs activités minières, pétrolières ou gazières dans les pays en développement». Sept mois plus tard, les efforts du député ontarien ont été contrecarrés par ses propres collègues libéraux, qui se sont joints aux conservateurs, alors au pouvoir, pour voter contre le projet de loi.